Scénario béton.
Un casting parfait. Prenez d’un côté Grenoble ouverte sur l’international avec ses 18 jumelages et coopérations. « Grenoble, Ville du monde » se vante le Daubé. Son maire très impliqué à l’international, d’ailleurs député vice-président de la commission des Affaires Etrangères et « fier de sa ville quand elle est généreuse comme avec Ouagadougou ». L’Internationale donc mais aussi la Généreuse Grenoble. Celle qui aide.
Prenez de l’autre côté - de la méditerranée - Ouaga. Capitale du Burkina. Ex-territoire de l’Afrique occidentale française. Avant dernière place des pays les plus pauvres de l’Afrique de l’Ouest. Terre de prédilection des ONG françaises . 120 collectivités françaises sont en coopération au Burkina. Ouaga et ses 2 millions d’habitants. Pour Le Daubé (7/12/2004) , c’est « la ville de l’accueil, des danses de bienvenue, des ‘bon séjour’, des ‘vous êtes chez vous’ ».
La magie d’une union.10 ans déjà. Et on ne sera pas déçu d’apprendre que pour Michel Destot « quand on fait le bilan de tout ce qui a été réalisé en dix ans, c’est exceptionnel ». Coopération décentralisée réussie avec la construction d’une salle de spectacle à Ouaga. Mais coopération citoyenne aussi avec des jumelages entre quartiers. L’union de quartier Alliés-Alpin se lance dans un centre de formation en coiffure. Berriat, dans la construction d’un point lecture. Ca tombe bien. « Je veux renforcer l’équilibre de paix en Afrique et les valeurs de solidarité chez nous » affiche Michel Destot.
Les mots doux. En tout cas, une chose est sûre, la force de cette coopération tient avant tout aux relations humaines qui se sont établies. « C’est une rencontre entre deux maires. Nous sommes deux élus qui avons les mêmes valeurs, les mêmes conceptions » explique l’édile grenoblois. Et quand il aime, Michel, il ne lésine pas : « Bonheur d’être ensemble », sentiment « d’appartenir à une même famille ». « Le Maire de Grenoble répète que ‘Monsieur Simon Compaoré est le meilleur maire de l’Afrique de l’Ouest’ » (Le Daubé 09/03/2003). Avec autant de belles paroles, c’est sans surprise qu’on le voit passer 50 minutes avec le chef de l’Etat du Burkina , Blaise Compaoré (c’est un homonyme de Simon Compaoré et non son frère). « D’ordinaire Son Excellence ne reçoit pas plus de vingt minutes. Quel honneur pour notre ville ! ». Inauguration d’un parc de Ouagadougou à Grenoble. D’une rue de Grenoble à Ouaga. Et si vous voulez les détails croustillants, les Nouvelles de Grenoble dévoilent qu’ « à Ouagadougou, on a le sens du clin d’œil : pour se déplacer sur les bords de l’Isère, la délégation ouagalaise, emmenée par Simon Compaoré, comptait exactement 38 personnes ».
Masques en bois
Simon et sa ville. Bien loin du modèle de vertu brossé par les autorités grenobloises, Simon Compaoré, maire de Ouaga, est pour ses administrés le chef d’une police municipale, mi-milice, mi-bande de raquetteurs appelés « les enfants de Simon ». La gestion de sa capitale, qu’il aime entendre appeler « Simonville » oppose les arrogantes habitations des quartiers riches où logent les profiteurs du régime et les trafiquants de toute l’Afrique de l’Ouest, au dénuement et à l’abandon total des zones et quartiers périphériques. On est donc en droit de se demander pourquoi Simon Compaoré serait « le meilleur maire de l’Afrique de l’Ouest ». Pour son implication dans la torture de dizaines d’étudiants en grève ? Parce qu’il profère des menaces de mort contre un des dirigeants du Mouvement Burkinabé des Droits de l’Homme et des Peuples ? Ou parce que sa gestion municipale consiste principalement à faire installer des poubelles dans les quartiers administratifs et afficher son portrait sur les bus municipaux [1] ? Ou bien encore parce qu’ « il aurait dernièrement déclaré que la ville n’était tout simplement pas faite pour les pauvres » [2] - ce qui expliquerait les nombreuses politiques de déguerpissement [3] à Ouaga ?
Michel chez le président du Faso. Et si Michel Destot ne se gêne pas pour entretenir des complaisances de mauvais goût avec son ami Simon (le maire), il n’oublie pas non plus de s’afficher avec Blaise Compaoré (le président). En lui offrant même au passage une belle gravure des quais de l’Isère du XVII° siècle. Faut-il lui rappeler comment il se maintient au pouvoir depuis 23 ans ? 1987 : Blaise Compaoré arrive au pouvoir avec la participation active des réseaux françafricains par un putsch contre Thomas Sankara, celui qui incarnait la lutte contre les dépendances néocoloniales. Depuis, Blaise Compaoré s’est maintenu à la tête du pays à coups de fraudes électorales et d’arrangements sur mesure de la constitution. Corruption, escroqueries et assassinats politiques maquillés en accidents sont monnaie courante au Burkina. Et quand on serre la main à Simon Compaoré ou à Blaise Compaoré, on sert la main au même système. François Xavier Vershave, ancien président de l’association Survie, décrit ce système dans une dizaine d’ouvrages sur les relations franco-africaines comme celui qui a assassiné le journaliste Norbert Zongo, qui a volé l’or du Burkina, qui a organisé des guerres civiles au Libéria et au Sierra Leone. C’est bien à ces gens là qu’on serre encore et toujours la main. Et cette reconnaissance, le Burkina en a bien besoin, car comme le clame l’association des jeunes pour la candidature de Blaise Compaoré [4] « Nous n’avons pas de pétrole mais nous avons Blaise Compaoré » (sic). La diplomatie s’érige ainsi en ressource précieuse pour les dirigeants du Burkina qui comptent sur la capacité de Ouaga pour accueillir un maximum d’entreprises tertiaires, de colloques internationaux et d’ONG.
Vu de Ouaga. Pour le mouvement démocratique burkinabé, organisé dans le Collectif contre l’Impunité qui s’est mis en place après l’assassinat du journaliste Norbert Zongo en décembre 1998, « la présence de Simon Compaoré à Grenoble est ressentie, à juste titre, comme une caution à l’impunité, aux assassinats et aux crimes économiques » [5]. Ce à quoi aspirent les résistants africains aujourd’hui, c’est bien d’en finir avec la dictature, ces dictatures soutenues par la France et non à un projet de plus qui sert en même temps à légitimer des criminels. Ne pas nuire en prétendant aider. « C’est bien de faire des puits, des jardins de la musique, mais il serait peut être mieux de donner la parole aux associations qui luttent depuis des années pour savoir de quoi ont besoin les populations. La coopération décentralisée serait vraiment efficace si elle était mieux utilisée et si elle prenait en compte toute la population » témoigne une membre de l’organisation démocratique de la jeunesse au Burkina [6] invité par le Conseil Consultatif des Résidents Etrangers Grenoblois [7]. Et si elle permettait à tous de profiter de ce qui s’est construit… Alors que, au jardin de la musique, fruit de la coopération, les artistes critiques envers le pouvoir n’ont pas vraiment leur place [8].
Décor en carton-pâte
On passe au salon de coiffure ? Fin 2006. La coopération citoyenne bat son plein. Le quartier grenoblois Alliés-Alpins entre en coopération avec le quartier ouagalais de Dapoya. Grenoble invite Pauline Traoré, adjointe au maire de Ouaga, pour lancer le jumelage citoyen entre quartiers d’ici et là bas. Pourquoi ? Parce que cette coopération d’habitants à habitants tourne autour d’une seule personne à Dapoya, cette adjointe au maire qui faisait partie d’une délégation officielle en voyage avec le maire de Ouaga à Grenoble. Pour lancer des parrainages d’enfant. « Au début, on devait agrandir un centre social de quartier. Pauline Traoré nous a envoyé des devis farfelus, c’était plus cher qu’ici ! » témoigne un membre de l’Union de quartier Alliés Alpins6. Pas grand-chose de concret donc. A l’exception des voyages bien sûr. Et la petite élite politique locale qui essaye de prendre du grade quand viennent les blancs. La dernière ? Bientôt un salon de coiffure…école bien sûr ! Le matériel était déjà stocké à Grenoble alors que peu de choses avaient été vraiment pensées sur place. Sur quelles bases ce super projet est né ? Parce que Grenoble avait du matériel tout prêt à envoyer et des gens qui avaient « envie d’aider » ? Ou parce que l’adjointe au maire voulait créer un salon de coiffure dans son quartier ?
Salle de lecture. Dès 1999, le quartier de Berriat s’est jumelé avec le quartier ouagalais de Gounghin et le projet phare devient cette fois-ci la construction d’une salle de lecture. Mais, l’Union de quartier de Gounghin créée pour l’occasion sera très vite perçue comme illégitime par des habitants. Elle est effectivement née sous un fort contrôle de la mairie. Les membres des délégations sont désignés. Tout se complique vite. Un membre de l’Union de Quartier Berriat explique : « c’est difficile là bas, ça marche pas pareil, il y a une conseillère municipale avec qui on travaille, elle a monté un réseau d’associations et elle est soutenue par le maire parce que c’est comme ça et c’est ce réseau qui a soutenu sa campagne, donc c’est difficile, y’a des gens qui veulent pas rentrer dans ce réseau. Mais nous on connaissait que ces gens là, du coup on était aussi étiqueté politique là bas. Le problème de la conseillère c’est qu’elle nous a trimbalés dans sa campagne, moi sur le coup j’ai pas compris, et toutes ces associations de femmes elles ont rien eu de notre part, bah non, elles n’avaient pas de projets, on était là comme un cheveu sur la soupe, donc nous on nous met, on nous promène, on nous montre des projets faramineux et ceux qui auraient besoin d’aide ne montent pas de projets.8 » Bilan : une salle de lecture toujours fermée 7 ans après sa construction, quelques uns de nos vieux livres qui n’intéressent plus personne ici et les professeurs de l’école d’en face qui prennent la mouche parce qu’ils n’ont pas été impliqués dans le projet.
Alors à quoi sert cette coopération décentralisée ? A conforter l’image d’une France qui « aide » l’Afrique ? Alors que les Burkinabés continuent par ailleurs de rembourser une dette bien plus importante que toute « l’aide » apportée. Alors que cette dette n’a jamais servi la population. Alors qu’une grande partie de « l’aide » qui arrive là bas n’arrive jamais à ceux qui en ont le plus besoin. A quelques élus au grand cœur qui se taillent une image « solidaire » sur le dos de l’Afrique ? A faire de Grenoble une ville importante qui coopère avec une capitale en vogue de l’Afrique de l’Ouest ? A quelques artistes ouagalais qui viennent répéter dans de bonnes conditions, à condition de ne pas critiquer le pouvoir en place ? A conforter des criminels dans des positions de « respectables élus » ? A combler les pages des Nouvelles de Grenoble ? A trinquer à l’amitié entre les peuples ?
C’est quoi la coopération décentralisée ?
La coopération décentralisée englobe toutes les relations d’amitié, de jumelage ou de partenariat nouées entre les collectivités locales d’un pays et les collectivités équivalentes d’un autre pays. On parle de plus en plus de coopération décentralisée pour enrayer l’image folklorique que revêtait le terme de « jumelage » et pour faire écho à la plus grande compétence des villes, communautés, départements et régions dans le domaine international suite au processus de décentralisation des années 90.