Accueil > Eté 2018 / N°46

Il n’y a pas que les cheminots

L’autre grève de la gare

Qui a dit que les grèves ne servaient plus à rien ? Au niveau national, tous les mouvements de protestation échouent ces dernières années sans pour autant entraîner de changement de stratégie de la part des directions syndicales. Mais à un niveau local, un seul jour de grève peut parfois suffire à arracher quelques petites victoires. Le 7 juin les salariés de la Pyrénéenne de nettoyage, entreprise en charge du nettoyage de la gare de Grenoble, ont arrêté de travailler. Ce qui a fait déplacer le grand patron depuis Perpignan et a abouti à quelques avancées.

Ce jeudi-là, les grévistes de la SNCF ont des invités pour leur assemblée générale : la dizaine de salariés du nettoyage de la gare. Si les cheminots en sont à leur 27ème jour de grève depuis avril, pour eux c’est le premier depuis qu’ils ont été embauchés par la Pyrénéenne de nettoyage en 2011.

Surcharge de travail, heures supplémentaires payées en primes et non en salaires, travail du dimanche majoré à seulement 20% au lieu de 100%, vêtements de travail inadaptés et insuffisants, aucune reconnaissance de leur qualification : les raisons de la grève sont nombreuses. « L’année dernière la gare a été agrandie. Il y a donc forcément eu plus de boulot de nettoyage, par exemple pour les grandes vitres, mais on n’a pas été payés plus d’heures  ». Karim est un chef d’équipe consciencieux (« notre travail est souvent évalué et on a toujours des bons résultats  »), et depuis peu leader syndical. Devant l’autisme de la direction, lui et ses collègues ont décidé de faire grève, ce qui lui a occasionné quelques menaces de la part de son boss. «  Il m’a dit “tu t’es grillé parce que tu t’es mis avec les cheminots” et m’a mis un avertissement.  »

Ça l’a pas démonté, Karim, surtout qu’il est épaulé par des cheminots grévistes et par le syndicat CGT du nettoyage, regroupant des salariés de plein de boîtes différentes du secteur en Isère. Un secteur où les conditions de travail sont parmi les plus dures (bas salaires, horaires morcelés, tâches répétitives,...) mais où quelques victoires s’arrachent souvent parce que leurs patrons tiennent beaucoup à leur image. «  Dernièrement on a obtenu quelques avancées pour celles qui bossent au nettoyage de Minatec, où les conditions de travail ne sont pas du tout high-tech, nous raconte Chantal, militante à l’union locale de la CGT. Il y a quelque temps, ceux de STMicro à Crolles étaient parvenus également à obtenir une prime annuelle de 500 euros pour une centaine de salariés. Si les grèves remportent quelques succès, c’est qu’en règle générale, tous les salariés ou la grande majorité est prête pour l’action. Quand c’est possible, nous favorisons les négociations avec le patron en présence de tous les salariés qui peuvent ainsi dire ce qu’ils ont sur le cœur. Ce qui surprend toujours les employeurs. Les patrons de ces boîtes détestent la mauvaise publicité, parce que quand ils répondent à un marché public ça peut leur faire perdre un contrat, alors souvent ils ne laissent pas pourrir les conflits. » La preuve ? Ce jeudi 7 juin, le patron de la Pyrénéenne de nettoyage, Jean Marty, est venu exprès de Perpignan pour rencontrer les onze grévistes.

Les grandes entreprises ou institutions comme la SNCF choisissent leurs prestataires pour le ménage en faisant des appels d’offres régulièrement. « Elles prennent le moins cher, et peu importent les conditions de travail des salariés. On est des marchandises qu’on vend au moins offrant », nous explique Jacqueline, une ancienne salariée du nettoyage à Arkema à Jarrie, des années de conflits derrière elle. Alors elle accueille la poignée de main du patron Jean Marty avec un audacieux : « Ah non ! Désolée moi j’ai un principe, je ne serre jamais la main d’un patron.  » Un autre syndicaliste lui balance : « Bienvenue Monsieur, mais il faut arrêter d’embêter notre pote Karim parce que sinon vous allez être obligé de revenir souvent à Grenoble ». Avec une telle ambiance, on aurait bien aimé assister aux deux heures de négociation, mais on n’a pas pu entrer. On a donc rappelé Chantal après qui nous a raconté : « Il a lâché sur pas mal de revendications, après il faut voir si ça se concrétise ou pas sur la feuille de paie. Il a prétendu que Karim avait manipulé les autres salariés, ce qui a suscité un tollé de la part de tous les autres. Tout le monde a parlé pour le défendre. Maintenant on va rester vigilants ». À la gare, un train de grévistes peut en cacher un autre.