Accueil > Octobre 2009 / N°02

Cité Jean Macé : Le «  dernier village gaulois  » survivra-t-il à la métropole ?

Après la démolition-reconstruction de leurs immeubles, les habitants de la cité HLM Jean Macé s’apprêtent à voir pousser 11 tours de 30 mètres dans le terrain vague voisin.
Ces changements affecteront-ils l’ambiance «  villageoise  » régnant au sein de cette vieille cité ouvrière ?

Suivez les quais de l’Isère, rive gauche. Passez le Centre d’Accueil Municipal, la fourrière, un terrain de boules, un skate park : vous arrivez à des barres d’immeubles hautes de 4 ou 5 étages, vieillies par le temps ou flambant neuves : c’est la cité Jean Macé, une des plus anciennes cités ouvrières de Grenoble. Pas un commerce à l’horizon, sinon une épicerie-bar.

«  Globalement moi je suis content de mon nouvel appartement, c’est plus grand et plus confortable ; mais après on est un peu nostalgique de la vieille cité.  » Alain habite la cité Jean Macé depuis 1982. Il a emménagé il y a un mois dans un appartement tout neuf, à 200 mètres de son ancien chez-lui. Le loyer a pratiquement doublé, c’est le coût du confort : un chauffage performant, des sanitaires pratiques et des pièces plus grandes. Demain il ira déménager ses dernières affaires et effectuer l’état des lieux de son vieil appartement, niché dans un des derniers immeubles pas encore démolis.

Pas facile pour tout le monde d’accepter la destruction des vieux bâtiments. Certains auraient préféré qu’ils soient réhabilités et non détruits. Roger Grillot, vice-président de l’Union de Quartier, vit ici depuis soixante-dix ans. Il se souvient : «  Normalement ces immeubles auraient du être réhabilités mais quand les gars des entreprises sont venues pour faire des travaux à l’intérieur et à l’extérieur, ils n’ont pas voulu continuer. Ils ont dit «  non non, c’est du sable, on peut pas travailler dans du sable  ». Ils ont alerté ACTIS [NDR : Bailleur social, propriétaire des immeubles] et des gars sont venus faire des analyses qui ont montré que tout était pourri ».

Un état dû à la mauvaise qualité des matériaux et aux conséquences de la guerre pour ce quartier qui abrita de nombreux résistants. « On a eu pas de mal de problèmes dans les années 40, poursuit Roger Grillot, c’est pour ça que la cité est vétuste. Les bombardements de Saint-Martin-le-Vinoux et du Polygone, les bombes sont tombées pratiquement chez nous. Dans mon appartement, je n’avais plus rien. Sur quatre pièces, j’en avais plus qu’une. Ça a fragilisé les bâtiments qui étaient fabriqués en mâchefer. Ce mâchefer s’est mal marié avec le béton.  »

Les chaises sur le troittoir

Construite au début des années 1930, la cité Jean Macé est - avec l’Abbaye et Capuche - une des plus vieilles cités ouvrières de Grenoble et accueille dans ses immeubles HLM les ouvriers et leurs familles des abattoirs, de la SNCF ou de l’usine voisine de Merlin-Gerin. S’y développe rapidement une ambiance particulière due en partie à sa localisation, coincée entre la voie ferrée et l’Isère et relativement isolée des autres quartiers. «  Des marchands ambulants passaient régulièrement, du fait de l’isolement du quartier : le laitier catalan, avec sa remorque à l’arrière du vélo ; le coquetier, en camion ; les chiffonniers qui se dénommaient «  Pâtes et peaux  » ; de temps en temps, un chanteur de rues ou un marchand de tapis ; un cirque venait parfois s’installer sur la place ; il y a même eu des séances de cinéma ambulant  » témoigne René Gontard, dans le livre Jean Macé Les Abattoirs, Mémoire pour demain.

Une ambiance un peu «  villageoise  », avec des liens d’entraide et de convivialité palliant la pauvreté de la majorité des habitants. Une autre époque. Les gens vivent dehors : «  On mettait les chaises sur le trottoir, y avait pas de télévision, et on restait dehors tard le soir. Ça discutait (...) Il y avait des lavoirs dans le parc, les mamans ne travaillaient pas à l’époque et venaient laver le linge au bassin. Il y avait une fanfare de la cité. Pour la coupe du monde du Mexique, on avait fait un repas de quartier, on était 350. On avait gagné le Brésil. » se souvient Roger Grillot.

Au fil des ans, la télévision débarque dans les appartements, les abattoirs déménagent, Merlin-Gerin devient Schneider, la moyenne d’âge des résidents augmente considérablement, mais l’ambiance reste. Pascale est venue s’y installer récemment, par choix : «  Ma grand-mère habitait là, je suis allée à l’école ici. C’est après que je me suis installée, je voulais habiter la cité Jean Macé. » C’est un peu «  le dernier village gaulois  » comme le proclame une pancarte affichée par Roger à l’entrée de la cité. Un quartier aux relations chaleureuses et sans problèmes, déjouant les préjugés, pour Maurice Fournier, le président de l’Union de Quartier : « On avait tout pour faire un quartier difficile : logements sociaux à 100%, grande isolation, présence à proximité de beaucoup de structures sociales (Centre d’Accueil Municipal, foyer d’accueil...), des gens du voyage... Mais non il y a toujours eu une très bonne ambiance ici, conviviale, solidaire, il n’y a jamais eu de problèmes...  »

Alors que des fissures apparaissent peu-à-peu sur les bâtiments, la décision de démolir est prise au début des années 2000. Croyant au départ se faire berner, puis convaincus par l’état «  sablonneux  » des murs, beaucoup d’habitants se résignent finalement à cette destruction par tranche, obtenant la garantie de pouvoir continuer à vivre ici pour ceux qui le souhaitent.

Aujourd’hui, quatre bâtiments ont repoussé à la place des anciens. Trois autres sont quasi vides et attendent une démolition imminente. Seule une famille, devenue propriétaire dans les années 1980, refuse le prix au rabais proposé par le Domaine de l’Etat et reste pour l’instant dans ses deux appartements ; laissant la démolition de cet immeuble en suspens. Un dernier bâtiment, abritant le bar-épicerie et une vingtaine de logements, construit plusieurs années après les autres, devrait échapper à la démolition – au moins pour quelques temps.

Les habitants des premiers immeubles détruits, relogés dans d’autres quartiers, ne sont pour la plupart pas revenus habiter ici, bien que prioritaires. Ceux qui ont pu déménager directement dans un nouvel immeuble sont par contre majoritairement restés. Certains se plaignent de plusieurs détails à priori dus à une constructions trop rapide (pièces trop petites, fuites, mauvaise isolation phonique, vis-à-vis trop proches...). Pour d’autres l’esthétique pose question : «  Moi, de l’extérieur, ça me plaît pas trop, explique Roger Grillot. Pour moi personnellement, l’immeuble de la rue Charles Bertier, on dirait une usine Je sais pas si vous avez vu Bonne, mais c’est pas plus brillant. »

Peut-être est-ce une question de goût, opposant les âmes sensibles au «  charme des vieilles choses  » et celles imbues de modernité. Mais on ne peut s’empêcher de trouver cette architecture peu sympathique tant elle manque d’originalité. Les nouvelles résidences de Jean Macé ressemblent comme deux gouttes d’eau à celles de Saint-Bruno-Berriat, Stalingrad, ou Vigny Musset, ou à celles de toutes les grandes villes de France. Les mêmes bâtiments carrés, lisses, avec les mêmes fenêtres et les mêmes balcons. Les mêmes entrées avec badge magnétique et interphone digital, les mêmes batteries de boîtes aux lettres, les mêmes ascenseurs, les mêmes montées d’escaliers sans fenêtres. Et entre les résidences, les mêmes parcs avec les mêmes allées, les mêmes jeux d’enfants, les mêmes bancs, les mêmes pergolas, les mêmes grilles. Une uniformité plutôt déprimante...

Une uniformité qui va jusqu’à la dénomination ; le mot «  résidence  » désignant maintenant quasiment toutes les nouvelles constructions. Ce que déplore Pascale : «  C’est important qu’il y ait une mémoire, les mots restent des mots et j’ai vu qu’ on avait remplacé «  cité  » par «  résidence  » Jean Macé, ben non c’est cité Jean Macé ! Il y a eu des cités ouvrières, il faut que ça reste et c’est pas un déshonneur que d’habiter une cité. »

L’architecture ne fait pas tout de la vie d’un quartier mais influence les relations sociales. La configuration ancienne des bâtiments n’est certainement pas pour rien dans l’ambiance villageoise ayant régné dans la cité. Cette ambiance renaîtra-t-elle dans ces nouvelles résidences ?

Des tours décidées sans détour

Un nouveau projet vient de voir le jour sur le grand terrain d’à côté, vide depuis le déménagement de l’usine H de Schneider. BNP Paribas, en coopération avec la ville et Grenoble Habitat, envisage d’y construire 11 tours de 30 mètres de haut, pour 550 logements.

Ce projet ne convient pas aux membres actifs de l’Union de Quartier. Travaillant depuis un moment au devenir de cette friche, ils avaient réalisé un document de travail composé de 13 propositions. Mais la concertation a tourné court. En mars 2009, BNP Paribas et la mairie ont finalement pondu un projet qui ne prenait quasiment pas en compte les propositions avancées. Ce qui est resté au travers de la gorge de Maurice Fournier : «  Le 2 octobre 2008, pour l’AG de l’UQ, on a présenté notre projet devant de nombreux élus qui ont été vraiment surpris par le travail réalisé. Destot m’avait personnellement félicité et m’avait répété son admiration. On a ensuite eu une autre réunion où on nous a demandé de réécrire notre projet. Mais quand on est arrivé à une réunion en février, c’était des gens différents avec des maquettes différentes sans aucune référence à ce que l’on avait écrit. Après ils en ont pris un peu en compte. Mais on nous a mené en bateau, on nous a laissé croire qu’on mûrissait ensemble, alors on a été heurté, choqué par le déroulement  ».

Les membres de l’Union de Quartier, vexés, décident de ne pas laisser passer ça. Ils écrivent au maire et font circuler une pétition, signée par plus de 300 personnes du quartier qui compte 500 boîtes aux lettres. Elle proclame notamment que «  ce projet est un affront environnemental fait aux habitants du quartier, et plus encore aux espoirs nés de la concertation avec l’Union de Quartier et du travail de fond réalisé et signé par vous, Monsieur le Maire, Mesdames et Messieurs les Conseillers Municipaux à travers la Charte de Démocratie Locale.  »

« On ne rejette pas pour autant tout ce qui se fait au niveau de la Charte de la Démocratie Locale, précisent Maurice Fournier et Alain Lauriot, beaux joueurs. On estime que c’est une grosse erreur de départ et on espère que ça va s’améliorer.  »

Outre le manque de concertation, les membres de l’Union de Quartier reprochent à la ville et BNP Paribas la taille des tours et leur mauvaise intégration architecturale dans le quartier. Mais le principal point de désaccord porte sur le nombre de logements (550) qu’ils jugent beaucoup trop important (eux en voulaient 300). Pour Maurice Fournier, «  cela va être compliqué de recréer une ambiance de quartier avec une arrivée aussi massive de foyers. Cela va doubler la population du quartier. La densité est beaucoup trop élevée, elle sera une fois et demie plus élevée que dans le reste de la ville, où elle est déjà importante (...) Ce qui intéresse un promoteur immobilier, c’est la rentabilité économique de son projet [NDLR : BNP Paribas doit en effet gagner de l’argent pour offrir des bonus à ses traders.]. Nous, ce qui nous intéresse c’est la cohérence sociale. La Ville est entre les deux, essaye de prendre en compte nos demandes mais n’est pas contre le projet de la BNP car elle veut gagner des habitants. Les choix de la mairie en ce moment, c’est de densifier  ».

Avec sa réhabilitation, 11 tours prochainement voisines et le développement du projet Giant sur le reste de la Presqu’île, le «  village  » Jean Macé s’apprête à faire partie intégrante de la métropole rêvée par Destot. Survivra-t-il à cette intégration ou deviendra-t-il un quartier comme on en trouve dans toutes les métropoles, lisse et
sans ambiance ?

Une ville plus bétonnée, plus dense, et plus grande

La densification est un des objectifs de la municipalité Destot III : Caserne de Bonne, Bouchayer-Viallet, GIANT (requalification urbaine du Polygone Scientifique) : autant de projets passés ou à venir visant à reconstruire la ville sur la ville et augmenter le nombre d’habitants au mètre carré. Le projet des 11 tours de BNP Paribas rentre également dans cet objectif et fait partie de la stratégie de Destot pour que sa ville obtienne le statut de «  métropole  ». Le Daubé : «  Vous semblez attaché à la notion de métropole ? Michel Destot : «  Il s’agirait à l’échelle du Sillon Alpin de rapprocher Grenoble de Chambéry et de Valence, afin de faire un grand pôle. Je souhaite que Grenoble soit retenue comme métropole au niveau national, il faudrait pour cela que les critères de sélection ne soient pas seulement démographiques. Et se battre pour ça c’est aussi fort que de se battre pour les Jeux. Une ville entourée de montagnes comme Grenoble nous invite à raisonner à trois dimensions. On pourrait imaginer des tours qui offriront plus d’espaces.  » (Le Daubé, 22 /07/09)
On voit que le prétexte de la densité - «  lutter contre l’étalement urbain  » - ne tient pas, car ces projets rentrent dans le cadre d’une politique d’attractivité de l’agglomération, qui entend attirer dans la cuvette toujours plus de personnes, notamment à hauts revenus, avides de villas à la campagne. C’est-à-dire que la densité n’empêchera pas l’étalement urbain et qu’elle rajoutera encore un peu plus de pollution et de difficultés de circulation. Les futurs habitants des tours du terrain Schneider et de la cité Jean Macé seront d’ailleurs aux premières loges car la Rocade Nord – si elle se fait – passera juste à côté, entre les tours et la cité, sur un viaduc à quinze mètres du sol.
Faut-il améliorer l’attractivité et densifier la ville alors que dans une «  cuvette finie  », on ne peut pas avoir un développement infini ? Ne faudrait-il pas plutôt vouloir privilégier des petits projets, donnant la priorité à la qualité de vie, plutôt que de tout faire pour attirer les investisseurs ?