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L’entreprise malheureuse de Stanislas Guérini

Des beaux quartiers parisiens à un entrepôt à Tullins en finissant à En Marche, c’est le parcours de Stanislas Guérini, godillot bien comme il faut. Attiré par la famille Emelien (dont le fils Ismaël était jusqu’à peu le conseiller spécial de Macron), l’actuel responsable du parti macroniste a essayé de faire des affaires dans la campagne grenobloise. Mais tout n’est pas rose dans le monde ensoleillé du business. Pas même pour le premier marcheur d’entre eux.

Stanislas Guérini est ému, dans la boîte en tôle qui accueille le siège de Watt & Home, à Tullins. Les enceintes crachent « Je te survivrai », et les employés apparaissent en play-back sur la vidéo bien corpo. Après avoir travaillé six ans durant – il fait les allers-retours chaque semaine à Paris où vit sa femme –, Guérini s’apprête à quitter son poste de directeur général début 2013. Raison officielle invoquée : son bébé est né.

C’était pourtant une bonne idée de business, les panneaux solaires. C’est Jean-Pascal Emelien « père de » qui avait eu l’idée et qui avait convaincu Stanislas Guérini. Dans la fin des années 2000, cette énergie renouvelable est à son apogée (vue comme la plus prometteuse) et l’État décide de subventionner le prix de rachat de l’électricité. Rentabilité assurée : une nuée de sociétés se ruent sur le créneau et le mouvement se mue en « bulle spéculative photovoltaïque ». Ça, Emilien et Guérini ne le savaient pas encore quand ils ont créé Watt & Home en 2007.

Après avoir fait l’École alsacienne (privée et très chère), puis HEC (comme son papa) Stanislas Guérini a d’abord rencontré le fils Emelien, Ismaël. C’était pendant la campagne de Dominique Strauss Kahn pour les élections présidentielles de 2007 et les deux faisaient partie du fan-club du futur président du FMI. Dommage pour eux, l’éléphant lubrique du PS fait pshiit aux primaires de novembre. Dans la foulée, les jeunes loups s’égayent dans les forêts du privé : Guérini décide de suivre le père Emelien et de fonder l’entreprise à Tullins.

Appuyé par le réseau important du père, l’affaire va bon train, et atteint le million de chiffre d’affaires en 2009 puis 2,6 millions d’euros en 2010, avec une vingtaine de salariés. Noémie Teisseire, une employée, assure que « c’était une expérience géniale, chez Watt & Home. Il y a un côté très professionnel et humain chez Jean-Pascal et Stanislas ». Les équipes passent deux ans à bloc et tout va bien, dans le meilleur des mondes du développement durable. La mayonnaise – l’argent public, c’est la moutarde –, prend.

Cette année-là, un important contrat est signé avec Botanic, magasin pour le jardin, qui rentre dans le capital. « On souhaite faire des produits de qualité, réaliser de belles lampes fiables et surtout qu’elles ne soient pas jetables », se souvient bien Hervé (1), qui a bossé plusieurs années dans la boîte avant d’être licencié. L’idée est intéressante : le marché est alors saturé d’objets solaires jetables. Mais le système s’écroule avec le moratoire.

La lutte et les rats

Le moratoire, c’est un peu le tuyau percé du photovoltaïque. L’État étant inquiet du trop grand nombre d’installations coupe le robinet d’argent public, et baisse le prix du rachat de l’électricité. La bulle éclate, et les chiffres d’affaires s’effondrent. En 2012, l’entreprise encaisse 700 000 euros de pertes, et beaucoup de dettes chez les fournisseurs. Pour les lampes, c’est la même. « Après le moratoire, la société a voulu vendre des lampes en plus grand nombre. On a acheté plus de produits tout faits, on a juste mis la marque Watt & Home dessus. C’étaient des merdes jetables et c’est ce qu’on a le plus vendu », poursuit Hervé.

En 2013, la situation est critique, et l’entreprise va devoir licencier : « Le moratoire nous pousse à diversifier nos marchés, et à nous lancer par exemple dans les poêles à granulés. Mais il y a beaucoup plus de concurrence, et moins de marge sur ces produits. Il n’y a pas la possibilité d’en acheter un container en Chine », sourit notre témoin, faisant référence aux lampes vendues chez Botanic venant, elles, de Chine.

Surtout, la petite entreprise s’est étendue vite, très vite. Trop, même, car Guérini et Emelien ont créé des succursales dans tout le Sud-est de la France. Ce seront les premières à fermer. « Les licenciements n’étaient pas drôles à vivre : c’était un échec. On était conscients que depuis deux ou trois ans, il n’y avait pas assez d’argent », constate Noémie Teisseire. Ciao Aix-en-Provence et Lyon, puis Annecy et même Grenoble, dans deux vagues successives. La première voit partir huit personnes. Emelien vire encore la moitié de l’équipe, pour avoir aujourd’hui entre trois et cinq personnes dans la boite.

Naissance d’un chef

Mais heureusement, Stanislas Guérini n’a pas eu à vivre cette triste période. Parti juste avant les purges en 2013, il évite le malheur d’une mauvaise ligne sur son CV. « Officiellement, c’est pour le bébé. Officieusement, je pense que si l’entreprise avait marché, il ne serait pas parti. C’était juste avant le premier plan social, je trouvais que ça faisait “rat qui quitte le navire”. Mais j’imagine que lorsqu’on a les dents qui rayent le parquet, on a pas envie d’être dans une entreprise qui ne marche pas » estime Hervé.

En tout cas, Guerini rebondit au mieux. Après son congé parental, il reprend un boulot à Paris, comme directeur d’Elis (entreprise de nettoyage et d’hygiène). C’est encore Ismaël Emelien qui sort le trentenaire chauve de ce trou en lui faisant rencontrer Macron, alors conseiller à l’Élysée. Ce dernier a déjà Jupiter dans la peau – Macron quitte Hollande, qui le rappelle pour devenir ministre de l’Économie, puis requitte Hollande pour lancer sa start-up campagne.

Guerini y est une des fourmis les mieux placées, organise des réunions de levées de fonds auprès de riches sympathisants puis s’occupe de louer la salle Bobino pour un meeting. Il obtient une belle remise. Un record du commercial Stanislas Guerini. Sa proximité avec ce « Chef » lui permet d’obtenir l’investiture pour les législatives. Son élection est facile, et on ne parle pas de sa nomination comme délégué général d’En Marche : il est le seul candidat. Visiblement, le business politique lui convient mieux. « C’est vrai qu’il écoutait tout le monde, il ne se fâchait pas avec les gens. Mais il gardait le contrôle, avec ses idées bien précises. Il ne répondait pas précisément aux questions et esquivait la réponse. C’était de la langue de bois ? Mmmh… Ouais », sourit une dernière fois Hervé.

Devenu chef des marcheurs, Stanislas Guérini est revenu récemment sur le thème à la mode : « La transition écologique, on doit d’abord montrer le monde d’opportunités que ça ouvre. [...] C’est un défi enthousiasmant, et donc il faut le faire en accompagnant. » Là dessus au moins, il sait de quoi il parle.

(1) Le prénom a été changé.

Grenoble, plaque tournante du macronisme

Plusieurs hauts personnages de la Macronie sont liés à la région grenobloise. Outre Guérini, il y a Ismaël Emelien, qui vient de démissionner de son poste de conseiller spécial de Macron, officiellement pour se lancer dans une carrière littéraire, officieusement pour son rôle trouble joué dans l’affaire Benalla. Ismaël Emelien a grandi à Grenoble jusqu’à ses 18 ans et son entrée à Sciences-Po. Lui et ses frères et sœurs sont tous passés par les entreprises à papa, Watt & Home ou Eur’Ohm : Ismaël a tenté de monter une filiale en Syrie, Marie (ancienne coordinatrice d’En Marche à Grenoble) a été en charge d’un banc d’essai de panneaux photovoltaïques, Timothée y est toujours ingénieur. En octobre dernier, le député Bruno Bonnell est chargé par le Premier ministre d’une mission « territoire et industrie ». Lors de sa première étape il tombe par hasard sur Eur’ohm, tout en oubliant de donner le patronyme du patron, Jean-Pascal Emelien.
Si les attaches grenobloises d’Emelien sont évidentes, celles d’Alexis Kohler le sont moins. Le secrétaire général de l’Élysée a pourtant vécu un peu dans notre bonne ville entre 2016 et 2017, selon Médiapart. À l’époque, l’énarque, en pleine préparation de la campagne de Macron, bossait pour l’armateur italo-suisse MSC, fondé et dirigé par des cousins de sa mère, et numéro deux mondial du transport de marchandises. Un poste qui lui vaut une mise en examen pour conflit d’intérêts, vu qu’il est soupçonné d’avoir favorisé cet industriel lorsqu’il bossait comme haut-fonctionnaire. Mais surtout pourquoi était-il basé à Grenoble, alors que le siège de l’entreprise est à Genève et qu’il n’a a priori aucune attache dans la cuvette ? Mystère…