Bienvenue à Saint-Jean-d’Arvey. Sa vue dominant la cluse de Chambéry. Sa situation idéale, à moins de 10 kilomètres de la préfecture de la Savoie, déjà aux portes du bucolique massif des Bauges, surplombé par le charmant mont Péney. Ses vieilles fermes résistant au milieu de nombreuses constructions récentes.
Ici comme ailleurs dans la région, les champs, forêts, et autres espaces agricoles subissent de multiples assauts immobiliers, principalement de la part de personnes aisées en quête d’un peu de nature à proximité de la ville. De 391 habitants en 1962, la commune est passé à 1422 en 2007.
La première chose qui frappe, quand on arrive dans cette commune pour s’intéresser à Jean Therme, c’est que son patronyme est visiblement très ancré localement. Il y a un « chemin des Therme », un lieu-dit « Les Thermes » ; un ancien « hôtel Thermes » apparaît sur les cartes postales en vente à la supérette. Au cimetière, pas moins de 7 tombes comportent le nom et un « Jean Therme » y est déjà enterré (1858 – 1910).
Premier arrêt à la mairie, pour essayer d’avoir quelques renseignements.
« - Bonjour, nous cherchons la ferme de Jean Therme, le directeur du CEA-Grenoble...
- La ferme ? C’est un bien grand mot. Allez-y, vous verrez que sa maison ne ressemble pas vraiment à une ferme. Elle est toute récente, avec une grande piscine... »
Et la secrétaire de mairie de nous donner l’adresse. Arrivé devant, on constate la véracité de ses propos. Hormis un tracteur stagnant dans la cour, et une petite dizaine de moutons pâturant non loin, l’ensemble ressemble davantage à une nouvelle maison bourgeoise, au gazon tondu bien ras et à la cour impeccablement rangée, qu’à une bâtisse de paysans. Si les différents articles à la gloire de Jean Therme avaient parlé des « panneaux solaires » de cette « maison à énergie positive », aucun n’avait évoqué cette grande piscine qui pourtant saute aux yeux. A croire qu’elle ne correspond pas tout-à-fait au mythe du « gentleman farmer » que ce « fils de paysan » a voulu construire.
Ni le boulanger, ni le postier, ni la coiffeuse, ni le vendeur de la supérette ne connaissent Jean Therme. La pharmacienne le voit seulement deux-trois fois par an. Bigre. On venait se renseigner sur une star, « connu, respecté, écouté, y compris à Paris » (Acteurs de l’Economie Rhône-Alpes, 11/2009) influente en Europe ; et on se rend compte que les commerçants de son village ne le connaissent pas ou très peu. Déception. Une native du village, nouvellement réinstallée, nous confirme qu’il est très discret sur ses terres, que les nouveaux habitants de Saint-Jean-d’Arvey n’entendent jamais parler de lui et qu’elle le connaît car son mari travaille à STMicroélectronics. « Nul n’est prophète en son pays », philosophe-t-elle.
L’aubergiste, installée pourtant depuis seulement trois ans, le croise régulièrement.
« - Il vient manger quelquefois et je le vois parfois passer en tracteur. Et puis certains soirs, j’héberge son chauffeur.
- Ah bon, Jean Therme a un chauffeur ?
- Oui, il en a un à Grenoble, qui vient le chercher le matin et le ramène le soir et quand celui-ci est en vacances, c’est son chauffeur de Paris qui descend et qui, du coup, dort à l’auberge ».
Pour information, du CEA-Grenoble à Saint-Jean-d’Arvey, il y a 66 kilomètres et, même en prenant l’autoroute, on met au minimum 50 minutes pour les parcourir. Ce qui fait faire au minimum 264 kilomètres par jour au chauffeur « grenoblois » de Jean Therme. Un gros bilan carbone pour quelqu’un qui se vante avoir « compris qu’il fallait préserver la planète à 19 ans en lisant le rapport du Club de Rome » (JDD, 5/07/2009).
A part ça ? « C’est quelqu’un de discret et très gentil », conclut l’aubergiste. D’autres villageois rencontrés sont du même avis. Eux le connaissent parce que c’est « un enfant du village ».
« - C’est un super gars, nous assure un de ses proches voisin. Ce n’est pas un paysan, mais il coupe son bois, et des fois s’occupe un peu des champs à côté.
- Et vous savez ce qu’il fait comme métier ?
- Ah non ça je ne sais pas. On n’en parle jamais ».
Voilà en gros la position de plusieurs « anciens » rencontrés. Ils le connaissent, lui « le fils à Jojo », « le beau-frère à Dédé », le croisent quelquefois, le trouvent « sympa » mais n’ont aucune idée de ses responsabilités. « Il est gentil Jeannot, nous assure un jeune retraité en train de découper une truite. Il est resté très simple, discret, tout le monde dans le village l’aime bien. Ce qu’il fait ? Je sais pas, des fois il passe à la télé, c’est quelqu’un d’important ». Un peu plus loin, un marcheur nous dit « bien le connaître. Je le vois souvent se balader le soir, le long de la route avec un bâton. C’est le bâton qu’avait son père. C’est une tronche, il a même un chauffeur qui l’amène et vient le chercher. (…) Je crois qu’il travaille dans les technologies, dans l’énergie atomique mais moi je peux pas vous dire, j’y connais rien. En tout cas, je sais qu’à l’époque il était allé à la manifestation à Creys-Malville, contre la centrale ». La bibliothécaire confirme : « Je crois qu’il est directeur ou quelque chose comme ça, mais on ne parle pas de ce qu’il fait, on parle de la famille ».
Ainsi, lui qui a fait des centaines de présentations, powerpoint et réunions pour convaincre des milliers de personnes du bien-fondé de Minatec et Giant, ne parle jamais de tout ça à ses voisins et ses amis d’enfance. S’il n’évoque pas avec eux son activité professionnelle et ne leur expose pas ses rêves de métropole lumineuse (1), c’est peut-être parce qu’il sait qu’eux ne feront pas partie de ceux qui « auront gagné » quand ce rêve se réalisera. Eux qui ont une vie moins proche de la sienne que de celle de son père « paysan et distillateur savoyard ». « C’est le dernier homme libre que j’ai connu », confiait-il à Acteurs de l’Economie Rhone-Alpes (11/2009). Et effectivement, avec tout ce qui sort des laboratoires (du CEA, de Minatec et des autres), des caméras de vidéosurveillance dernier cri aux puces RFID, des nanocapteurs aux téléphones portables « GPS intégré », plus personne ne pourra être libre comme pouvaient l’être, à leur manière, certains paysans du XXème siècle.
De sa maison, Jean Therme a une vue magnifique sur une belle forêt et de petites collines. Quelques constructions de-ci, de-là, mais presque rien. Quasiment exclusivement de la nature. En tout cas, il ne voit rien du « ruban technologique de Lausanne à Valence (…) illuminé de manière continue » qu’il promeut pour « attirer les investisseurs ». Ici, c’est un petit paradis, loin des autoroutes, des lignes ferroviaires, des grandes tours, des nouveaux quartiers high-tech, et de tout ce qu’il faut pour bâtir la métropole compétitive chère à Jean Therme. Et qu’il habite ici laisse à penser qu’il fuit le week-end tout ce qu’il construit la semaine.
(*) Nous l’avons déjà cité dans l’article précédent mais la reproduisons ici. Quand on aime, on ne compte pas. « Les métropoles économiques à grands potentiels de développement sont repérées de nuit par les investisseurs, grâce aux images fournies par les satellites, sinon en vue directe, depuis un avion. Plus ces villes sont lumineuses, éclairées, plus ils sont intéressés ! Lorsque le ruban technologique de l’arc alpin, entre ses barycentres constitués par Genève et Grenoble, s’illuminera d’une manière continue, lorsque les pointillés des pôles de compétence comme les biotechnologies de Lausanne, la physique et l’informatique du CERN à Genève, la mécatronique d’Annecy, l’énergie solaire de Chambéry et les nanotechnologies de Grenoble, ne formeront plus qu’une longue colonne vertébrale, nous aurons gagné « (Le Daubé, 25/10/2004).