Accueil > Décembre 2014 / N°28

Encore une innovation grenobloise !

Vincent Fristot, l’élu à énergie positive 

La métropole grenobloise n’en finit pas d’innover ! Après le journaliste intelligent (Le Postillon n°13), l’élue augmentée (Le Postillon n°14), le grand promoteur inutile (Le Postillon n°18), l’arrivée d’une nouvelle équipe à la municipalité permet à notre cuvette de se porter à la pointe de la transition énergétique. Nous avons maintenant la chance d’avoir un prototype d’élu à énergie positive, plus connu sous le nom de Vincent Fristot. Actuellement président de GEG (Gaz électricité de Grenoble) et adjoint à l’urbanisme, au logement, à l’habitat et à la transition énergétique, c’est une innovation développée par Europe-écologie-les-verts (EELV) en partenariat avec Minatec, le premier centre européen pour les nanotechnologies, et l’association Négawatts. L’élu à énergie positive brille tellement qu’il est même membre du conseil scientifique de la fondation pour l’écologie politique, un satellite d’EELV. Partons à la découverte de cette innovation écologique.

« Fristot, on en a beaucoup parlé avec les salariés : c’est quelqu’un de complètement absent depuis son arrivée à GEG. Il est fuyant, beaucoup ne supportent pas son attitude ». On sait qu’une innovation marche quand elle ne laisse pas indifférent. Depuis le mois d’octobre, l’élu à énergie positive se fait régulièrement allumer par les salariés de GEG. Depuis le mois de mai, il a été nommé président de cette société d’économie mixte par le maire Éric Piolle. Suite à la perte du marché de l’éclairage public grenoblois face à un groupe comprenant Vinci et Bouygues (voir pages 10-11), les salariés accusent Fristot de saborder leur entreprise et disent être en train de se faire « bouffer par les Verts ». Mais si on suivait tout le temps les syndicalistes arc-boutés sur leurs privilèges, la France n’avancerait plus ! Écoutons donc encore un peu l’aigreur de Sophie Cavagna, la déléguée CGT : « Deux événements nous ont marqués en termes d’image. Fristot a fait une assemblée générale avec le personnel après son élection : il a été aberrant, il est parti dans ses délires limite idéologiques sur les économies d’énergie, la production verte et ainsi de suite, face à quatre cents salariés qui depuis un an sont embarqués dans un ‘‘plan de performance’’ avec des suppressions de postes qui les inquiètent. C’était complètement en dehors du sujet, les salariés attendaient autre chose de sa part pour un premier contact. Ensuite, quand le résultat négatif pour l’éclairage public pour GEG est tombé (voir page 10-11), il ne s’est même pas déplacé pour le dire aux salariés : tous les agents l’ont pris comme un manque de courage et de respect. Il a fallu attendre le conseil d’administration pour l’avoir en face de nous en train de sourire bêtement comme ça en hochant la tête, sans rien dire d’intéressant, on a eu le sentiment qu’il se moquait de nous ».

Mais que croient-ils ces réactionnaires-bolcheviks ? Que c’est en étant sympa et à l’écoute pendant des assemblées générales que l’on va être à la pointe du progrès ? « Il est peut-être bon dans les dossiers mais il ne sait pas faire en relations humaines en tout cas il n’a pas été à la hauteur pendant le conseil d’administration. Il n’est pas désagréable au premier abord car il a toujours cet air souriant, mais il est à côté de la plaque : à un moment donné ça finit par agacer, surtout quand on attend des réponses. Mi-octobre il n’a même pas eu honte de dire devant nous que ‘‘mon plan lumière c’est un objectif de campagne il faut que je le tienne’’. Comme si son équipe n’avait pas avancé d’autres promesses : annuler les suppressions de postes à GEG, faire un service public de l’énergie. C’est comme si les problèmes des salariés n’avaient aucune importance par rapport à son ‘‘plan lumière’’ ».

Comme le bas peuple n’a pas l’air de comprendre l’intérêt de cette innovation, il nous faut donc reprendre à la base : quelle est l’utilité de l’élu à énergie positive ? Il est né d’une problématique simple : comment faire pour « verdir » le capitalisme, lui donner une crédibilité écologiste ? Le constat, c’est que la plupart des élus, patrons et hommes d’influence ne sont pas du tout crédibles quand ils essayent de porter un discours écologiste : on perçoit tout de suite qu’ils en ont profondément rien à carrer. Il faut donc des hommes nouveaux. C’est là qu’intervient l’élu à énergie positive, innovation qui possède de multiples qualités.

L’élu à énergie positive est un produit responsable

Si l’élu à énergie positive se revendique « écologiste », il ne fait pas partie des activistes anti-tout et autres zadistes illuminés qui sont prêts à aller dormir dans la boue ou dans les arbres pour lutter contre un projet inutile. C’est un technicien, un responsable, quelqu’un qui a toujours voulu être crédible et pragmatique. Élu pour la première fois à seulement vingt-sept ans, Vincent Fristot est pendant treize ans (entre 1995 et 2008) un fidèle « conseiller délégué » au service du maire « socialiste » Michel Destot. Président de la compagnie de Chauffage, puis de la régie des Eaux, il s’acquitte de ces tâches avec sérieux, professionnalisme et tout les subtils embarras des écologistes alliés aux socialistes - défendant pleinement l’essentiel de la politique menée et se démarquant mollement sur quelques dossiers polémiques.

Vincent Fristot fait partie de ces écologistes-techniciens qui sont avant tout des hommes de « dossiers ». En bon « bébé Avrillier » (le roi du dossier), il préfère les recours juridiques au militantisme, qui impose cette terrible peine : parler avec de vraies gens. Un de ses co-listiers de « Grenoble, une ville pour tous » nous assure qu’il a très peu participé à la dernière campagne municipale : « Il fait partie des trois-quatre adjoints verts qui ont une grosse délégation alors qu’on ne les a quasiment jamais vu sur le terrain, ni dans l’organisation de la campagne ». C’est là qu’on voit toute l’habileté de l’élu à énergie positive : ce manque d’investissements n’a pas dissuadé Éric Piolle de lui confier les postes primordiaux de « président de GEG » et « d’adjoint à l’urbanisme, au logement, à l’habitat et à la transition énergétique ». Sans doute faut-il croire que la fidélité à EELV et à sa ligne paie plus que l’activisme.

L’élu à énergie positive est évidemment un produit « positif »

L’élu à énergie positive ne fait pas partie de la gauche passéiste. On ne l’entend jamais critiquer la marche du monde ou le capitalisme, car il veut avant tout « positiver ». Adepte de la théorie des « petits gestes », il préfère les efforts quotidiens individuels aux mouvements de contestation « contre ». Vincent Fristot est ainsi le « premier grenoblois » à avoir posé un panneau solaire sur le toit de son immeuble (il habite au dernier étage) en 1997. Une action « citoyenne » dont il est très fier – même si cela l’a fait passer pour un « illuminé » – et sur laquelle il a largement communiqué, donnant lieu à quelques articles dans Le Daubé ou sur le Web. Car l’élu à énergie positive est un produit d’avant garde qui ne demande qu’à être cloné. Ces dernières années, sa petite famille a participé au concours « familles à énergie positive », qui consiste à tenter de réduire de 8 % la consommation de son foyer afin d’« appliquer le protocole de Kyoto chez vous », rien de moins.
Le must de son éco-CV ? Fristot est un des membres fondateurs de l’association NégaWatt - qui promeut la « sobriété énergétique, l’efficacité énergétique et le recours aux énergies renouvelables » - et a même participé à la rédaction du Manifeste NégaWatt : Réussir la transition énergétique (Acte Sud, 2012). Ce simple fait d’armes suffit à lui donner une bienveillante crédibilité chez tous les éco-habitants.

L’élu à énergie positive s’intègre à merveille dans la nouvelle mode de la « transition écologique ». Ce concept est en train de supplanter celui de « développement durable », pour donner l’illusion que le respect de l’environnement pourrait s’accorder avec le développement infini du capitalisme. Vincent Fristot surfe sur cette vague pour donner de l’importance à sa politique : « Les villes c’est le lieu de la transition énergétique, c’est là qu’on va pouvoir préparer l’avenir, préparer 2050, c’est cela la ligne de mire, la ligne de conduite ». Car l’élu à énergie positive n’est pas bêtement bloqué sur le présent : s’il veut « préparer 2050 », c’est qu’il est l’avenir. Pour ça, il n’arrête pas de dire qu’il faut « regarder ce qui se passe à l’étranger » (répété trois fois dans son interview à Télégrenoble) et être « positif ».

Pour illustrer sa positive attitude, l’élu à énergie positive présente dès qu’il est en public un petit sourire accompagné d’un hochement la tête vertical régulier. Comme tous les hommes politiques modernes, il dispose également d’un style ampoulé – mais basse consommation : « La situation de l’avenir de la planète interpelle entre les grandes idées générales globales et le quotidien de nos vies, il est important de se prendre en main pour préparer un avenir durable pour nos enfants. (…) Il faut s’interroger sur notre façon de consommer et dès qu’on le fait c’est un message très positif en fait ». Culpabiliser les particuliers qui n’éteignent pas la lumière de leur toilettes est effectivement beaucoup plus « positif » que de remettre en cause – par exemple – l’énorme consommation énergétique de Minatec, le premier pôle européen pour les micro et nanotechnologies, où Vincent Fristot travaille.

L’élu à énergie positive est à la pointe de l’innovation

C’est en effet une ligne peu connue de son CV : s’il se présente simplement comme un « maître de conférences », peu de gens savent qu’il dispense ses cours à Minatec, le lieu symbole de la modernité grenobloise et de sa place à l’avant garde de la fuite en avant technologique. Enseignant à Phelma, « l’école nationale supérieure de physique, d’électronique et des matériaux » de l’INPG (Institut national polytechnique de Grenoble), il est également chercheur au Gipsa-Lab, qui « mène des recherches théoriques et appliquées sur les signaux et les systèmes ».

Saviez-vous que les nouvelles technologies sont très énergivores et que « le site Minatec absorbe, à lui seul, 15 % de l’énergie consommée par Grenoble ! » (GEG infos). Pourtant, Fristot n’a jamais émis le moindre jugement critique sur ce gouffre énergétique, ni sur le monde artificiel – donc énergivore - que ce centre de recherches contribue à construire. C’est là qu’on voit que l’élu à énergie positive est bel et bien un allié du système et qu’il ne le remettra jamais véritablement en cause. Sa mission : faire diversion.

Prenez la récente polémique autour de l’éclairage public. Pour défendre le choix de confier l’éclairage public à une filiale de Vinci, Fristot a argumenté que c’était le groupe le plus performant pour mettre en place le Plan lumières de la ville. Ce plan ambitionne de réduire la consommation de l’éclairage public de 56 % d’ici huit ans, soit 6 400 000 kWh par an (la consommation d’environ 2 100 ménages). Une ville de la taille de Grenoble consomme au moins 500 millions de kWh par an : donc le site de Minatec consomme au moins 15 % de 500 millions, soit 75 millions de kWh par an. Soit au moins l’équivalent de 24 000 ménages, dix fois plus que l’éclairage public. D’un point de vue écologique, l’enjeu de la consommation des lampadaires est en réalité plutôt minime par rapport à celui du développement des nouvelles technologies.

Si l’élu à énergie positive était un écologiste sincère,il se rendrait compte qu’une véritable politique de « transition » consisterait à demander la fermeture de Minatec et de toutes ces techno-structures avant d’ordonner à monsieur tout le monde d’acheter des ampoules high-tech. Il admettrait que la « sobriété énergétique » n’est pas compatible avec le développement des « signaux et des systèmes » sur lesquels il travaille dans son labo. Qu’avant de se battre pour diviser par deux la consommation électrique de l’éclairage public, il faudrait lutter contre les nouveaux gouffres énergétiques, et en premier lieu le développement de l’économie numérique et de ses fausse solutions.

Mais rassurez-vous ! L’élu à énergie positive n’est pas un écologiste sincère, il est en phase avec la culture qui est en train de dominer le monde : celle de la Silicon Valley. Dans son livre Pour tout résoudre, cliquez ici, Evgeny Morozov explique comment les tenants de cette culture « rejettent la politique et la remplacent par des algorithmes » : « Les technologies ne sont pas des intermédiaires neutres, elles redéfinissent aussi le problème auquel elles s’attaquent. Si vous vous attaquez par exemple au changement climatique en suivant exactement combien d’énergie vous consommez dans votre maison (...) vous finissez par mettre de côté des facteurs sociaux et politiques plus importants.(...) La vision classique de la politique, où on débat du bien commun et de la manière de l’atteindre, est remplacée par une réponse standard qui est : le problème vient de l’individu. C’est bien sûr une forme de régime politique, qui n’a rien à voir avec la démocratie telle qu’on la définit habituellement. » (Le Monde, 16/10/2014).

Amis patrons, élus ou grands entrepreneurs, vous savez donc maintenant ce qu’il vous reste à faire. Si vous voulez que la marche du monde aille toujours dans votre direction, que le peuple continue de ne pas trop se préoccuper des « facteurs sociaux ou politiques » importants, qu’il se concentre sur des « petits gestes » en croyant sauver le monde : adoptez un élu à énergie positive !


Quand les élus « rentrent dans le cadre »

Robert de Jouvenel a écrit il y a bien longtemps : « il y a moins de différence entre deux députés dont l’un est révolutionnaire et l’autre ne l’est pas, qu’entre deux révolutionnaires, dont l’un est député et l’autre ne l’est pas ». Cette maxime semble se vérifier avec la nouvelle équipe municipale. Avant qu’ils ne soient élus, ils étaient bien souvent du côté des grévistes et des mouvements sociaux. Depuis, ils doivent y faire face et ont donc adopté les éléments de langage correspondants. Ainsi, lorsque les salariés municipaux ont fait une assemblée générale puis se sont mis en grève, début octobre, Maud Tavel, l’adjointe au personnel a copié-collé toutes les expressions des pouvoirs confrontés à un mouvement social. Florilège : « ils ont des raisons d’être inquiets », « nous avons écouté les revendications », « je comprends l’inquiétude, mais... », « les agents ne doivent pas être pris en otage » (Le Daubé, 11/10/2014). Le paroxysme de cette adoption des « bonnes manières » est intervenu suite au coup de force des salariés de GEG au conseil municipal du 20 octobre. Après avoir fait sauter les plombs et plongé le conseil municipal dans le noir, ils sont entrés en force dans la salle et ont jeté un cercueil, représentant GEG, sur la table du maire. Cette action a conduit à annuler le conseil municipal et permis à la municipalité de reconsidérer la situation, qu’elle n’était pas obligée de valider l’appel d’offre comme elle le prétendait. Sans cette intervention, la décision de confier l’éclairage public à Vinci pour les huit prochaines années aurait été irrémédiablement votée. Mais les élus verts & rouges ont été bien peu reconnaissants de cette action nécessaire. Au contraire, ils sont montés sur leurs grands chevaux pour dénoncer cette « intrusion inadmissible » et les « pressions envers l’institution publique ». La semaine d’après, Éric Piolle a introduit le conseil municipal en faisant une déclaration très solennelle. Extraits : « Je tiens à vous faire part au nom de la majorité municipale et de très nombreux Grenoblois qui nous en ont parlé cette semaine de notre condamnation claire et nette du coup de force qui a empêché la vie démocratique de mener à bien ses activités. Car c’est bien d’un envahissement inacceptable dont il s’agit, qui a choqué les élus, les agents de la ville qui étaient à nos côtés, un événement qui a mis mal à l’aise un très grand nombre de nos concitoyens. (…) Sur le fond, aucune cause, aussi légitime soit-elle, et nous savons tous ici que les inquiétudes des salariés méritent réponse, n’autorise que l’on saborde les institutions de la république. Sur ce point je ne ferai jamais d’amalgame entre la vitalité citoyenne, qui est l’une des forces de notre ville, celle qui respecte le cadre ; et les coups de force et les intimidations sur les personnes. Entre ceux qui font vivre le débat public et ceux qui veulent le faire taire, en paralysant volontairement le fonctionnement des institutions et des assemblées ». Jouez violons, sonnez crécelles. Pour un peu, on aurait cru que la république venait de subir une nouvelle attaque des Vendéens. Faire annuler un conseil municipal, est-ce vraiment « saborder les institutions de la république » ? Est-ce que « respecter le cadre » signifie simplement ne pas contester la mairie ? Il faut vraiment être né de la dernière élection pour croire que les pétitions et autres « interpellations des élus » peuvent suffire à faire bouger des dossiers : pour instaurer un rapport de force, il faut bien souvent « sortir du cadre » ; et tous les ex-gauchistes devenus élus le savent bien. Quelques gestes un peu violents ont été commis lors de cette « intrusion », quelques personnes ont eu peur pendant quelques secondes mais au final il n’y a eu ni véritable blessé, ni dégâts matériels graves. Une « sortie de cadre » assez gentillette somme toute, par rapport à la fameuse Journée des tuiles de 1788 (faisant figure d’événement pré-révolutionnaire), que la nouvelle équipe municipale veut célébrer par un gros événement festif annuel. En dramatisant excessivement le coup de force des salariés GEG, les élus verts & rouges sont eux, en tous cas, bien rentrés dans le cadre.