Accueil > Décembre 2016 / N°38

Secret à Clinatec : Un homme « implanté »

Mais que fait la police ? En plein centre de Grenoble, un laboratoire mystérieux réalise depuis des années des recherches expérimentales dans le plus grand secret. Son nom de code ? Clinatec. Une clinique fondée par le CEA (Commissariat à l’énergie atomique) et le CHU (centre hospitalier universitaire) dont le but est de commercialiser des « innovations » pour agir sur les maladies du cerveau. Afin d’obtenir rapidement des résultats spectaculaires et de faire les gros titres de la presse, les responsables de cette clinique expérimentale n’hésitent pas à tenter des expériences aux résultats incertains sur des animaux ou des humains. Au printemps 2016, les équipes de Clinatec ont ouvert sur cinq centimètres le crâne d’un tétraplégique pour lui inclure un implant muni de dizaines d’électrodes. Mais l’expérience a complètement échoué et les chercheurs ont dû retirer le dispositif technique, laissant des séquelles inconnues au patient.

L’année dernière (voir Le Postillon n°32), nous avions raconté comment, à Clinatec, des singes étaient drogués au MPTP (une neurotoxine provoquant les mêmes symptômes que la maladie de Parkinson) puis leur cerveau était ouvert afin d’y implanter des émetteurs infrarouges censés soigner la pathologie qu’on leur avait inoculée. Ces expériences avaient toutes abouti à des échecs : aucun singe parkinsonien n’a vu son état s’améliorer – ni même se détériorer plus lentement – grâce aux infrarouges. En revanche beaucoup sont morts. Malgré ces piètres résultats, Alim-Louis Benabid, le cofondateur de cette clinique fanfaronnait : «  les résultats sur les primates dépassent les espérances initiales » (L’écho, mars 2015). C’est qu’il n’est pas possible de dire que les recherches patinent à Clinatec. Ce Benabid a des ambitions qui ne peuvent s’accorder avec des mauvais résultats. D’une part ce septuagénaire vise le prix Nobel de médecine ; il est déjà internationalement connu pour avoir développé la stimulation électrique à haute fréquence dans les traitements de la maladie de Parkinson. D’autre part, Clinatec dépend beaucoup du financement de mécènes – et ces riches entreprises ou particuliers ont besoin d’être rassurés sur l’utilité de leur investissement : la communication autour de Clinatec est très contrôlée et n’annonce que des bonnes nouvelles. L’année dernière, nous avions également relaté les nombreuses tensions internes agitant le centre de recherche : suite à des problèmes «  d’éthique » déplorés par certains, le directeur de Clinatec François Berger avait été démis de ses fonctions. Nos informations, pourtant prouvées par de nombreux mails internes publiés, n’avaient été reprises nulle part.

Ces problèmes « éthiques » avaient notamment éclaté autour du projet BCI (Brain Computer Interface), dont le but est de faire « remarcher les paralysés » en pilotant un exosquelette par la pensée. C’est ce projet qu’ils ont tenté de faire avancer ce printemps. Le 12 septembre 2016, Benabid pérore dans Sciences et Avenir : « on a inclus notre premier patient », sans en dire plus sur les résultats. C’est qu’ils ne sont pas très glorieux, comme nous le racontent deux personnes bien renseignées : « Ils devaient à tout prix inclure un patient car ils avaient déposé un essai thérapeutique auprès de l’ANSM (NDR : Agence nationale de sécurité du médicament), et que l’autorisation a une durée limitée. Leur dispositif n’était pas au point, mais ils ont quand même recruté un jeune tétraplégique d’une vingtaine d’années ; je ne sais pas quel était son degré de consentement. Ils lui ont fait un trou dans la tête, lui ont mis l’implant, mais ont été incapables de communiquer avec, sans qu’ils puissent l’expliquer. Ça a été un échec technologique complet. L’implant a causé une infection, alors ils ont été obligés de le lui retirer. Je ne sais pas quelles ont été les conséquences pour le patient ; en tout cas il doit avoir un trou dans la tête ».

Nous avons vainement tenté d’en savoir plus : l’ancien directeur François Berger nous a assuré ne pas être au courant, les responsables communication de Clinatec ou du CHU n’ont même pas daigné nous répondre (nous précisons pour le tribunal [voir page 19] que nous les avons contactés par téléphone et par mail). On a même demandé au maire de Grenoble : Éric Piolle est président du conseil de surveillance du CHU (qui fait partie de Clinatec), et pourtant il nous a assuré n’être nullement au courant des activités expérimentales menées à l’intérieur de Clinatec.

Le secret a toujours été une marque de fabrique de ce laboratoire qui a pourtant touché plus de vingt millions d’euros d’argent public pour son lancement. L’innovation censée « sauver des vies » est en fait protégée par le secret-défense : Clinatec est classé en «  zone à régime restrictif » afin de « protéger le potentiel technique et scientifique de la nation ». Cela permet également d’éviter toute mise en cause en cas d’éventuels accidents médicaux. Nos témoins concluent : « Pour moi, cet homme implanté, c’est un peu comme l’histoire de Rennes [NDR : en janvier dernier, un essai clinique pour tester une molécule anti-douleur a conduit à la mort d’un patient volontaire, et à l’hospitalisation de cinq autres]. Les conséquences ne sont pas les mêmes, mais pour moi c’est la même logique de fuite en avant. Les entorses au protocole sont les mêmes. Les manquements éthiques sont les mêmes. On veut à tout prix parvenir à des résultats, alors on fait n’importe quoi. »