Accueil > Juin 2010 / N°06

Carences pour l’hébergement d’urgence

Saviez-vous que l’État a l’obligation légale d’offrir un hébergement d’urgence aux personnes dormant dans la rue ? Mais qu’en Isère, au printemps comme en hiver, cette obligation est loin d’être respectée ? Après un petit topo des principes de l’hébergement d’urgence, la section «  travail social  » du Postillon mesure le décalage entre les textes de lois et les réalités iséroises de ces derniers mois.

Chaque hiver, c’est la même chose  : un beau jour les températures baissent, un SDF meurt dans la rue, et c’est la sortie de l’attirail politique et médiatique. On appelle ça un «  marronnier  », un sujet médiatique récurrent, qui permet de montrer au bon peuple que le pouvoir politique est attentif aux plus démunis [1] . A grands coups d’éclairages médiatiques et de «  mesures  » qui ne soulagent jamais les causes, on se penche vers le gars de la rue, seul avec son chien et sa canette devant la caméra de TF1.
Ce que ne disent quasiment jamais les médias, c’est qu’il n’y a pas que l’hiver que des gens dorment, vivent et meurent dans la rue. L’été, il fait chaud, et le marronnier a tendance à se déplacer sur la plage («  quelle crème solaire utiliser ?  »). La rue engendre pourtant de la souffrance toute l’année, sans aucun respect pour les changements de saison – la bougresse !

L’hébergement d’urgence, des principes à la réalité

Les « hébergements d’urgence » sont des structures destinées à accueillir pour la nuit des hommes et des femmes, des familles et leurs enfants qui n’ont pas ou plus de toit, et bien souvent de grandes difficultés pour se nourrir, se soigner, se laver - la vie quoi.
Pour y trouver une place, il faut appeler le 115, numéro gratuit via lequel les écoutants de la veille sociale - qui ont connaissance des places disponibles - peuvent orienter la personne. Ces centres sont gérés en Isère par des associations bénévoles ou professionnelles, et des Centres communaux d’action sociale (CCAS). Notez bien  : l’hébergement d’urgence relève de la responsabilité de l’État, et repose donc dans le département sur les décisions du préfet, ce bon Albert Dupuy.
Deux principes, existants depuis 2007 et réaffirmés en 2009 par la loi Molle – la bien nommée – régissent l’accueil en ces lieux  :

  • L’inconditionnalité de l’accueil qui ne suppose aucune distinction entre les publics quel que soit leur âge, leur statut administratif, leur origine géographique, leur composition familiale ou leur état de santé.
  • Le principe de continuité qui oblige les accueils d’urgence à accompagner les personnes jusqu’à une solution de logement ou d’hébergement pérenne. Avant 2007, la pratique était de mettre à l’abri les personnes pendant trois jours puis… à la rue.

Dans le département il y a environ 160 places prévues à l’année (voir encart), la majorité étant sur Grenoble. Ces dispositifs sont saturés toute l’année puisque un tiers des demandes faites au 115 reste sans réponse faute de places. S’il est difficile d’évaluer quelle serait le nombre de places adapté aux besoins, force est de constater que l’existant ne répond pas à la demande.
Le principe de continuité permet aux personnes accueillies d’avoir le temps d’élaborer un «  projet  » de sortie, ce qui était auparavant impossible en trois jours. Mieux vaut accueillir une personne durablement une fois et l’accompagner sur un mode de sortie pérenne plutôt que de le recevoir maintes fois quelques jours dans l’année.
Mais ce principe a été décrété sans que des moyens supplémentaires ne soient alloués. Les personnels des accueils d’urgence se trouvent donc confrontés à une mission qui n’était pas la leur, «  accompagner dans la durée  ».
Faute de possibilités en terme de sortie de ces dispositifs vers du logement ou de l’hébergement durable, les personnes restent plus longtemps et la saturation n’en est que plus importante. Pas de sorties, pas d’entrées, certains restent dehors, dans les frimas de l’hiver ou la canicule de l’été.

Cet hiver, comme chaque année, des places supplémentaires ont été mobilisées pour la période du 15 novembre au 31 mars, soit 230 places prévues en Isère. Ce qui n’a pas empêché une personne sur deux, appelant le 115, de se voir refuser une orientation vers un hébergement faute de places disponibles. Des dizaines de ménages avec ou sans enfants se sont donc retrouvés à dormir dans la rue malgré l’obligation de prise en charge de l’État. Des gens dormaient dans le tunnel de la gare, dans des caves, des garages ou des parkings, ou se construisaient des habitats précaires au pied de la Bastille...
Le 115 a constaté une augmentation importante du nombre de demandes pendant l’hiver : 32% en plus par rapport au précédent. Cette augmentation n’avait pas été du tout anticipée par les pouvoirs publics – la préfecture et la DDASS [2]. Admettons, nul n’est parfait. Les réponses face à cette difficulté semblent par contre avoir été, pour le coup, délibérément choisies.

Appel d’air ou rhume de cerveau  ?

L’État a eu la lumineuse idée de remettre en place le «  partenariat  avec Météo France  » permettant soi-disant d’ajuster au mieux le dispositif hivernal aux températures annoncées [3]. Concrètement : pour l’ouverture de nouveaux dispositifs d’hébergement il faut que la température descende en dessous de 0°C la journée et atteigne les – 10°C la nuit. (Bon courage camarade, et en attendant prends une couverture).

Or, quelques semaines après le début de la période hivernale, le 115 n’a pas pu orienter des dizaines de personnes, faute de places disponibles. Quatre-vingt places existaient pourtant, prêtes depuis le 5 novembre, mais personne n’a pu en bénéficier. Pourquoi ? Simplement parce qu’il ne faisait pas assez froid. Cela parait cynique  ? C’est pourtant bien la réponse apportée à la fois par la préfecture et la DDASS de l’Isère. Selon eux, ouvrir ces places alors que les températures sont relativement clémentes serait un véritable «  appel d’air  » à la misère du monde, ce qu’a dénoncé le collectif «  Parti Pris » [4]. Dans un communiqué de presse sarcastique intitulé «  Vivement le premier mort  !  », il constate que «  l’utilité du décès d’une de nos sœurs ou d’un de nos frères de la rue a cet immense avantage qu’elle chagrine nos DDASS. Sans cadavre, pas de nouvelle places d’hébergement  ! Pas de bras pas de chocolat. Et bien dans le social c’est pareil  ».
Le comble du ridicule : un des hébergements, le dispositif Perce Neige (12 places), resté vacant à cause de ces températures trop douces se retrouve gardé par un vigile pour empêcher... des sans abris de le squatter !

Albert Dupuy, relayé par les services de la DDASS, a peur des courants d’air, ou plus précisément de l’appel d’air. Mais de quoi parle-t-on, au juste ? Les politiques de tous bords ne cessent d’évoquer ce soi-disant « appel d’air », alors que cette notion ne s’appuie à ce jour sur aucune donnée objective chiffrée. Un éducateur d’un accueil d’urgence raconte : « Depuis 16 ans que je travaille dans ce secteur, le mythe de l’appel d’air est utilisé, tantôt au sujet des gens venant d’un autre département, tantôt envers les demandeurs d’asile, les Tchétchènes... Le cru 2009-2010, c’était les Roms et les demandeurs d’asile... Pour l’année prochaine, on ne connait pas encore les indésirables, mais il y en aura c’est sûr... L’argument de la préférence locale a de beaux jours devant lui. »

Le texte légal est pourtant assez simple dans sa formulation  : «  Toute personne a accès, à tout moment, à un hébergement d’urgence  ». On voudrait faire passer les acteurs du champ social pour de gentils humanistes déconnectés de la réalité  ? Ils demandent le simple respect de la loi. Et ils le font auprès des pouvoirs publics censés la faire respecter…
Il n’y a pas plus sourd que celui qui ne veut pas entendre
Fort de ces constats, le collectif «  Parti Pris  » a interpellé le préfet le 21 novembre 2009. Compréhensif, celui-ci propose à ces acteurs de terrain un rendez-vous le... 8 janvier 2010. Rendez-vous qu’il n’honorera pas, ne prenant même pas la peine de justifier son absence, sans même proposer une autre rencontre.
A la même date, le Pôle Hébergement Urgence (PHU) du CCAS de la ville de Grenoble a interpellé la préfecture en d’autres termes, mais avec les mêmes constats  : ceux du non-respect des principes d’inconditionnalité et de continuité. «  La DDASS de l’Isère nous a demandé verbalement de revenir au principe de «  3 nuitées  » pour les Roms, demandeurs d’asiles et sans-papiers  »  ; ou encore «  La DDASS de l’Isère, avec l’aval de la préfecture, de certaines associations et de notre institution a demandé que le dispositif hivernal ne soit ouvert que partiellement  ». Ce courrier émanait de l’ensemble des salariés du PHU, et était porté par le directeur du Centre d’accueil municipal de Grenoble (voir encart), annonçant par ce biais une grève administrative. Ils n’ont pas été plus écoutés.

Stop and go

Pour les habitués de la gestion des flux, la préfecture et ses collaborateurs appliquent donc une politique de «  stop and go  ». En gros, on ferme les yeux sur les problèmes qu’on voit poindre gros comme des camions, et on y trouve une solution in extremis, au moindre coût. Des exemples  ?
Durant l’hiver, compte tenu de la saturation des dispositifs d’accueil, s’est ouvert en catastrophe à Meylan un nouveau lieu d’accueil, un ancien local d’entreprise dénommé pour le coup «  Mimosas  ». Un nom de fleur c’est plus élégant que «  cage à lapin  ». Les conditions d’accueil y ont été lamentables selon les acteurs de terrain. Comment ne pas voir dans cette absence complète d’anticipation un choix des pouvoirs publics  ?

La sortie de la période hivernale offre son lot d’ignominie. Au 31 mars dernier, de nombreux demandeurs d’asile ont dû quitter un hébergement installé à Pont-de-Claix pour la période hivernale. Suite à la mobilisation d’acteurs de terrains, d’associations et au relais de certains médias, une solution de relogement avait été trouvée la veille (  !) et ce pour quatre mois, rue Hoche, à Grenoble, dans un immeuble appartenant à Grenoble Habitat, une SEM5 où la ville de Grenoble détient 51% du capital. Mais, ironie du sort, ils ont appris qu’ils devaient quitter ce lieu le 30 avril pour… la rue. Nouvelles mobilisations, portées notamment par l’ADA (Accueil Demandeurs d’Asile) et Médecins Du Monde, et nouvelles réponses précaires devant l’engouement médiatique lié à l’installation d’un camp de réfugiés au parc de l’Alliance le 29 avril dernier.

Nombres de personnes sont donc restées dehors tout l’hiver, ou avec des solutions extrêmement provisoires et précaires. Les Roms ont été maintenus totalement à l’écart des dispositifs et les demandeurs d’asile ont peiné à faire valoir leur droits en étant ballottés d’un lieu à un autre en fonction de la couverture médiatique.
De nombreux demandeurs d’asile qui sont restés à la rue ont - avec l’aide de l’ADA - interpellé la préfecture via des référés portés au tribunal, assignant cette dernière pour non respect de ses obligations légales.
Si on en revient à la logique de marché et à la compétence du gestionnaire, ces hauts responsables de la Préfecture et de la DDASS mériteraient bien un licenciement pour faute grave… Avec parachute doré ou toile de tente Quechua ?

Où sont les centres d’hébergement d’urgence ?

Les centres d’hébergement d’urgence existants à l’année en Isère, sont, par nombre de places décroissant  : le Centre d’accueil municipal à Grenoble (géré par le CCAS de Grenoble, 55 places), Silène à Grenoble (géré par l’association l’AREPI, 44 places), le Logis des Collines à Voiron (géré par le Relais Ozanam, 12 places), l’Etape à Bourgoin (géré par le CCAS de Bourgoin, 10 places), l’Accueil de Nuit à Vienne (géré par le CCAS de Vienne, 10 places), et quatre autres centres de 4 à 6 places, trois étant gérés par une association bénévole (Loginuit, la Halte Saint-Martin et l’Abri sous la Dent) et un par l’Union mutualiste pour l’habitat et l’insertion des jeunes. Des petites structures existent aussi à à Pont de Beauvoisin, Bourg d’Oisans, la Côte Saint André, ou Crolles. En tout il y a environ 160 places.

Notes

[1Rendons à César ce qui est à Patrick Declerck, auteur de divers articles et livres sur la désocialisation, l’errance et l’alcoolisme, dont Le sang nouveau est arrivé et Les naufragés.

[2La Direction départementale des Affaires sanitaires et sociales était encore récemment l’administration déconcentrée de l’État, chargée, au niveau départemental, de l’application des politiques sanitaires, sociales et médico-sociales. Dans le cadre de la réforme de l’administration territoriale de l’État, les DDASS ont disparu le 1er avril 2010. Depuis le 1er janvier 2010, leurs attributions dans le champ de l’action sociale ont été transférées aux nouvelles DDCS (Direction Départementale de la Cohésion Sociale)

[3La circulaire relative aux mesures pour l’hébergement et le logement sur l’hiver 2009-2010 est téléchargeable sur le site de la Fédération Nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale (FNARS)

[4Ce collectif est composé de professionnels du social issus de champs différents qui souhaitent se mobiliser collectivement et unitairement afin de remettre du sens dans leurs pratiques et leurs interventions sociales, qui tendent à laisser les personnes de côté au profit d’une logique de gestion.