La première affaire concerne un jeune homme, M. X, la vingtaine, accusé d’avoir commis deux tentatives de cambriolage en réunion dans des boulangeries de l’agglomération. Face aux questions de la juge, M. X tente de se justifier : « J’ai déconné, j’étais immature, et je savais pas ce qu’on faisait là. » Il a les bras croisés, la voix hésitante et semble démuni.
La juge : « Vous saviez pourtant ce que vous alliez faire ! Vous montez dans une voiture avec des gants, une cagoule, un pied de biche et une disqueuse. Une disqueuse ! Vous ne pouvez pas nous dire que vous n’étiez pas conscient de ce qui allait se passer ! »
M. X a du mal à argumenter, cherche une défense : « Moi, je n’ai pas voulu rentrer dans ce contexte de disqueuse. J’étais dans la sécurité, j’ai fait attention à moi. »
La juge : « Mais même sans rentrer dans le contexte de disqueuse, comme vous dites, vous encourez la même responsabilité que l’auteur. »
La procureure prend la parole : « Comment se passe votre détention ? »
M. X : « J’ai peur pour ma sécurité. Je peux pas progresser en prison… je peux rien faire. »
La procureure : « Y’a-t-il eu des incidents en prison ? »
M. X : « … légèrement » (rire dans l’assistance).
La procureure entame sa plaidoirie : « Il n’est pas capable de nous parler de son avenir. Il n’a pas de projet. C’est pénible. » Elle demande huit mois d’emprisonnement ferme : « J’espère que ça le fera vraiment réfléchir et qu’il deviendra acteur de sa vie. »
Dernière défense de M. X : « Je veux m’en sortir mais la prison c’est pas un lieu pour m’en sortir. J’ai une vie à faire, mais en prison je peux pas. »
Après la suspension d’audience, la cour lui lit sa peine, huit mois de prison ferme. M. X reste debout, un peu abasourdi, semble attendre autre chose, mais la juge est déjà en train de traiter une autre affaire : il comprend alors qu’on ne parle plus de lui et sort du box. Les huit prochains mois de sa vie se sont dessinés là, en quinze secondes.
Deuxième affaire. M. Y est accusé de violences sur des gendarmes venus l’interpeller pour possession de cannabis. La juge lit le procès-verbal, détaille les insultes et menaces de mort. Comme il avait beaucoup bu, les gendarmes l’ont placé en cellule de dégrisement. Là-bas, les choses se sont gâtées et entre deux insultes, M. Y a indiqué avoir participé aux incendies des casernes en 2017. Mais la cour estime qu’il s’agit d’une provocation sous le coup de l’alcool.
M. Y a l’habitude des procès, et alterne réponses ironiques, provocations et accusations des gendarmes : « Ouais j’ai donné un coup de pied au gendarme qui conduisait. Mais le taser m’a énervé, fallait pas me taser. Ils m’ont tasé à la gorge (il montre son cou), c’est interdit ! »
La cour ne relève pas. La juge lui demande pourquoi il avait sur lui un couteau, un cutter et un taser quand les gendarmes l’ont interpellé.
M. Y : « Le taser et le cutter c’est si je croise mon voisin, vu qu’il m’a mis un coup de cutter sur le front, et bien je lui ferai pareil. Et le couteau, madame la Présidente, c’est pour couper mon camembert le midi ! »
Son avocat prend la parole : comme ses confrères il devrait être en grève, mais par conscience professionnelle, il accepte de défendre son client qu’il nomme à plusieurs reprises « ce garçon ». Il indique que le gendarme qui a reçu le coup avait un casque, que ça n’a pas entraîné d’ITT (incapacité totale de travail). Il insiste sur le fait que le prévenu a une fille avec qui il a de bonnes relations.
Jugement : la cour ordonne une expertise psychiatrique, le prévenu sort du box en criant qu’il ne s’y soumettra pas.
Troisième affaire. M. Z ne parle pas français, il est sans-papier. Il n’a pas de titre de séjour français.
Son avocat prend la parole. Il parle de l’appel des syndicats à faire grève, n’en vient pas aux faits directement, le ton est grave et son discours ressemble à une plaidoirie. « Pour toutes ces raisons, et madame la Présidente, vous savez pourtant que ma conscience professionnelle me pousse à faire mon travail, je ne défendrai pas M. Z aujourd’hui. » La Présidente acquiesce, imperturbable. La Procureure lève les sourcils, outragée, fait les yeux ronds, et demande le renvoi de l’affaire : « Je ne vois pas comment on pourrait faire autrement ! »
Il faut statuer sur la situation de M. Z en attendant le renvoi du jugement en février. La juge émet des doutes sur l’âge et le lieu de naissance annoncés par M. Z. « Vous nous dites que vous êtes né à Bagdad en 1997, mais nous ne pensons pas que vous ayez 22 ans, ni que vous soyez Irakien. Vous avez été contacté par un représentant de l’ambassade d’Irak, et il a émis des doutes sur votre supposée nationalité irakienne, vu votre faible connaissance de l’Irak. »
L’interprète retranscrit les paroles de M. Z : « Je suis né en Irak mais j’ai grandi au Maroc. »
La justification ne convainc pas la cour. Elle rend son jugement : incarcération de M. Z en attendant le renvoi.