Accueil > Avril 2018 / N°45

Avec Piolle, je positive !

La transition enchantée

« Grenoble : fini le nucléaire en 2022 ! » Qu’il est beau ce titre en Une du Daubé du 9 mars dernier ! GEG (Gaz et électricité de Grenoble) et la ville de Grenoble ont annoncé lors d’une conférence de presse que « d’ici 2022, 100 % des besoins des Grenoblois seront couverts en électricité verte ». Le vert, c’est la nature, c’est l’écologie, c’est tout beau, tout propre. La preuve en cinq actes. Youpi !

Rare image d’une éolienne fanée. On veut se la jouer écolo, mais dès qu’on part en vacances on oublie d’arroser.

Yes ! Pour alimenter tous les habitants grenoblois sans nucléaire, GEG veut tripler sa production d’énergie verte. L’idée c’est de mettre le paquet sur l’éolien, qui est le « plus gros générateur d’opportunités », comme dirait sa directrice Christine Gochard. Pour l’instant, l’éolien apporte 16 GWh/an (gigawattheures par an) à l’opérateur d’électricité : d’ici 2022 les grandes pales devraient produire 209 GWh/an. Treize fois plus ! Va-t-on voir pousser les éoliennes dans la cuvette, au risque d’enlaidir nos si charmants paysages ? Non, ne vous inquiétez pas : même si le dossier de presse de GEG est intitulé « Grenoble, l’énergie des Alpes », les projets d’éoliennes de GEG « sont localisés dans l’Oise, la Somme, l’Aisne, le Maine-et-Loire, La Charente-Maritime, la Charente, la Haute-Vienne, l’Aveyron, l’Aude et l’Allier ». C’est vrai, certains de ces projets rencontrent quelques « oppositions locales » : il faut dire que les habitants de ces contrées perdues ont tendance à penser uniquement à leur petit confort personnel, et se foutent totalement de l’intérêt général des Grenoblois. Quel individualisme ! Et le plan de communication de Piolle, ils y ont pensé au plan de communication de Piolle ?

Oulala... Mais est-ce que ça veut dire qu’en 2022 l’énergie nécessaire au rechargement de la batterie de votre cyclomoteur (dit vélo électrique) viendra directement des éoliennes de Picardie ? Pas du tout : quand on appuiera sur l’interrupteur, les petits électrons qui allumeront notre ampoule pourront avoir été produits par l’éolien, le nucléaire, l’hydraulique ou le solaire, au hasard des secrets du réseau géré par Enedis. En fait, si GEG augmente sa production d’électricité « renouvelable », les Grenoblois ne consommeront pas forcément de l’électricité « verte ». Mais c’est quand même plus simple de marquer « fini le nucléaire en 2022 », non ?

Une question : n’y a-t-il que les éoliennes dans les énergies « vertes » ? GEG produit pour l’instant 19 GWh/an en « biométhane », et ce chiffre ne devrait pas bouger d’ici 2022. La production photovoltaïque devrait, elle, passer de 12 GWh/an aujourd’hui à 27 GWh/an en 2022, grâce au « parc solaire » de Susville ou aux « ombrières photovoltaïques » installées sur des parking-relais. La production hydroélectrique devrait, elle, passer de 97 GWh/an actuellement à 143 GWh/an dans cinq ans. Comment ? En multipliant les projets de microcentrales dans les rivières alentour... Des projets qui ne manquent pas de provoquer également des « oppositions locales », même si on en entend peu parler. L’opérateur avait, par exemple, un projet sur le Guiers Mort, une rivière coulant à Saint-Pierre-de-Chartreuse. Un projet qui a capoté suite aux protestations de la Frapna, de l’ONF (Office national des forêts) ou des représentants de la pêche s’inquiétant des « perspectives de dégâts causés sur le milieu. Sous le prétexte d’écologie, on tue nos rivières ». Mais GEG a également deux projets de microcentrales à Peisey-Nancroix, dans la Tarentaise. Une association Nant Sauvage s’est constituée pour tenter de « préserver le caractère sauvage du torrent de Nant Benin ». Elle dénonce un « désastre environnemental assuré » sur ce « cours d’eau joyau », « un des derniers torrents sauvages de nos montagnes » : « les projets de microcentrales à Peisey n’apparaissent pas compatibles avec les principes de la loi sur l’eau et les milieux aquatiques ». Mais peu importe : tout ce qui n’est pas nucléaire est « propre », selon GEG et la mairie. Pour s’enorgueillir de la décision de GEG, Piolle apparaît dans une vidéo sur Facebook sur laquelle il est inscrit « 0 % nucléaire, 100 % propre ». Propre comme de l’eau de roche (qu’on détourne de son lit – en flinguant l’écosystème qu’elle entretenait – pour la mettre dans une canalisation qui actionne des turbines).

Publicité : La guerre des métaux rares, ce bouquin de Guillaume Pitron sorti en début d’année, est assez instructif sur la « vertitude » des éoliennes ou des panneaux solaires. L’énergie provenant du vent ou du soleil est « renouvelable » contrairement aux métaux rares, indispensables pour la construction des panneaux solaires ou pour les aimants des éoliennes. Et leur extraction, réalisée la plupart du temps en Chine ou en Afrique, est un désastre : pour avoir quelques dizaines de grammes de ces métaux, il faut extraire des tonnes de roches du sous-sol, puis consommer des milliers de litres d’eau et quantité de réactifs chimiques pour obtenir un métal pur (voir page 19). Ces technologies « propres » nécessitent donc pas mal de procédés « sales » dans des pays pauvres. Quand Piolle vante le futur « 100 % propre », il parle seulement des conséquences pour notre région. C’est normal : Grenoble ne peut pas s’occuper de toutes les pollutions du monde.

Il y en a qui, face à ces constats, prônent la décroissance et la réduction de la consommation d’électricité. Quels ringards ! Ni GEG ni Piolle ne parlent une seule fois de sobriété et de baisse de la consommation : il ne faut pas affaiblir le business de la transition énergétique. « Transition » basée sur la « smart-city » et tout un tas d’objets connectés engloutissant toujours plus d’électricité, verte ou grise, peu importe. D’ailleurs, il y a un manque étrange dans la communication de GEG autour de la « fin du nucléaire ». L’électricité « verte » va couvrir les besoins des « particuliers grenoblois ». Mais il y a d’autres consommateurs à Grenoble, non ? Les centres de recherche, les laboratoires, les entreprises... Certaines de ces structures consomment vraiment beaucoup d’électricité. Savez-vous que l’ouverture de Minatec, le « premier pôle européen pour les micro et nanotechnologies », a fait bondir la consommation d’électricité de Grenoble de 17,6 % au moment de son ouverture en 2006 (voir Minatec survolté, énergie engouffrée sur www.piecesetmaindoeuvre.com) ? Depuis, on ne sait pas combien de GWh/an engloutit ce centre, mais on peut parier que sa consommation n’a pas baissé. Tout comme celle du Commissariat à l’énergie atomique tout proche, du Synchrotron, et de toutes les grosses boîtes de la presqu’île scientifique et d’ailleurs. Tenez, par exemple, prenez le CNRS : il abrite un laboratoire national des champs magnétiques intenses (LNCMI). Laboratoire qui vient d’installer un nouvel aimant énorme, et qui en profite pour revoir l’alimentation électrique du site, la faisant passer de 24 MWh à 30 MWh en 2020 et 36 MWh à terme... Se donnant ainsi la possibilité de consommer toujours plus, alors que la consommation annuelle approche déjà les 18 GWh/an, soit celle de 9 000 Grenoblois. Les industries « high tech » grenobloises sont très énergivores, oui mais elles bossent pour la « transition » écologique. Si elles sont encore alimentées avec de l’énergie sale et 100% nucléaire, c’est pas grave : dans la transition, l’important c’est la communication. Et puis, de toute façon, en parler, c’est déjà mieux que rien.