« A part la météo, on a eu un bon été ici. Tout s’est bien passé, on a juste eu une bagarre et un accident ». En ce dimanche ensoleillé de début septembre, les deux agents de sécurité qui patrouillent dans le parc de l’Île d’amour, à Meylan, sont plutôt tranquilles. Leur entreprise privée est payée par la communauté d’agglomération pour veiller sur ces 26 hectares de verdure. Donc balade toute la journée - de 11 heures à 23 heures les week-end - entre les pelouses et les bosquets : forcément ça change du boulot dans les centres commerciaux ou les boîtes de nuit. Ici le gros du boulot, c’est d’interdire aux gens de faire du feu à même le sol. Parce que, oui, si vous ne connaissez pas, l’Île d’amour c’est le premier spot pour les barbecues à Grenoble. Certains dimanches – surtout en juin ou juillet – le ciel du parc est embrumée toute l’après-midi par la fumée des dizaines de feux crépitant dans tous les coins du parc. Et on trouve de tout à l’île d’amour : des habitants de Grenoble, d’Échirolles, Saint-Martin-d’Hères, Seyssinet. Des familles originaires du Maghreb, de la Réunion, des Antilles, d’Afrique noire, des asiatiques, des italiens, des étudiants erasmus, et on en passe. Des grands-mères qui viennent à huit heures du matin pour réserver un barbecue en dur, des jeunes qui jouent au frisbee et au foot, des qui parlent pas, des qui font du vélo, des familles très nombreuses, des bandes de potes éméchés, des qui pique-niquent ici tout l’été parce qu’ils ne peuvent pas partir en vacances.
Le plus bavard des agents de sécurité affirme : « C’est bien ici, des fois il y a énormément de monde, peut-être mille personnes. Si vous voyez la mairie, vous pourrez juste leur dire qu’il manque quelques barbecues, des tables, un deuxième point d’eau, des sanitaires et des poubelles ». Ce qu’il manque aussi, c’est la réponse à la question qui nous a taraudé pendant les deux dimanches où nous avons déambulé dans le parc : « Pourquoi l’Île d’amour ? D’où vient ce nom ? ». On a eu beau demander à des dizaines de personnes, aucune n’a su nous donner la réponse. Certaines ont forcément tenté « parce qu’il y a beaucoup d’amoureux » (ce qui n’est pas si vrai, il y a surtout des groupes) ou « parce que vous devrez revenir un peu plus tard le soir » (le parc est connu comme étant un lieu de rencontre gay – même référencé comme « lieu de rencontre - drague » dans le guide « France gay et lesbien 2011 »).
Cette question éveillant la curiosité de presque tous, on s’est dit que pour une fois que Le Postillon pouvait servir à quelque chose, il nous fallait trouver la réponse, qu’on imaginait forcément poétique. Et en fait : même pas. Pas de légende romantique, ni d’origine chevaleresque. Ou alors elle a été oubliée. Même les spécialistes sèchent : l’historien meylanais Jean Billet ne se « souvient plus », la dame des archives municipales nous a répondu « c’est vrai qu’on ne sait jamais pourquoi », avant de nous conseiller d’aller chercher dans un livre « Le Graisivaudan, toponymie et peuplement d’une vallée des Alpes ». Cet ouvrage propose la même petite explication que le livre « Rues et chemins racontent... Meylan » : « île » parce qu’avant le XIXème siècle, quand l’Isère n’était pas canalisée et qu’elle pouvait avoir un lit d’un kilomètre de large, cette zone, ainsi que celle de la Taillat, était constituée d’une multitude de petites îles. Et « amour » viendrait du « nom d’homme gaulois Amor ». Est-ce que ça veut dire qu’un certain Amor a habité ici il y a deux mille ans ? Il n’y avait rien d’écrit de plus. On n’a pas non plus trouvé ce que signifiait ce « nom gaulois », mais Amor est aussi un prénom arabe qui signifie « longue vie, prospérité ». Si les mairies de Meylan et Grenoble ont décidé, en 1975, d’aménager un parc ici, c’est parce que la zone était inondable et qu’ils ne pouvaient rien en faire d’intéressant, c’est-à-dire qui rapporte de l’argent. On peut quand même remercier les fleuves : de nos jours, c’est souvent grâce à eux que de tels espaces non rentables peuvent avoir une « longue vie ».