Accueil > Février / Mars 2012 / N°14

Dans les archives du Postillon

Profitant de l’absence renouvelée de Père Castor, nous avons exhumé quelques passages savoureux du Postillon de l’Isère, première version de notre journal ayant existé entre mai 1885 et mai 1886. Ces quelques morceaux choisis permettront au lecteur de se faire une vague idée de l’époque et – pourquoi pas ? – de rire un peu.

Nos candidats

«  Les candidats du Postillon, nous ne rougissons pas de le dire car nous avons le courage de nos opinions sont les citoyens Durand, Gauthier, Paviot, Jouffrey & Guichard, que nous recommandons chaleureusement aux suffrages de nos lecteurs parce qu’ils ont eu la bonne inspiration – pour ne pas dire la lâcheté – de nous graisser la pâte. Soyons donc francs !
M. Durand nous a fait présent d’une mèche des cheveux de son beau-père, M. Marion, sénateur. On pourrait voir cette mèche dans nos bureaux, si nous en avions, de 11h55 à midi, les jours de payement des dividendes du Postillon. M. Gauthier nous a séduit par l’envoi d’un muid de Pommard, originaire de ses vignes de betterave. M. Paviot nous a octroyé la faculté de le baiser sur le crâne, tous les 15 du mois. M. Jauffray nous a promis de nous faire décorer tous, rédacteurs autant que nous sommes, du Mérite agricole s’il devient député. Et le père Guichard, ce grand redresseur de torts en général et de l’Isère en particulier, nous a donné l’assurance qu’il ferait redresser le déplorable caractère de notre pingre gérant.
Nous ne pouvons donc pas, vaincus par ces munificences, nous refuser à insérer les documents qui concernent nos chers candidats.

Voici en conséquence la profession de foi de Mr Durand :

Electeurs,
Gendre de mon beau-père, et peut-être beau-père un jour, moi-même, je viens solliciter vos lumineux suffrages. Ancien sous-préfet et peut-être bientôt aussi ancien candidat, j’ai toujours pensé que la profession de député conviendrait à ma belle nature. Nommez moi et vous ferez le bonheur de deux familles.
L’oisiveté est pour la jeunesse mauvaise conseillère.
Or j’ai vu fleurir seulement trente fois les pruniers.
Il est temps que je songe à être quelque chose, à travailler à votre bonheur et au mien. Citoyens, voulez-vous relever le niveau des pommes de terre ? Voulez-vous la supression des hannetons et la propagation de la brosse à dents ?
Votez pour Durand !

Maintenant la profession de foi de M. Gauthier :

Citoyens,
On a dit que j’étais bonapartiste : c’est exact et cela tient à ce que je ressemble étonnament à Napoléon III. Mais, me direz-vous, êtes-vous toujours bonapartiste ? Parfaitement, seulement si je vous disais que je le suis, vous ne voteriez pas pour moi, et c’est pour ce motif que je vous dis que je ne le suis pas.
Si vous me demandez par quels services je me suis signalé jusqu’ici à l’attention de mes concitoyens, je vous répondrai que je suis l’inventeur du navet vinicole, qui est appelé à remplacer le Chasselas. J’ai appliqué la sangsue au traitement de l’oïdum et je suis l’auteur d’un projet sur l’emploi du clysopompe dans l’agriculture.
Voilà !
C’est-à-vous de vous prononcer !

Voilà la profession de foi de M. Paviot - Anatole pour les dames  :

Cultivateurs,
L’agriculture et moi sommes les deux mamelles de la France.
L’engrais est le nerf de la terre !
Vive la Commune !

Paviot, agriculteur, insouciant comme un papillon bleu.

Mr Jouffray nous communique de son côté sa profession de foi :

A exyonghk,
Bq rmestrnor, stustt ijkl, stuv rstk, mrstnqzu. Abrusorst ijons idfgklm stoxy.
Jouffray

Ce n’est pas très clair mais le candidat Jouffray ne sait pas autrement écrire.

Le père Guichard de St-Agnès nous adresse de son côtés son programme :

Mes agneaux,
Je suis le père Guichard, l’éleveur de bovines, le candidat des maris malheureux. Je viens solliciter le suffrage de toutes les bêtes à cornes, ce qui doit m’assurer la majorité dans le département.
Je rappelerai ici, que Victor Hugo a, naguère, patronné ma candidature et que le peintre Blanche a reproduit mes traits.
Le redressement de l’Isère, le nivellement des montagnes et le raccordement de la rue Très Cloître avec la rue Chenoise, seront l’objet de mes constantes préoccupations.
Nommez-moi et crions ensemble : Vive l’empereur !

Guichard.

Le Postillon de l’Isère, septembre 1885

Excelsior !

De plus en plus haut !... Telle est notre devise. Où allons nous nous arrêter ?... Point d’interrogation ! (…) Ces réflexions nous sont inspirées par la transformation prochaine du Postillon de l’Isère. Transformation, hâtons nous de le dire, tout à l’avantage de nos lecteurs qui ne pourront qu’y trouver que des attraits nouveaux. En effet au lieu d’une page d’illustrations, notre journal en consacrera désormais deux à des croquis d’actualité locale. Cette modification est des plus précieuses. Nous pourrons ainsi accorder beaucoup plus de places à la reproduction de bizareries de Grenoble et à la caricature des types originaux de notre cité.
Nos lecteurs nous «  sauront certainement gré  » de cette ingénieuse innovation.
Quand je dis «  nos lecteurs  » j’exagère.
Car on ne lit plus.
Non. On ne lit plus. C’est constaté, reconnu et jugé très naturel.
Dans un siècle de vapeur, d’électricité, de téléphonie et de dynamite, comme celui qui a l’honneur de nous posséder, on comprend aisément qu’on ait plus le temps de lire. On a bien d’autre chose à faire !
Et l’on a bien raison de ne plus lire, d’abord, parce que l’on écrit plus que des bêtises, ensuite, parce qu’il importe, avant la nourriture de l’esprit, de se procurer la pâture du corps, qui est beaucoup plus essentielle.
Le règne du Time is money de nos voisins chez nous commence.
Gagner du temps, telle est la seul, l’unique, la plus grande affaire.
Le temps, c’est de l’argent.
Si donc le temps est devenu si précieux de nos jours, toutes les personnes qui se paient Le Postillon comprendront maintenant pourquoi nous diminuons notre texte.
En leur épargnant de trop longues lectures et en leur faisant gagner du temps, c’est pour leur faire gagner de l’argent.
Et notez bien que nous ne leur apprendrons pas moins de nouvelles. Seulement nous leur apprendrons plus vite et sans effort. Les yeux embrassent plus rapidement deux grandes pages de dessins que six colonnes compactes et serrées.
La lecture du Postillon deviendra donc une source de revenus. Et nous comptons bien sur la sincérité de nos amis pour la recommander à leurs connaissances. Voilà  ! (...)

Le Postillon de l’Isère, octobre 1885