Accueil > Automne 2019 / N°52

Dans les poubelles d’Obey

Les écolos grenoblois adorent le street art, mais le street art est-il écolo ? Le Postillon a fouillé les poubelles de Shepard Fairey, la mégastar du street art, de passage à Grenoble en juin dernier.

C’est fou ce qu’on peut trouver en fouillant les poubelles. Tenez, l’autre soir, je passais boulevard Maréchal Joffre juste à l’instant où Shepard Fairey finissait sa fresque géante pour la cuvée 2019 du Street Art Fest. Cet artiste américain plus connu sous le nom de Obey est une super star mondiale du street art (tellement chic que Macron a exposé une de ses œuvres dans son bureau), réalisant des fresques géantes autour de l’écologie, des droits de l’Homme et de lui-même. Celle-ci n’échappe pas à la règle ; on y voit une femme entourée de roses encadrant le logo de l’artiste suivi du mot (ô combien subversif) « peace » en lettrines art déco.

Ce 6 juin, alors que la fresque a été réalisée en une seule journée, je remarque un gros tas de poubelles au bas de l’immeuble. Pas juste quelques bombes qui traînent, 7 gros sacs industriels remplis de merdier. J’en prélève un – environ 10 kilos, le plus petit – que je transporte chez moi pour inventorier son contenu. Le voici :

  • 6 bombes de peinture « blanc malte » et 3 bombes de rouge clair de marque Montana, toutes encore un peu remplies. Fabriquées en Espagne, elles contiennent du xylène, de l’éthylbenzène et plein d’autres substances imprononçablement toxiques.
  • 4 bombes de colle repositionnable 3M « super 77 » de 500 ml. Fabriquées en Pologne, elles sont nocives pour les milieux aquatiques, nous apprend l’étiquette.
  • Environ trois kilos de papiers déchirés et roulés en boule recouverts de la colle et des peintures susmentionnées.
  • Des éclats de ciment.
  • 14 lames de cutter émoussées et leur emballage américain.
  • 23 « caps » de bombe – ou diffuseurs –, la plupart inutilisés.
  • 15 bouchons d’aérosol en plastique.
  • Diverses cannettes (Orangina, Coca…) et 3 bouteilles d’eau en plastique bien vides.
  • Une dizaine d’impressions en A3 du dessin.
  • Plein de gants en latex noir collés au reste.

L’ensemble constituait un amas entremêlé et collant, impossible à recycler. Alors je me suis renseigné et j’ai compris comment Obey travaille. Son équipe (pour la fresque à Grenoble, ils étaient trois) reproduit et agrandit le dessin en apposant un gigantesque pochoir du dessin sur le mur peint préalablement en noir. Pour cela, le dessin est imprimé industriellement sur des dizaines de pièces en papier qui sont ensuite assemblées sur le mur à l’aide de colle repositionnable. Les parties imprimées des papiers sont enfin détourées au cutter puis arrachées du mur pour créer un pochoir géant. Il ne reste plus qu’à remplir les surfaces évidées à la peinture aérosol et décoller le reste de papier.
C’est ce qui explique pourquoi le trait de ses fresques n’a pas la douceur brumeuse d’un coup de bombe de peinture mais ce rendu lisse. Quand on observe de près on voit en réalité des contours légèrement rugueux qui suivent les déchirures des feuilles coupées hâtivement au cutter.
C’est surtout ce qui explique comment l’équipe parvient à réaliser une fresque géante en l’espace d’une journée, et pourquoi ça produit autant de déchets.

En revanche cela n’explique pas pourquoi Obey est incapable a minima d’utiliser de la peinture et de la colle à l’eau, de trier ses ordures voire même de savoir peindre pour de vrai. Tout ça coûterait plus cher et prendrait plus de temps, c’est vrai. Il faut croire que ce Californien richissime qui passe sa vie dans les avions pour donner des leçons de morale à la terre entière avec ses montages Photoshop reproduits en XXL est pris par la logique qu’il dénonce dans ses œuvres : quand il faut choisir entre écologie et rentabilité, il choisit la seconde, et garde la première pour l’affichage.