Accueil > Avril / Mai 2012 / N°15

Visite à la maison d’arrêt

Varces au parloir

A la maison d’arrêt de Varces le parloir est l’un des rares liens que les prisonniers ont avec le monde extérieur. Une proche de détenu témoigne.

Octobre 2011, j’apprends qu’un proche est enfermé à la maison d’arrêt de Varces. C’est une terrible nouvelle ! «  Combien de temps  ?  », «  Pourquoi  ?  » sont mes premières interrogations. Ma peine ravalée, je me renseigne sur la procédure à suivre pour obtenir un parloir. La première démarche consiste à adresser un courrier de demande de parloir au centre pénitentiaire en indiquant le lien de parenté avec le détenu, joindre la photocopie de la pièce d’identité, du livret de famille et deux photos.
En tant que membre de la famille du détenu, je n’ai eu aucune difficulté à obtenir cette autorisation. Une autre personne dont le lien familial était difficile à prouver avec le détenu a dû rédiger une demande écrite. Puis une enquête a été menée sur lui. À ce jour, il n’a toujours pas de droit de visite, et ce sans justification de l’administration.

A côté de la maison d’arrêt, une association accueille les «  visiteurs  » (voir encart). En ce samedi, à l’intérieur du local, plusieurs tables sont occupées, probablement par des personnes en attente du dernier parloir, tout comme moi. Trois femmes discutent, deux autres lisent le journal. On me propose un café. Il est seize heures. C’est l’heure d’y aller. Les jours de visite des détenus (ceux dont le jugement a été rendu), sont les jeudis et samedis après-midi. Pour les prévenus (en attente de jugement), ce sont les mardis, mercredis et vendredis.

La maison d’arrêt de Varces a été ouverte le 25 octobre 1972. Elle a remplacé la prison St Joseph située à Grenoble du côté de l’actuel cinéma Chavant. En 2005, elle s’est agrandie avec la construction d’un quartier pour mineurs. D’une capacité officielle de 213 places [1], la maison d’arrêt comptait 233 détenus en 2009 et 350 en 2012 [2].

Seize heures : la porte de la prison s’ouvre. Un flot de visiteurs et de visiteuses en sort. Il faut obéir aux directives. Entrer quand les autres sortent. Pas d’écart, sinon pas de parloir. Une gardienne nous appelle par nos noms. Les personnes autorisées passent.
Une mère et ses deux enfants arrivent cinq minutes en retard :pour cette famille, il n’y aura pas de parloir. Le grand mur gris en béton surmonté de barbelé est franchi. Nous entrons alors dans l’enceinte de la maison d’arrêt dans une cour extérieure, laissant derrière la porte d’entrée cette femme, sa fille dans les bras. Son image ne s’efface pas de ma mémoire.

J’entends des voix d’hommes. Eux sont derrière les murs, je ne les vois pas. Ils parlent et expriment leur colère. Éloignés, semble-t-il, les uns des autres, les mots sont prononcés avec rage, des injures fusent. On m’explique que c’est le quartier des mineurs. L’un d’entre eux insulte un gardien. Cette violence est difficile à supporter. Je ressens un mal-être indéfinissable fait de tristesse et d’angoisse mêlées.
« Le quartier des mineurs est plus sévère. Dès qu’un jeune fume, il fait du mitard. Les cellules sont fermées à 18h, c’est dur. Côté majeurs, les cellules restent ouvertes plus tard, on peut fumer » glisse un visiteur. Maintenant, il faut attendre et déposer ses affaires personnelles dans des casiers. Commence alors l’interminable chaîne qui mène au parloir.
Nouvel appel, donner ses papiers d’identité, passer le portique de sécurité, reprendre les affaires passées sous les rayons X, attendre que la porte suivante s’ouvre. Là seulement, nous sommes dans la maison d’arrêt. Quelques pas encore, une énième porte et des escaliers puis une nouvelle attente jusqu’à l’heure de la visite : seize heures trente.

J’observe, je regarde à travers la petite fenêtre par laquelle seules les mailles du grillage sont distinctes. J’apprends que lorsque les prisonniers sont transférés, les familles ne sont pas prévenues. Et puis, nombreuses sont les conversations qui portent sur la vie quotidienne des détenus (affaires autorisées, linge,...), sur la durée de la peine encourue.
Les gardiens ont le pouvoir. Il détiennent les clefs qui permettent l’accès des visiteurs. Ils ouvrent et ferment les lourdes portes qui claquent à grand fracas. L’espace est sonore, et il faut inlassablement attendre. Dans la dernière salle, quelques chaises et un distributeur de boissons. La seule chose permise au parloir est une bouteille fermée, en plastique, de jus de fruits, de coca,... Une seule.

Seize heures trente, une porte s’ouvre : Les parloirs de 16h sont terminés. Ici, à Varces, ils durent trente minutes. Mais pour ceux qui viennent de loin, ils peuvent être prolongés. C’est l’administration pénitentiaire qui décide de la durée.
J’entre. Enfin ! le gardien nous appelle et nous nous installons dans le parloir désigné. La porte (c’est une grille et l’on voit à travers) est refermée à clé derrière nous. Quand on est dedans, on est emprisonné, quand on est dehors, habité par l’enfermement du proche, on est encore prisonnier.

Le parloir : une table et trois chaises. On ne peut être que trois avec le détenu. C’est la règle. C’est exigu. Des cloisons séparent chaque parloir. Les murs sont jaunes et gris, recouverts d’inscriptions. Ces lieux dégagent une tristesse pesante. Il y a neuf parloirs en tout. De l’autre côté, face à la grille par laquelle on est entré, une autre grille. C’est par là qu’arrivent les détenus.

On ne voit pas les visiteurs des parloirs voisins, mais on les entend... Trente minutes, qui semblent une éternité quand les mots ne viennent pas, quand on est enfermé. Trente minutes, bien trop courts dans la vie des prisonniers.
«  Je ne fais rien, je regarde la télé, je peux sortir dans la cour de promenade le matin et l’après-midi. Ma cellule reste ouverte la journée. Il y a un gymnase, je joue au foot  » me raconte-t-il.
Et à la question «  Tu manges quoi  ?  », il répond «  La bouffe est dégueulasse, je cantine tout, ça veut dire que j’achète des pâtes, du riz, du chocolat…  ».

Terminé ! Une lampe, au-dessus de nous, dans le parloir, s’allume et s’éteint, deux fois, c’est le signal. Il est dix-sept heures. Il faut sortir. De nouveau, clés dans les serrures, portes qui s’ouvrent, attente. Le gardien passe, mais les visiteurs/euses doivent patienter. Inlassablement.

Dernière porte. Après le parloir, la fouille des prisonniers est systématique. Personne ne sort tant que la procédure n’est pas terminée. Parfois, l’attente s’éternise.
«  Mais pourquoi c’est si long  ? Nous sommes enfermées, mises en prison, nous aussi !  » dit une visiteuse inquiète, zieutant vers l’extérieur.
On nous ouvre  ! Sentiment de soulagement, mais en bas, une femme est interpellée.
«  Suivez-nous  » lui dit une gardienne. Elle ne ressort pas. Quelques-unes attendent, un moment, à l’extérieur. Une voiture de gendarmes arrive. Toujours personne. Les visiteuses échangent :
« Elle a voulu introduire quelque chose au parloir  !  »
«  Des cigarettes  ?  »
«  Non, du shit sûrement  !  »

Grande tristesse, on se dit qu’il se peut qu’elle n’ait plus de parloir par la suite.
Sortir, s’en aller, loin. Sentiment de soulagement derrière le grand mur gris, à l’extérieur. Mais, très vite, la pensée rejoint celui que l’on vient de visiter, celui que l’on a dû quitter, celui qui reste enfermé.

La maison d’accueil

L’association ARLA (Association pour la réalisation d’un lieu d’accueil) a été créée en 1998. C’est elle qui gère l’actuelle maison d’accueil. L’association a pour objectif d’accueillir les familles, les proches, les ami(e)s des détenus de la maison d’arrêt, d’informer les visiteurs sur leurs droits et de les accompagner dans leur démarche. Comment obtenir un permis de visite ? Que peut-on apporter aux détenus ? Une borne informatique permet aussi de réserver les parloirs. Le lieu accueille principalement des femmes et des enfants en bas âge. Les adolescents viennent peu. Il y a parfois des hommes, mais ils ne franchissent pas forcément le seuil de la maison d’accueil. Parfois même, ils restent dans leur voiture. Une quarantaine de bénévoles se relaient au sein de l’association ARLA qui est aussi en lien avec l’administration pénitentiaire et des réunions sont régulièrement organisées avec la direction de la maison d’arrêt.

Notes

[1Rapport d’activités de la maison d’arrêt 2009.