Accueil > Printemps confiné 2020 / N°55

Abroger la 5G

En septembre dernier, suite aux arrêtés anti-pesticides pris par plusieurs municipalités dont celle de Grenoble, Le Postillon publiait un « plaidoyer pour un arrêté anti-5G » et s’étonnait de l’absence de prise de position des élus écolos grenoblois sur ce sujet majeur.
En mars dernier, dix jours avant le premier tour des élections municipales, Eric Piolle recevait la députée et ancienne ministre socialiste Delphine Batho afin de plaider « pour un moratoire sur la 5G  ».
Les élus écolos grenoblois se mettent-ils à combattre la fuite en avant technologique ? Ou la 5G est-elle l’aberration de trop, celle que les bons éco-gestionnaires ne peuvent pas laisser passer ?

« La 5G est le symbole d’un système glouton. (…) On présente comme un progrès ce qui est en pratique une courroie de transmission d’une ville sous surveillance. (…) Il faut mettre des cailloux dans ce rouleau compresseur, retrouver la connexion entre humains et nature, et sortir de cette ultra-connexion.  »

En écoutant Piolle parler ce 6 mars, je suis presque complètement d’accord avec lui – quel choc ! Depuis six ans que je suis ce qu’il raconte, c’est une des premières fois que ça m’arrive – je veux dire en dehors des tartes à la crème où il se prononce courageusement contre la violence ou pour le vélo.

Quand on avait pondu notre « plaidoyer pour un arrêté anti-5G » au mois de septembre, on se sentait une fois de plus bien seuls. C’est-à-dire que, depuis onze ans qu’on bricole ce canard, on a régulièrement le sentiment de prendre des positions pleines de bon sens, mais qui ne trouvent jamais d’écho, ou si peu, ou juste dans quelques cercles d’avertis. Les autres nous regardent gentiment avec des airs de « ah oui, vous avez raison mais on n’arrête pas le progrès  », « c’est sûr, c’est aberrant mais que voulez-vous le monde est comme ça ». Défaitistes, on pensait que le combat contre la 5G intéresserait seulement, comme toujours, celles et ceux qui se mobilisent contre le compteur Linky ou le flicage total.

C’est pour ça que ça nous a surpris – et questionnés – de le voir repris par Piolle.
Que je vous explique. Depuis six ans qu’il dirige la mairie de Grenoble, Eric Piolle n’a jamais rien dit sur le déferlement technologique ou l’invasion du numérique dans tous les recoins de nos vies.

Il a certes fait preuve de moins d’enthousiasme que son prédécesseur Michel Destot, pour qui le progrès technologique était une religion, et qui ne manquait jamais une occasion de s’extasier devant la moindre innovation, aussi futile soit-elle.
Si Piolle n’a pas eu la même techno-béatitude, on ne l’a néanmoins jamais entendu critiquer le développement de l’e-monde. Dans les raouts technologiques, il se contentait généralement d’énoncer quelques banalités contemporaines, genre il faut orienter l’innovation vers la transition écologique.

Une mollesse guère étonnante et assez commune chez les politiques et les militants : en matière d’écologie, si tout le monde est d’accord pour développer les vélos et limiter l’artificialisation des sols, rares sont ceux qui évoquent les ravages des nouvelles technologies, de l’extraction des métaux rares à la consommation énergétique exponentielle en passant par l’obsolescence programmée des appareils et la société de zombis créée par la connexion généralisée.

Et encore moins à Grenoble. Quantité de chercheurs, ingénieurs, techniciens œuvrent pour développer ces nouvelles technologies et ils constituent une partie importante de l’électorat de Piolle. Jusqu’à peu, ils ne voyaient guère de contradiction entre se déclarer écolos et bosser quotidiennement à l’artificialisation du monde.

Mais depuis quelques années, le vent tourne peu à peu. De plus en plus d’ingénieurs « désertent ». De plus en plus d’étudiants ingénieurs constatent avec dépit le fossé énorme entre les nécessités écologiques et les réalités de leur futur métier. Le low-tech est de plus en plus promu. Ceux qui croient encore que la technologie va nous sauver du désastre écologique sont de moins en moins nombreux.

La prise de position de Piolle, Batho et de Grenoble en commun est surtout représentative de ce lent changement de mentalité. La 5G est l’aberration de trop. Déployer des millions de nouvelles antennes, changer tous les téléphones devenus obsolètes, tout ça pour gagner quelques secondes de téléchargement et faire rouler des voitures autonomes : c’est indéfendable d’un point de vue écologique.

Alors peut-être, le combat contre la 5G ne se limitera-t-il pas aux cercles militants ordinaires. Il pourrait être relayé par des élus écolos, rencontrer un écho médiatique important, susciter une large sympathie dans l’opinion publique. Peut-être même pourra-t-il aboutir à une fausse victoire, un moratoire, ou une 5G encadrée, réglementée, supposée moins invasive, contrôlée par la Cnil (commission nationale informatique et libertés) ou autre farce « éthique ».

Mais la prise de position de Piolle est surtout discutable par rapport à ses actes en tant qu’élu. Avec la 5G, il critique la smart-city et la ville sous surveillance, alors que depuis six ans nombre de décisions municipales et métropolitaines ne font que les développer.

Entre autres exemples, les élus verts à la Métropole (qui appartiennent à la majorité) développent le flicage des déplacements dans l’agglomération, avec d’une part la future « voie de covoiturage  » sur l’autoroute A480 élargie à trois voies, qui sera contrôlée par du vidéoflicage, et d’autre part le développement des paiements sans contact ou par SMS ou de l’application Pass Mobilité dans les transports en commun. Le boss des déplacements dans l’agglomération, le président du SMTC Yann Mongaburu, s’extasie : « C’est un pari sur le numérique pour utiliser toutes ses possibilités, c’est aussi un choix de société. »

Ces mêmes élus verts, sous prétexte de réduction des déchets, s’apprêtent à mettre des puces RFID sur toutes les poubelles de l’agglomération ou à installer des compteurs d’eau et d’électricité « encore plus intelligents  » que le compteur Linky dans les appartements grenoblois.

Dans l’agglomération, nombre de boîtes font du business sur le développement de la smart-city, comme Schneider Electric. En 2017, Piolle inaugurait avec enthousiasme le « Technopole », un bâtiment « Smart grid ready intelligent  » de cette entreprise, où sont développées des « solutions smart city » et des plateformes « compatibles Internet des objets ». C’est au CEA-Grenoble, qui œuvre beaucoup à optimiser une « ville sous surveillance », que se sont déroulés les tests grenoblois sur la 5G. Soitec, une entreprise de matériaux semi-conducteurs dont Piolle possédait des actions, est en train de rediriger entièrement son business plan en direction de la 5G. La multinationale chinoise Huawei, « leader des fournisseurs de la 5G », a un centre de R&D à Grenoble. Etc, etc. On pourrait allonger à l’infini (ou presque) la liste des entreprises locales œuvrant à ce futur orwellien.

Les campagnes électorales permettent souvent aux élus de promettre l’inverse de ce qu’ils montrent dans leurs actes quotidiens. La prise de position de Piolle contre le développement de la 5G et de la «  ville sous surveillance  » sera-t-elle suivie d’actes de rupture avec le modèle grenoblois de fuite en avant technologique ? Hélas, les multiples tartufferies de son premier mandat ne nous laissent que peu d’espoir.

La situation sanitaire actuelle est une aubaine pour tous les businessmen de la smart city. Drones survolant les villes avec des haut-parleurs, « tracking » des téléphones, connexion omniprésente : cette période sera le meilleur argument pour passer à la vitesse supérieure dans le développement de la 5G et d’une ville entièrement sous surveillance. D’où l’urgence de prendre le chemin inverse.