Les Grands Promoteurs inutiles ont plusieurs ennemis, mais l’un d’eux les agace particulièrement : c’est le triton palmé, espèce menacée vivant dans les zones humides. « J’aime beaucoup les tritons palmés, mais j’ai du mal à leur reconnaître le droit d’empêcher de construire un collège, comme ça a failli être le cas à l’Isle-d’Abeau ! » s’est ainsi emporté André Vallini lors d’une séance du conseil général de l’Isère, qu’il préside (Grenews, 19/10/2012). Lors de l’inauguration de ce collège, il s’était également énervé : « André Vallini s’est lancé dans une diatribe contre les tritons. Plusieurs spécimens de cette espèce protégée ont en effet été repérés lors de la construction du nouvel établissement scolaire. Il a fallu les déplacer dans une mare écologique. Ce qui a eu pour effet de retarder de trois mois le chantier. ‘‘Nous avons eu le même problème lors de la construction d’un pont à St-Quentin-Fallavier, et dans les Chambarans, pour le projet de Center Parcs. L’accumulation de réglementations, comme la loi sur l’eau, paralyse l’action publique. Cela ne peut plus continuer ’’ » (Le Daubé, 13/10/2012).
Les réglementations qui ralentissent l’action publique, « ça ne peut plus continuer » . Car s’il n’y a pas d’action publique, il n’y a pas non plus de Grand Promoteur inutile.
Il faut que tout aille vite. Comme sur une autoroute.
Ce n’est donc pas un hasard si André Vallini vient de relancer l’autoroute A51, censée relier Grenoble à Sisteron. Un tronçon de quatre-vingt-dix kilomètres n’a toujours pas été réalisé entre le col du Fau et La Saulce et fait l’objet de lamentations régulières des entrepreneurs locaux. Ces malheureux n’ont pas été entendus par le gouvernement précédent – de droite. Suite au Grenelle de l’environnement, le gouvernement Fillon a décidé de freiner certains projets autoroutiers et d’abandonner au moins provisoirement l’A51. À l’époque, Michel Mercier, ministre de l’Aménagement du Territoire, déclarait : « Cette autoroute pose beaucoup de problèmes ; il faut regarder autre chose ». Beaucoup croient alors que le projet est à jamais abandonné. Jusqu’à ce que François Hollande – homme de gauche, donc sensible aux injustices subies par le patronat - promette pendant sa campagne présidentielle de « finir les autoroutes commencées ».
Vallini saute sur cette occasion de venir à la rescousse des chambres de commerce et d’industrie des Hautes-Alpes et de l’Isère. Dans une lettre aux entrepreneurs de l’Isère datant de fin septembre, il déclare vouloir « relancer l’achèvement » de cet ouvrage d’art ravageur. Cette annonce fait grand bruit dans les salons patronaux et journalistiques, si bien que ces quelques mots signés du seul nom de Vallini, et non discutés au sein du conseil général, remettent complètement sur les rails ce projet moribond.
L’ami du BTP
Même s’il y a des divergences sur l’itinéraire à suivre entre le col du Fau et La Saulce, ce tronçon manquant serait particulièrement compliqué à réaliser. Le tracé le plus probable est celui dit de « l’est de Gap » : il réussit la performance de ne pas faire de jaloux, dévastant équitablement plusieurs territoires : le Trièves et le pays de Saint-Jean-d’Héran, les abords du lac du Sautet, du Dévoluy et de l’Obiou, le Valgaudemar et le Champsaur. Au milieu de ces montagnes magnifiques, cet ouvrage serait une succession de tunnels et de viaducs – dont on peut déjà apprécier la capacité de nuisance visuelle à Monestier-de-Clermont - et coûterait plusieurs milliards d’euros.
Cela ne fait pas peur au président du conseil général qui – en bon socialiste - mise tout sur le privé. Les concessionnaires de l’autoroute, à savoir Escota (groupe Vinci – promoteur de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes) et Area (groupe Eiffage) se disent prêts, selon Vallini, « à financer les 92 km restants pour peu que le péage soit suffisamment élevé et la concession suffisamment longue » (Le Daubé, 5/11/2012). C’est-à-dire s’ils y gagnent assez d’argent, si besoin via des stratagèmes plus ou moins avouables. Par exemple en s’inspirant de l’autoroute A65, reliant Pau à Langon : elle a été financée à 100% par des groupes privés, mais les collectivités territoriales ont approuvé une convention contenant une clause de déchéance obligeant l’État, la région, les départements de la Gironde, des Landes et des Pyrénées-Atlantiques à payer des indemnités à l’exploitant en cas de déficit [1].
Si Vallini relance cette autoroute, c’est avant tout pour faire plaisir à ces deux lascars (Eiffage et Vinci), aux patrons des entreprises régionales voulant faire du business dans une région « désenclavée » et à la fierté des élus locaux, qui se sentent grandis dès que leur fief est plus facilement atteignable de Paris. Un positionnement politique étrange pour quelqu’un qui déclare avoir toujours « eu conscience que [sa] place était du côté des faibles et des opprimés » [2].
Vallini n’en est pas à son coup d’essai en matière de grands projets inutiles autoroutiers. En 2006, il relance le projet de Rocade nord, à savoir l’achèvement du contournement routier de Grenoble par le percement d’un grand tunnel dans la montagne de la Bastille. Malgré le soutien enthousiaste de tous les entrepreneurs locaux, malgré une enquête publique tronquée réalisée en plein été, le projet capote finalement en 2010 suite à l’avis défavorable de la commission d’enquête. Veut-il, avec l’achèvement de l’A51, prendre sa revanche suite à cet échec ?
Si André Vallini est un homme politique connu nationalement, ce n’est pas du tout pour son amour des deux fois deux voies et des péages. Son image – travaillée – est beaucoup plus noble. On parle de lui comme d’un homme de justice, et on l’interroge surtout sur des questions de société autrement plus profondes que la bitumisation des campagnes. Ceci est dû un peu à son métier d’avocat - qu’il n’a que très peu exercé -, et beaucoup au premier rôle qu’il a joué dans « l’affaire d’Outreau ». Souvenez-vous : dans les années 2004-2005, ce scandale judiciaire, où des dizaines de personnes avaient été accusées à tort d’abus sexuels sur mineurs, avait « provoqué une vive émotion dans l’opinion publique », comme on dit dans les rédactions. Une « commission d’enquête parlementaire » avait été créée et Vallini en avait été élu président. Ce job lui avait permis de parader sur tous les écrans de télévision de France – les auditions de la commission d’enquête parlementaire étant télédiffusées – et de gagner ses galons de député médiatique potentiellement ministrable. À tel point que depuis ce temps-là, on le « pressentait » comme le futur ministre de la Justice d’un gouvernement de gauche.
Ancien collaborateur d’un ministre corrompu
Cette image noble de « juste » a d’ailleurs été travaillée au point d’effacer une ligne du CV de Vallini. Qu’a-t-il fait entre 1984 – année où il quitte le poste d’assistant parlementaire de Gisèle Halimi, célèbre parlementaire socialiste – et 1986 – année où il devient maire de Tullins ? Pas un mot dessus dans son livre Justice pour la République dans lequel il étale pourtant des pans entiers de sa vie. Rien non plus dans les biographies accompagnant les articles à sa gloire dans la presse locale et nationale. C’est un article du Monde (07/02/06) qui nous le rappelle : « André Vallini a gravi un à un les échelons : assistant parlementaire de Gisèle Halimi en 1981, conseiller au cabinet de Christian Nucci, ministre de la coopération et du développement, en 1984 (...) ».
Pourquoi vouloir cacher cette fonction, pourtant glorieuse, de conseiller d’un ministre ? C’est que Christian Nucci n’est pas n’importe quel ministre : il est surtout connu pour de sombres affaires françafricaines et ne doit son salut judiciaire qu’à une « miraculeuse loi d’amnistie, taillée sur mesure pour Nucci » (L’Express, 24/10/1996). En 1990, la Haute Cour de Justice ne l’a pas condamné mais l’a reconnu coupable de « dix millions de francs de tentatives de détournement et neuf millions de détournements effectifs, comme complice ou receleur » (L’Express, 06/04/1990). L’argent détourné devait servir à l’aide aux pays du Tiers-Monde.
Forcément, on comprend mieux pourquoi Vallini veut effacer cet épisode et préfère insister sur sa relation avec l’éléphant Louis Mermaz, autre ancien ministre isérois avec lequel il déclare avoir « été fier et heureux de travailler en confiance ». Pour quelqu’un qui aimerait être ministre de la Justice, avoir collaboré avec un corrompu non condamné n’est pas forcément du meilleur effet. D’autant que lui et Nucci entretiennent toujours d’excellentes relations : l’ancien ministre est encore son adjoint au conseil général (où il siège depuis trente-six ans) en charge de l’agriculture.
Celui qui s’emmerde beaucoup
S’il y a un moment que le Grand Promoteur inutile affectionne, c’est bien la pose de la première pierre. Ou alors le coupé de ruban lors d’une inauguration. Dans ces deux domaines, André Vallini excelle. On ne compte plus les photos parues dans Le Daubé ou Isère Magazine, le mensuel du conseil général de l’Isère, qu’il préside, où on le voit une paire de ciseaux ou une truelle à la main [3]. Maisons de retraite, écoles, collèges, gendarmeries, carrefours giratoires, travaux de sécurisation de route départementale, hôtel quatre étoiles, tout y passe. En septembre dernier, à Presles sur le plateau du Vercors, il est même allé jusqu’à inaugurer des toilettes sèches. Toujours avec le même air sérieux et concentré et l’une de ses nombreuses paires de lunettes de soleil sur le nez. C’est que le monsieur se vante d’avoir « l’amour de la beauté, du style, de l’élégance » (Le Figaro magazine, 12/02/2010).
Si André Vallini adore prendre la pose devant un tas de moellons entouré de petits notables locaux, c’est parce qu’il fait très attention à son image d’homme de terrain. Dans la légende qu’il s’est écrite, il se vante ainsi d’avoir fait « un rapide calcul : depuis vingt-cinq ans, à raison d’environ quarante-cinq week-ends par an et une dizaine de manifestations par week-end, j’ai assisté à près de douze mille manifestations, durant lesquelles j’ai rencontré des dizaines de milliers de personnes avec qui j’ai discuté et échangé. (...) Dans chaque village, une fontaine ou une église, un café ou un lavoir ; autant de lieux qui me sont familiers. Je mesure chaque jour à quel point je fais corps avec ce département ». À l’inauguration du cinéma Le Mélies, en septembre dernier, il continue à entretenir cette légende : « Entre nous je suis un peu exotique aujourd’hui. Un samedi à Grenoble, personne ne m’a jamais vu un samedi à Grenoble ! (…) D’habitude à cette heure là je suis en train d’inaugurer une station d’épuration dans les Chambarans ou une salle polyvalente en Matheysine et bien ce soir je suis à Grenoble devant un milieu de gens très cultivés... » (Grenews, 25/09/2012).
Un dévouement et un amour pour son territoire à relativiser. En 2007, lors d’un débat participatif organisé par le parti socialiste, il se fait surprendre par une caméra de télévision. Pendant que des militants s’expriment, il murmure à l’oreille de Vincent Peillon, présent à ses côtés : « Pour réussir en politique il faut être capable de beaucoup s’emmerder, c’est vrai. (…) À la fin c’est celui qui s’emmerde le plus qui a gagné » (dans le documentaire« La Prise de l’Elysée » de Serge Moati).
Voilà donc pourquoi Vallini « s’emmerde » tant dans les inaugurations : c’est avant tout pour « réussir en politique » et « gagner à la fin ».
Pour arriver à ses fins, il décide de quitter l’Assemblée nationale où il a siégé pendant quatorze ans, pour se faire élire sénateur en 2011. Quelques jours plus tard, il regrette déjà son choix devant une caméra indiscrète de Canal Plus (25/11/2011) : « [Au Sénat], il ne se passe rien, il n’y a pas de journaliste (...) Le palais du Luxembourg c’est vieillot, on dirait un bordel des années 30 ». Comme quoi, ça n’a pas l’air facile tous les jours de s’emmerder, surtout quand « il n’y a pas de journaliste ».
Promoteurs d’emplois précaires
Il y a une inauguration qu’André Vallini aimerait particulièrement célébrer, c’est celle du Center Parcs de Roybon, petite commune située dans les Chambarans. Voilà maintenant plus de quatre ans que le président du conseil général s’active pour faire aboutir ce projet éminemment moderne, à savoir remplacer une forêt sauvage par une zone artificielle de consommation touristique. Au passage, le conseil général donnerait plus de quinze millions d’euros d’argent public au groupe privé Pierre & Vacances, la société à qui appartient le concept lucratif des « Center Parcs ».
Pour que ce projet aboutisse, Vallini a pris soin de bien brosser dans le sens du poil Gérard Brémond, le directeur de Pierre & Vacances, comme lors de cette séance de présentation du projet au conseil général : « Pierre et Vacances est sans doute une des plus belles réussites de l’économie française depuis une vingtaine d’années. Groupe côté en bourse, dont les activités se multiplient, qui ne connaît pas la crise ou si peu ».
Si Vallini est très content que cette « belle réussite de l’économie française » soit « côtée en bourse », les conditions de travail à l’intérieur du groupe ont l’air de beaucoup moins plaire aux salariés. Cet été, encore, les salariés du Center Parcs de l’Aisne ont fait grève pour dénoncer des salaires trop bas et un manque de considération. Ailleurs, en Moselle, « le parc a connu un ‘’turn over’’ de 30 % (…) L’Insee nuance un peu ce tableau idyllique en relevant la faiblesse des salaires pratiqués. Sur les 304 salariés du groupe Pierre et Vacances, l’observatoire économique note que 60 % sont payés au Smic horaire, dont la moitié à 319 euros par mois, du fait de contrats hebdomadaires de neuf heures en tant qu’agents techniques de nettoyage par exemple. Seuls 6 % touchent un salaire supérieur de 20 % au Smic. Des chiffres que d’aucuns ne manqueront pas de mettre en regard des cinq millions d’euros affectés par la Région aux opérations de recrutement et de formation. Des chiffres que le représentant de Center Parcs n’a pas souhaité davantage commenter hier » (L’Est Républicain, 8/06/2011).
De cette réalité, André Vallini n’a visiblement rien à faire, lui qui préfère claironner les « 700 emplois directs » que va créer Center Parcs dans les Chambarans. Pour les Grands Promoteurs inutiles, la religion de « l’emploi à tout prix » oblige à fermer les yeux sur la qualité et le sens de ces emplois.
Il faut aussi dire qu’il serait mal placé pour donner des leçons de bien-être des travailleurs à Gérard Brémond. Dès son arrivée à la présidence du conseil général, en 2001, l’ambiance s’est quelque peu refroidie pour les salariés : « Après la ‘‘gestion à la papa’’ de Bernard Saugey, la ‘‘grande maison’’ départementale qu’est le conseil général vit des heures, semble-t-il, plus austères. La rigueur métallique d’André Vallini a rapidement tranché avec le style affable de l’ancien maître des lieux. » (Le Daubé, 15/03/2002).
Dix ans après, rien ne s’est arrangé, bien au contraire. Les agents du conseil général doivent subir les réorganisations permanentes organisées par Thierry Vignon, ancien sous-fifre du magouilleur Guérini (président du conseil général des Bouches-du-Rhône) et directeur général du conseil général de l’Isère depuis 2004.
Nous avons rencontré deux déléguées CFDT qui se battent depuis des années contre cette logique : « Le conseil général met en place des réorganisations permanentes comme méthode de management. Sur le territoire de l’agglomération grenobloise, on en est à six réorganisations en huit ans. Les travailleurs sociaux – assistantes sociales, infirmières, sages-femmes, etc - n’en peuvent plus, les arrêts maladies se multiplient, à la fois parce que leurs conditions de travail sont déplorables, mais aussi parce qu’ils ne peuvent plus bien faire leur travail. On fait l’inverse de ce que devrait être une politique de gauche envers les plus faibles et les plus démunis. On s’achemine vers une logique de « guichet », les travailleurs sociaux sont poussés vers une fonction de simples distributeurs de prestations n’ayant plus les moyens de réaliser l’accompagnement des publics pourtant au cœur de leur métier. Au final cette méthode sera contre-productive, car si on traite moins bien les problèmes sociaux à la base, cela va coûter plus cher à la société ensuite. Le conseil général déserte les quartiers pour regrouper ses services et faire des économies. Mais s’il n’y a plus de partenariat fort dans les quartiers, qui va prendre la place ? ».
Après plusieurs jours de grève au printemps dernier, une manifestation était organisée devant la préfecture par le syndicat CFDT en octobre dernier. « Cette fois-ci, on n’a pas proposé aux agents de faire grève, car on n’a pas envie de leur faire perdre de l’argent pour rien. Les précédentes grèves n’ont pas abouti car malgré les engagements pris par le président, la réorganisation du territoire de l’agglomération grenobloise s’est mise en œuvre sans en tenir compte. Cela révèle pour nous un réel mépris de l’expertise du personnel. Cette toute-puissance a aussi comme objectif, sans doute, de dénigrer le collectif, d’insinuer que les organisations syndicales ne sont pas crédibles et ainsi chacun se préoccupera juste de sauver sa peau. On a donc fait une manifestation en-dehors du conseil général pour faire connaître la gravité des faits. Les travailleurs sociaux avaient mis des masques blancs pour montrer leur invisibilité,et signaler qu’ils ne sont pas du tout considérés ni reconnus. On est un des départements les plus riches et pourtant le ratio travailleurs sociaux par nombre d’habitants est l’un des plus faibles de France ».
Ce qui attriste beaucoup ces deux syndicalistes, c’est que de nombreux agents leur font part du regret de l’époque où le département était géré par l’UMP Bernard Saugey : « À l’époque, on n’était pas d’accord mais au moins il y avait la possibilité de dialoguer. Maintenant dès qu’un agent exprime un avis, basé sur une expertise, qui pourrait contribuer à enrichir le débat et aider à construire une politique sociale de qualité, on le recadre. C’est une organisation totalitaire où aucun des niveaux hiérarchiques ne peut être remis en cause par la base. Le président Vallini est très éloigné des personnels et va très peu à leur contact. Nous avons malheureusement à faire aujourd’hui à un exemple de gauche décomplexée persuadée de pouvoir s’affranchir de tout dialogue social dans la mise en œuvre des politiques publiques ».
Précurseur de la mode de l’austérité, André Vallini, qui se vante d’être à la tête « du département le moins endetté de France », assume la rigueur pour toutes les dépenses sociales du conseil général – alors qu’il subventionne grassement les grands projets inutiles. Ainsi se pavanait-il lors de ses vœux au personnel de 2012 : « Je voudrais remercier le vice-président en charge des finances, Alain Mistral. Il est un peu austère comme ça, mais moi l’austérité en matière de dépenses, cela me plaît » (Le Postillon n°14, février 2012).
La valse des collaboratrices
Pour appréhender l’amour qu’éprouve André Vallini envers les simples travailleurs, il suffit de se pencher sur son rapport avec ses collaborateurs parlementaires. L’hiver dernier, une affaire l’opposant à une ancienne collaboratrice fait grand bruit : « Au début de l’année 2012, Brigitte Volmat, une militante socialiste de cinquante-six ans et ex-amie et attachée parlementaire d’André Vallini, alors député, avait attaqué son ancien patron pour ‘‘licenciement abusif, harcèlement moral et discrimination à l’âge’’. (…) Que reproche Brigitte à André Vallini, auprès de qui elle a milité dans l’Isère depuis 1986, et dont elle a été l’assistante parlementaire pendant treize ans ? De l’avoir ‘‘mise au placard’’ à partir de 2005 en la dépossédant progressivement de toutes ses missions, pour les confier à de nouveaux collaborateurs recrutés au conseil général de l’Isère. Et plus précisément à une jeune collaboratrice, devenue du jour au lendemain sa supérieure hiérarchique. ‘‘Elle a trente ans de moins que moi’’, martèle Brigitte. » (Nouvel Obs, 29/02/2012).
Finalement, Vallini s’en sort via une conciliation et des dédommagements financiers, dont le montant n’a pas été révélé, à son ancienne collaboratrice. En bon Grand Promoteur inutile, il affirmait pourtant avoir « un dossier en béton » (20 Minutes, 10/01/2012).
Cette affaire est loin d’être isolée. « À Grenoble, les commentaires sont divers, parfois contradictoires : ‘‘La nouvelle n’a surpris personne’’, témoigne cet ancien collaborateur, qui évoque des réactions ‘‘presque humiliantes’’ du sénateur dont ‘‘l’exigence est parfois poussée au paroxysme’’ (20 Minutes, 10/01/2012). Suite à la réaction de Vallini arguant que cette affaire était une attaque de la droite, l’Union syndicale des collaborateurs parlementaires a produit un communiqué pour dénoncer « une grossière tentative de manipulation ainsi qu’une volonté de se dédouaner de ses responsabilités d’employeur aux méthodes contestables. Nous avons eu l’occasion en trois ans de suivre le licenciement de trois collaboratrices de M. Vallini, deux autres ont même démissionné. Le dossier de B., notre ancienne collègue de circonscription, n’est donc pas un cas isolé de licenciement (…). Nous pouvons témoigner que c’est toujours M. Vallini qui a mis fin aux contrats de travail suivant des motifs et un calendrier qui lui étaient propres. (...) Le harcèlement moral ne peut constituer une méthode de management au prétexte de l’exercice de missions de service public » (communiqué du 23 janvier 2012).
Deux anciens collaborateurs du président du conseil général nous donnent anonymement une idée de l’ambiance que fait régner André Vallini : « C’est très déstabilisant de travailler avec lui, on travaille un peu dans la terreur. Il y a eu énormément de départs parmi ses collaborateurs. Les hommes ont souvent été promus. Pas les femmes qu’il a souvent poussées à la démission quand elles n’ont pas pété un plomb avant. Avec lui si tu n’as pas un bon caractère, tu te fais intimider tout le temps et tu es terrorisé. C’est un phallocrate. Le petit personnel n’a jamais droit à aucune considération. Il n’y a aucune humanité dans sa manière de travailler, on ne le voit jamais physiquement, il se contente de faire des remarques cassantes par écrit, SMS ou téléphone. Ce n’est pas un secret : tout le monde connaît son caractère insupportable, même les élus. Mais personne ne parle car les subventions du conseil général arrosent tout le monde alors on n’a pas envie de se froisser avec le président ».
« Du plus loin que je me souvienne, j’ai toujours voulu combattre l’injustice », proclame André Vallini dans son livre. Et encore plus fort : « Gisèle Halimi m’a surtout converti au féminisme. Elle a écrit un jour que j’étais l’homme le plus féministe qu’elle ait rencontré, après son mari et Jean Paul Sartre » [4]. Par contre, bizarrement, on ne saura pas où Halimi a écrit ça.
Encore pire que les tritons : le kyste des contestataires
Après cette parenthèse sociale, revenons, si vous le voulez bien, à notre béton et au projet de Center Parcs. Il se trouve que ce dossier n’avance pas assez vite au goût d’André Vallini. Non pas à cause de la loi sur l’eau, qui obligera néanmoins Pierre & Vacances à « valoriser 124 hectares d’espaces naturels et protégés partout en Isère » en échange des 62 hectares de terres humides qu’il va bétonner dans les Chambarans. Ni à cause des tritons palmés, qui n’ont pas encore trop fait parler d’eux dans le secteur. Mais à cause d’une autre espèce qu’abhorrent les Grands Promoteurs inutiles : les contestataires. Depuis le lancement du projet, des opposants, autour du groupe « Quelques opposants à Center Parcs » et de l’association « Pour les Chambarans Sans Center Parcs » [5], critiquent vertement la volonté départementale de transformer cet espace en bulle touristique aseptisée. Les seconds ont d’ailleurs réalisé des recours juridiques stoppant actuellement le projet. Ce manque d’enthousiasme pour les grands projets a le don d’agacer Vallini : « En Isère nous devons faire face à quelques irréductibles, qui s’opposent toujours à tout le stade, Minatec, la Rocade nord. Ils ne représentent souvent qu’eux mêmes et le dialogue est pratiquement impossible car ils sont persuadés d’avoir toujours raison » (Le Daubé, 11/09/2010).
Avec le projet de Center Parcs, ce n’est pas la première fois que Vallini a à faire aux opposants à la société de croissance. Mais ils ne les a pas toujours traité avec autant de mépris, notamment en 2006 à l’occasion de l’inauguration du premier pôle européen pour les micro et nanotechnologie Minatec. Alors que le président du conseil général vient de porter ce dossier pendant des années, allant jusqu’à mettre trente-cinq millions d’euros d’argent public sur la table, célébrant « ce grand projet créateur d’emplois, de richesses et de rayonnement pour toute l’Isère, dont le conseil général a su prendre le risque d’être le pilote et qui est sans doute le grand projet d’avenir pour tout notre département » (Acteurs de l’Économie, Juillet 2006), il exprime subitement quelques doutes : « Il faut entendre les craintes des opposants, leurs préoccupations. Grâce à eux, ma conscience citoyenne a été alertée, je me suis beaucoup documenté » (Le Daubé, 30/05/06). « Le président du conseil général reconnaît aujourd’hui ‘‘être secoué’’ par ses lectures sur les risques liés aux nanos. ‘‘Je ne savais pas tout cela quand nous avons pris cette décision, avoue-t-il. Si c’était à refaire, j’organiserais le débat plus en amont’’ » (Le Daubé, 5/06/2006).
Suite à cette prise de position, le député Vallini organise des rencontres parlementaires autour des nanotechnologies pour faire mine de se préoccuper des questions éthiques. Une manœuvre assez répandue chez les Grands Promoteurs inutiles qui aiment bien faire diversion et donner l’image de personnes qui réfléchissent – et pas seulement au PIB. Comme c’est l’usage, ces rencontres n’ont servi à rien – si ce n’est à acter la poursuite du développement des nanotechnologies sans aucune prise de recul.
Depuis, la « conscience citoyenne » de Vallini s’est rendormie. Il est de nouveau « persuadé d’avoir toujours raison ». On ne l’a plus jamais entendu émettre le moindre doute sur la fuite en avant technologique et les questions qu’elle pose. Cette sortie avait seulement pour but de peaufiner son profil de « grande conscience » à la Badinter censé lui valoir un jour la garde des sceaux dans un gouvernement socialiste.
Austérité, Compétitivité, Inutilité
Depuis qu’il s’est vu refuser ce poste en mai dernier au profit de Christiane Taubira, André Vallini semble avoir complètement abandonné ce profil de « grande conscience » pour endosser pleinement celui de Grand Promoteur inutile. Certes, son idéologie productiviste n’est pas nouvelle. Déjà en 2001 il disait s’activer « pour faire du Sillon alpin une des places fortes de la bataille technologique mondiale » (Le Daubé, 21/12/2001), c’est-à-dire pour remplir l’endroit de centres de recherche et de lotissements. Mais son élan bétonneur apparaît aujourd’hui encore plus clairement. Il a ainsi récemment plaidé pour le rapport Gallois, nouvelle bible des libéraux, en redéclarant sa flamme aux patrons : « Il faut que ce rapport permette d’associer les entrepreneurs au redressement national. On ne pourra pas redresser le pays sans eux ! Ce n’est pas suffisamment le cas aujourd’hui : il y a des tiraillements, des incompréhensions parfois. Il y a même eu des maladresses. Et il est stupide de dire que le coût du travail n’est pas un problème. C’est un vrai problème ! Il va falloir trouver une solution ! Mais il faut aussi et surtout mettre le paquet sur l’innovation ».
« Finalement, André Vallini se verrait bien aussi ministre de l’Industrie », ose Marianne (12/11/2012) qui n’a sans doute pas tort. Il pourrait également se rêver en ministre de l’Intérieur, après avoir appelé « réconcilier gauche et droite en matière de sécurité » (Le Figaro, 25/07/2010). Dès 2001, il avait « sonné la charge contre les sauvageons » (Le Monde, 31/01/2002), puis été précurseur en installant des caméras de vidéosurveillance aux abord des collèges de l’Isère : « J’assume, cela fait policier. Mais sécuritaire n’est pas un gros mot » (L’Essentiel de Grenoble et de l’Isère, septembre 2002). Celui qui avait été pressenti pour être un ministre d’ouverture de Nicolas Sarkozy, proclame sans cesse vouloir « dépasser le clivage gauche droite » et signe ses tribunes dans Le Figaro. « À des gens de gauche insupportables » il dit « préférer des gens de droite intelligents » en parlant de... Nadine Morano (VSD, 17/09/2009) !
Ses paroles et ses actes sont en tous cas représentatifs d’une certaine gauche, celle qui est au gouvernement et a presque tous les autres postes de responsabilité. Celle qui n’a toujours pas compris qu’une croissance infinie est impossible dans un monde fini. Celle qui est prête à serrer tous les budgets sociaux pour se faire bien voir des entreprises, des banques et des agences de notation. Celle qui veut recouvrir de béton les tritons palmés des Chambarans et les tritons crêtés de Notre-Dame-des-Landes [6]. Celle qui ne jure que par la croissance et l’innovation et qui pense comme Nicolas Sarkozy que « l’environnement ça commence à bien faire ».
Dans son livre Justice pour la République, André Vallini revient rapidement sur ses idéaux de jeunesse, qu’il a commencé à renier à l’armée : « C’est à cette époque que mes penchants révolutionnaires évoluent peu à peu vers un socialisme plus tempéré (…) Abandonnant la cause révolutionnaire, me dis-je, tu seras sans doute conduit à devenir réformiste. Mais n’oublie jamais tes convictions de jeunesse, et conserve au fond de toi une part de cette volonté radicale de changer le monde » [7]. Effectivement, André Vallini a conservé cette « volonté radicale de changer le monde ». Lui et ses amis défont quotidiennement le monde pour le rendre invivable. Ils le changent – maintenant ! - en le remplissant d’autoroutes, d’aéroports, de lignes TGV, de centres technologiques et de centres de loisirs sans âme. Un monde de flux et de fuite.
Pour tous ceux qui rêvent de ce monde artificiel, ces personnages sont utiles.
Si nous les qualifions de nuisibles, d’inutiles, et même de Grands Promoteurs inutiles, c’est parce qu’ils ne se préoccupent jamais de notre souci permanent, à savoir la volonté de mener une vie sensée et émancipée.
C’est le seul grand chantier qui mérite d’être ouvert.
Treize avril 1987. Le projet d’autoroute entre Grenoble et Sisteron est inscrit au schéma directeur routier national. Lentement, mais sûrement, la machine administrative est lancée. Elle aboutit six ans plus tard à l’ouverture d’une enquête d’utilité publique sur la section Varces - Col du Fau.
Les opposants, eux, n’ont pas attendu l’enquête pour se faire entendre. Dès 1989, un collectif est formé, qui réunit vingt-cinq associations. Une pétition qu’il fait circuler recueille quatorze mille signatures. Essentiellement, le collectif est composé d’écologistes, de défenseurs de la nature (FRAPNA, Amis de la Terre), et des personnes habitant sur le tracé. Après trois ans de mobilisation, on assiste en 1992 à une vraie démonstration de force des opposants. Le samedi 11 avril, près de deux mille personnes défilent à Grenoble contre l’A51. Le lendemain, une seconde manifestation regroupant presque autant de monde, et accompagnée cette fois de dizaines de tracteurs, traverse Monestier de Clermont. Lors de l’enquête publique de 1993, les opposants tentent de faire entendre leur voix en multipliant les contributions. Sur les quatre mille personnes qui donnent leur avis, 87% sont défavorables au projet. Selon la règle qui veut qu’une enquête d’utilité publique n’est là que pour faire accepter des décisions déjà prises, la section Varces - Col du Fau est néanmoins déclarée d’utilité publique.
Le 18 décembre une nouvelle manifestation réunit 3000 personnes à Grenoble. Elle conduit à la constitution d’un « réseau d’alerte ». Son objectif : être prêt à intervenir dès le premier vrombissement des tractopelles par la non-violence. Parallèlement, une action en justice est entreprise par onze communes et huit associations devant le conseil d’État pour faire annuler la DUP. Le conseil général de l’Isère, et le conseil régional demandent que les travaux ne commencent pas tant que le Conseil d’État n’a pas rendu son avis.
Le 13 mars 1995 la société SCEtauroute, chargée par AREA de la réalisation des travaux ouvre un premier chantier à la Rivoire (à côté de la gare de Vif). Le réseau d’alerte est activé. À 13 heures, profitant de la pause déjeuner, une centaine d’opposants investit le chantier. Les travaux sont stoppés net. Pendant trois mois, la présence des opposants empêche le démarrage des travaux, y compris sur les chantiers voisins. Ils ont monté un camp de base, d’abord dans un hangar SNCF près du chantier de la Rivoire, puis sur un terrain en bord de la nationale 75 entre Varces et Vif, où ils installent un marabout et des mobil-homes. Les opposants s’y relaient jour et nuit et y tiennent un point d’accueil et d’information sur l’actualité de la lutte. Tous les soirs une réunion fait le point sur les nouvelles de la journée, et décide des actions du lendemain.
Reste que même s’ils reçoivent le soutien de nombreux élus locaux, l’État ne peut pas permettre à une poignée de babas, écolos et paysans de bloquer plus longtemps l’avancée des travaux. Le 6 juillet, le chantier reprend par surprise, sous la surveillance cette fois de plus de deux cents gendarmes mobiles. Une soixantaine d’opposants se rend sur le chantier. Certains se couchent devant les machines. Tous sont expulsés manu militari par les flics qui interpellent douze personnes. Les semaines qui suivent, les actions, manifestations, (encore 3 000 personnes le 7 octobre à Grenoble) et opérations péage gratuit se poursuivent, toujours publiques et scrupuleusement non-violentes. « La plus acrobatique, la plus symbolique et la plus efficace, ce fut bien celle menée dès le 4 octobre au petit matin qui vit cinq opposants déployer deux banderoles « A51 : Jamais ! », au sommet d’une grue et se suspendre à sa flèche dans des hamacs durant 30 heures à 70 m de hauteur, interrompant ainsi le coulage de béton des piliers du viaduc de la Rivoire à Vif » (Isère Nature, novembre 1995). De nombreuses arrestations ponctuent ces différentes actions. Pas moins de soixante-dix opposants seront poursuivis au tribunal pour entrave aux travaux, mais les peines, lorsqu’elles sont appliquées, restent cependant légères.
Toute la détermination des opposants ne parvient cependant pas à mettre fin aux travaux. Devant les rouleaux compresseurs, l’opposition s’essouffle. En 1999, le tronçon Varces – Saint Martin de la Cluze est ouvert aux automobilistes, tandis que les travaux se poursuivent encore huit ans jusqu’au Col du Fau.
Il faut attendre 2005 et le lancement par l’État de la procédure de débat public préalable à la construction du chaînon manquant Col du Fau – La Saulce (au dessus de Sisteron), pour que les opposants se fassent à nouveau entendre, mais avec une intensité bien moindre qu’en 1995. De Sisteron à Grenoble, ils multiplient les réunions d’information, et participent à toutes les réunions publiques officielles, afin de faire entendre leur voix et défendre des alternatives au projet autoroutier. Avec l’abandon du projet en 2007 – que l’on doit malheureusement bien plus aux difficultés techniques et économiques qu’implique la traversée des Alpes par une deux fois deux voies, qu’à la puissance des opposants – l’opposition entre en sommeil. Il semblerait qu’aujourd’hui néanmoins, après les dernières déclarations de Vallini, les opposants déterrent à nouveau la hache de guerre à Grenoble (1) et dans le Trièves.
Photo : le 4 octobre 1995, des opposants déploient des banderoles et se suspendent à une grue dans des hamacs sur le chantier de l’autoroute A51.
(1) Voir notamment « A51 : les bétonneurs reviennent à la charge, ils ne passeront pas » sur grenoble.indymedia.org