« Ils nous méprisent. La seule explication, c’est qu’on est gentils et calmes. Ils savent bien qu’on ne va pas aller jeter des pierres sur les policiers. » Dominique et Monique Labbé ont beau garder leur sens de l’humour, on les sent à la fois dépités et exaspérés. Comme d’autres habitants du quartier, organisés au sein du collectif Bergès-Brenier, le couple, résident de la rue Casimir-Brenier, crie dans le vide depuis de longs mois, sans aucune avancée à l’horizon. Tout remonte au mois de juillet 2013 : dans le cadre des travaux du tram E, une partie du quai Claude Bernard est fermée à la circulation dans le sens Ouest-Est, entre la rue Aristide-Bergès et la place Hubert-Dubedout. Conséquence : tout le trafic en provenance de la Presqu’île se déverse dans les rues Bergès et Brenier, rejoint par le flot de véhicules venant de la gare.
Dans un premier temps, les riverains prennent leur mal en patience, espérant une remise en service prochaine. Pourtant, lorsque le tram E est inauguré, à l’été 2014, la déviation est toujours en place et aujourd’hui encore, rien n’a bougé. La circulation a doublé par rapport à la période pré-travaux, avec plus de 5 000 véhicules passant chaque jour par la rue Aristide Bergès et plus de 8 000 rue Casimir Brenier. Parmi eux, les camions poubelles et de la voirie de la Métropole, ceux des espaces verts et de la fourrière municipale ou encore les bus Transisère... Malgré l’interdiction de circulation aux poids-lourds, très peu respectent le panneau « sens interdit sauf desserte locale », placé à l’angle du quai Claude Bernard et de la rue Jean Macé, le détour imposé étant beaucoup plus long.
« On n’ose même plus ouvrir nos fenêtres »
Pour le millier d’habitants concernés, le quotidien est devenu « infernal », s’exclame Monique Labbé. « Les gens vivant au rez-de-chaussée et au premier étage sont frôlés par les camions ». « Avec le bruit, les concerts de klaxon, on n’ose même plus ouvrir nos fenêtres, qui sont en plus couvertes de suie », ajoute Céline Billon, également membre du collectif. Son collègue Michel Finet pointe quant à lui « la pollution terrible aux heures de pointe, quand les camions sont coincés au niveau des fenêtres ». Céline Billon précise « attendre une réponse d’Air Rhône-Alpes pour ce problème de particules fines. Mais il semble que le taux de pollution soit déjà bien supérieur à la moyenne autorisée par les instances européennes. » Poids-lourds et bus se retrouvent en outre régulièrement bloqués à l’angle Bergès-Brenier. En octobre dernier, des passagers ont même dû descendre de leur car, soulever une voiture et la poser sur le trottoir, pour débloquer le passage.
Devant cette situation intenable, les riverains ont donc décidé de faire signer une pétition et d’alerter les pouvoirs publics. Malheureusement, ni les diverses réunions avec la nouvelle municipalité ni les multiples courriers – restés sans réponse - envoyés à la ville, à la Métropole et au département ne font avancer les choses. « C’est illogique mais aucun responsable n’est capable de fournir une explication », s’agace Dominique Labbé. « En juin dernier, on a interpellé Eric Piolle lors de l’AG de l’Union de quartier, il nous a répondu que c’était une erreur dont il avait hérité de l’ancienne municipalité et dont il ignorait les raisons. Depuis, silence total de sa part ! » Il faut dire que le dossier est particulièrement nébuleux. Le collectif n’a ainsi pas retrouvé de délibération du conseil général – le quai Claude Bernard est classé en route départementale – ni d’arrêté du maire de Grenoble antérieurs à la fermeture. On ne sait donc pas qui a pris cette décision ni pourquoi. L’enquête d’utilité publique ne la mentionnait pas et aucun document produit avant les travaux n’annonce et n’explique le maintien de la fermeture après le chantier du tram.
Pas de coupable, pas de mobile
Quant à la solution, celle-ci paraît évidente pour le collectif : « On demande un retour à l’équilibre antérieur, c’est-à-dire la réouverture du quai Claude Bernard dans le sens Ouest-Est, jusqu’à la place Dubedout. » Cette proposition, nommée « plan B », a été étudiée par les services techniques de la ville de Grenoble, puis présentée aux habitants qui l’ont acceptée, en septembre 2014. Alors, pourquoi a-t-elle été abandonnée ? L’adjointe aux espaces publics Lucille Lheureux, interrogée par le Daubé en mai dernier, a déclaré qu’un cabinet d’études extérieur l’avait écartée. Pourtant, le collectif s’est procuré cette étude du cabinet Transitec qui, au contraire, valide ce plan B comme la moins mauvaise solution. Pour les riverains, c’est à n’y plus rien comprendre ! « On a été mis devant le fait accompli », s’indigne Michel Finet. Dominique Labbé cite une anecdote très révélatrice selon lui : « On a commencé à râler pendant les élections, du coup la municipalité Destot nous a tout de suite réunis. Un technicien a pris la parole et fait un exposé incompréhensible. Quand la nouvelle majorité nous a reçus, on a eu droit au même technicien qui nous a sorti le même exposé, avec les mêmes diapositives ! » D’où son interrogation : s’agirait-il d’une décision prise par les services techniques, que la mairie n’oserait pas contredire ?
Une lettre anonyme adressée au Postillon avançait une autre piste, particulièrement polémique. Selon ce mystérieux informateur, cette déviation absurde pourrait être liée à la domiciliation d’une ou plusieurs personnalités haut placées dans un immeuble du quai Claude Bernard. Une thèse invérifiable, que Monique Labbé balaye d’un revers de main : « On n’y croit pas car les gens vivant dans cet immeuble sont aussi embêtés. Pour rejoindre la place Dubedout en voiture, ils doivent partir à l’opposé en sortant de chez eux. » Malgré toutes ses investigations, le collectif Bergès-Brenier se trouve donc dans l’impasse. Pas de coupable, pas de mobile... Un délit presque parfait.