Accueil > Été 2013 / N°21

« L’immeuble, tôt ou tard il viendra »

Alain est l’un des derniers maraîchers de Fontaine. Aux pieds des falaises du Vercors s’étendent sa ferme et trois petits hectares - dont la moitié en location- qu’il continue de cultiver avec l’aide de son infatigable père. Lui, n’est pas touché par le projet des Portes du Vercors.

« J’ai commencé à l’âge de seize ans, j’ai lâché l’école parce que le maraîchage me plaisait. J’aime bien ce métier, on plante et puis on y voit pousser et on ramasse. On vit avec les saisons. (…) On revend au Marché d’intérêt national les mardis et vendredis matin. On charge le camion et on part à 3h20 du matin d’ici. Les maraîchers viennent de Vinay, Tullins, Murianette, Gières, Meylan et de Crolles, toutes les années il y en a de mois en moins. Ce sont les primeurs qui nous achètent nos légumes. Mais il y a plus personne, maintenant ils achètent dans le Midi ou à Lyon. Ils disent que là-bas c’est moins cher, avec les camions ils vont de partout (…) On ne fait pas les marchés parce que mon père n’a jamais voulu, ça nous ferait perdre une matinée en rentrant à 13 heures et on peut pas s’occuper du champ. On vend aussi en direct, les gens viennent à la ferme. (…) On achète en ce moment des aubergines et des tomates et puis des oranges parce que les voisins en voulaient. Y en a un qui m’a dit : « Il faut mieux que vous achetiez des légumes et des fruits que vous ne produisez pas comme ça, nous, on va pas les acheter ailleurs ». On fait une petite marge. Quand on vend beaucoup ça rentre et quand ça vend moins, faut faire avec ce qu’on a mis de côté. Ça rentre ça sort, je fais pas attention, je peux pas vous dire combien je gagne par mois. Il y a toujours un roulement. On a aussi de la volaille, des lapins, des poulets, des canards et des oies pour Noël.

(…) Ça fait un moment que j’ai pas pris de vacances. Ma mère est morte il y a treize ans et moi faut que je sois là pour mon père. On habite tous les deux ici (…). Aujourd’hui il travaille toujours autant, même s’il est à la retraite. Le jour où il arrête il y en a plus pour longtemps, si un jour il se met dans un fauteuil, on est mal barré, il a quatre-vingt-un ans, il les a fêtés le 21 mars, le jour du printemps. » Quand j’étais jeune, il y avait beaucoup plus de maraîchers. Mon père, à son époque, il dit qu’il y avait des vignes de partout. Avant on faisait beaucoup de cardons, maintenant les gonzesses elles ne veulent plus cuisiner ça, elles achètent en bocaux ou en pot. Là, la zone là-bas à côté du cimetière c’était de la prairie, ils ont mis des usines. Beaucoup de paysans sont arrivés à la retraite et les enfants n’ont pas repris, parce que c’est pas intéressant, il faut faire beaucoup d’heures, c’est dur comme métier. Faut travailler, il y a des imprévus. Il y a des gens qui veulent être employés, faire leurs heures et puis c’est tout. Ils veulent un salaire fixe et pas s’emmerder à travailler le samedi et le dimanche. (…) Quand il faut donner des gros coups, on les donne et après on se met au ralenti. Il faut toujours qu’on aille faire un tour dans le champ, on ne peut pas s’empêcher d’y aller. (...)

Dans cinq ou six ans je serai à la retraite. Je garderai un bout de potager pour moi et puis peut-être que je ferai des jardins partagés pour louer à des particuliers. Je préférerais ça plutôt que de vendre tout le terrain. (…) Pendant mon temps libre je bricole, je fais l’entretien de la maison. Je fais les vidanges, je répare quand y a du matériel cassé. On va manger au restaurant, je sors avec des anciens de l’école, on est pas mal invité à manger aussi. (…) C’est pas mal Fontaine, il manque juste un magasin de bricolage. Faut aller à Leroy Merlin ou à la Boite à Outils. (…) Le projet des Portes du Vercors, c’est dans dix - quinze ans, c’est pas encore fait. Il y a un pipeline qui passe sous Sassenage, alors ils vont avoir des problèmes pour creuser pour faire les fondations. On est informé par Le Dauphiné Libéré. On se sent pas vraiment concerné par ce projet parce qu’on est un peu retiré du centre de Fontaine, on est de l’autre côté de la ville ici à la Poya. Dès qu’il y a un terrain qui se libère, ils le prennent pour construire. Mais l’immeuble tôt ou tard, il viendra à côté. (...) »