Accueil > Février / Mars 2016 / N°34

« Les Affiches », dernier rempart contre la dictature

Événement littéraire de l’automne : le patron du journal concurrent Les Affiches vient de sortir un bouquin. Pour ceux qui ne connaissent pas, c’est le genre de canard vivant grâce aux annonces légales, dont la lecture nécessite une forte attention pour distinguer les articles des publicités. Mais dans le bouquin, on apprend, entre autres choses extraordinaires, que si Les Affiches venaient à disparaître, cela entraînerait une « véritable dictature ». En attendant, profitons-en pour rigoler un peu.

Les personnalités de la cuvette ont un nouveau jeu : écrire un livre pour dire qu’elles sont très contentes d’elles-mêmes et de tout ce qu’elles ont fait. Après le bouquin de Destot, Ma passion pour Grenoble (voir Le Postillon n°31), voilà celui de Dominique Verdiel, le patron du journal des Affiches, tout juste arrivé dans les bacs. Ce notable local a eu envie de raconter sa vie et - chose plus étonnante - a pensé que ça pourrait intéresser des lecteurs. Il faut néanmoins avouer qu’on se marre un peu plus qu’avec le bouquin de l’Ex. Le titre En tête des Affiches est assez représentatif de la modestie de l’auteur, capable de sortir des trucs comme « Nous étions en février 1983, je me retrouvais chef d’entreprise à temps plein. Est-ce que cela me suffisait ? Ce serait mal me connaître... », ou « Tout le monde a ses petits défauts, même le directeur des Affiches. Quoique. » Il n’épargne donc rien au lecteur, ni son enfance scout, ni ses nombreux voyages. Car Dominique Verdiel est le type de personne très fière de sillonner la planète en avion pour son bon plaisir, d’avoir visité « soixante pays », ou de monter un business touristique à l’autre bout du monde. En le lisant, on croirait presque que sa consommation de kérosène contribue à la paix entre les peuples. Toujours prêt à la « grande aventure », comme il dit, il consacre un chapitre entier à son voyage de quelques jours en Afghanistan, tout préparé et encadré par l’ancien patron des gendarmes isérois Jean-Philippe Lecouffe. Verdiel a cependant quelquefois d’étonnantes poussées de réalisme : « Je ne me prends pas non plus pour Indiana Jones, et je dois bien avouer que partir avec portable et Ipad, ce n’est pas exactement comme au cinéma. » Et pourtant, le « jeune fou » Verdiel aurait aimé ressembler au Lebrac de la guerre des boutons : « Les pires des conneries – je garde le mot dans le texte - que j’ai pu faire entre mes dix et seize ans, c’est avec mes camarades et amis scouts... comme monter avec une faux sur un large toit pentu de garage et se faire canarder par les autres, (…) ». Aujourd’hui, il vit encore des aventures palpitantes : « en 2009, j’ai participé à 42 cérémonies de vœux en trois semaines ! Mon record ».

Pourquoi s’est-on fadé ce bouquin ? Car il y a quand même un fait très intrigant : ce n’est pas Verdiel qui a écrit son bouquin mais Jean-Pierre Andrevon - pour être précis, il a couché sur papier ce que lui racontait Verdiel. Or, le sympathique romancier-dessinateur-journaliste grenoblois est connu pour ses prises de positions écolos et gauchistes, bien éloignées de celles de l’entrepreneur Verdiel. À la fin du bouquin, puis devant un café, Andrevon se justifie de cette collaboration surprenante en affirmant qu’il l’a fait « comme un boulot », parce que son patron (Andrevon est chroniqueur ciné aux Affiches) lui a demandé et l’a payé pour ça, même s’il a dû des fois « retenir ses dents de grincer ». Voilà sans doute la plus grande réussite de Verdiel : être parvenu à faire écrire par l’écolo Andrevon un plaidoyer pour le projet Center Parcs ou contre la décision « stupide et dogmatique » de supprimer la pub à Grenoble. Avec de l’argent, on peut arriver à tout : si Le Postillon avait du flouze, sans doute parviendrait-on à faire collaborer Jeannie Longo ou Serge Papagalli à notre promotion.

Le grand combat de Verdiel relaté dans le bouquin est la lutte contre un projet du gouvernement visant à la suppression des annonces judiciaires légales. Ces annonces représentant « 20 à 30 % du chiffre d’affaires » de son journal, le patron des Affiches a mené avec ses confrères un intense lobbying victorieux pour supprimer ce projet. Car Verdiel a une conception de la presse assez comique, diamétralement opposée à celle du Postillon. Quand il raconte sa journée de travail, il affirme fièrement : « mon action, mon obsession du matin au soir, c’est le chiffre d’affaires qui se construit. » Étant « avant tout un entrepreneur », il ne s’occupe pas trop de journalisme. En même temps, il n’a pas besoin car « les journalistes des Affiches sont certainement parmi les meilleurs, si ce n’est les meilleurs de la place » (non, ce n’est pas du second degré). Précision pour ceux qui ne connaissent pas : quand on s’adonne à la lecture soporifique des Affiches, on a l’impression que Le Daubé est écrit par d’intrépides journalistes d’investigation. Et pourtant... « Le journal Les Affiches a évolué, a progressé, pour devenir sur le fond aussi parfait que possible – je peux bien l’écrire ainsi puisque tout le monde l’a constaté » (un ange passe). On apprend dans ce bouquin que les annonces légales et la publicité représentent plus de trois quarts du chiffre d’affaires des Affiches ; ou que les « entités », comme la Métropole, les syndicats intercommunaux, le Département ou la Région sont ses « clients, un terme qu’il n’est pas question de prendre avec des pincettes ». Bref, que son journal - qui aurait selon lui « 92000 lecteurs » alors que l’OJD (office de justification de la diffusion) ne recense que 6600 ventes par semaine – est clairement au service des puissants. Ce fait ne l’empêche pas d’affirmer que si les annonces légales avaient disparu, et son journal avec, « pour ce qui concerne notre région, nous serions passés d’un monopole de fait, et en matière de presse quotidienne, du Dauphiné Libéré, à une véritable dictature, qui n’aurait certes pas été recherchée par notre confrère, mais serait intervenue ‘‘tout naturellement’’ sur un désert ». Parler des Affiches comme d’un garant de la démocratie contre la « dictature », il fallait oser, mais Verdiel n’a décidément peur de rien, en tous cas pas d’afficher ses « certitudes, inchangées, que [il] n’hésite plus, aujourd’hui – ce récit en est témoin – à déballer sur la place publique alors que, plus jeune, [il restait] plus discret. Mais qui s’en plaindrait ? » Est-ce qu’on lui dit ?