Le point positif, c’est que le tribunal ne nous a pas condamnés pour avoir écrit des mensonges. Notre journal était poursuivi pour « injures » et « diffamation » à propos d’un article paru en décembre 2015, intitulé « Le système Ferrari à plein régime ». Trois pages documentant la souffrance au travail à la mairie de Pont-de-Claix, résultat d’une gestion des ressources humaines chaotique de la part du maire Christophe Ferrari (par ailleurs président de la Métropole) et de sa directrice de cabinet Yveline Denat.
Dans les motivations du tribunal, on nous reproche seulement de ne pas avoir « recherché sérieusement » l’avis des « personnes mises en cause » : « L’auteur de l’article a indiqué avoir recherché l’avis des personnes en cause en essayant de joindre téléphoniquement la municipalité et ne pas avoir été rappelé. Compte tenu de la teneur de l’article, il est dommage qu’une démarche écrite à l’égard de Christophe Ferrari et d’Yveline Denat n’ait pas été tentée. » Conclusion du tribunal : « En l’absence de prudence dans l’expression et d’objectivité, la bonne foi ne peut être retenue alors que les propos sont attentatoires à l’honneur ou à la considération des parties civiles ou injurieux pour certains des termes ». Ce qui fait 6 900 euros à débourser pour notre petite structure associative : ça fait quand même cher pour une « démarche écrite » non « tentée ».
Cette « absence d’objectivité », nous la revendiquons. Il faut être soit fou soit salarié des Affiches de Grenoble et du Dauphiné pour prétendre faire du journalisme « objectif ». Écrire, c’est choisir. Décider de traiter un sujet plutôt qu’un autre, ce n’est pas objectif. Laisser tant de place à un fait divers ou à un match de foot, ce n’est pas objectif. L’enchaînement des mots, des phrases, des paragraphes, le choix des personnes interrogées ou des photos d’illustrations : rien n’est objectif.
Quant à « l’absence de prudence dans l’expression », elle est bien difficilement définissable et on peut la retrouver partout. Ceci est particulièrement vrai dans les journaux de propagande, entièrement financés par l’argent public, et faisant les louanges des actions des élus et des collectivités.
Ferrari, élu maire de Pont-de-Claix avec seulement 1 500 voix en 2014 (avec plus de 3 000 exemplaires vendus par numéro, nous avons plus de lecteurs que lui d’électeurs), dispose de moyens colossaux de communication. Le budget propagande de la Métropole s’élève à 1,68 million d’euros. Son journal est tiré à plus de 200 000 exemplaires et offre régulièrement à son président des tribunes comme cette « interview croisée » avec le président de la Chambre de commerce et d’industrie Jean Vaylet dans le numéro d’été. Il peut également se défendre dans Sur le Pont, le journal municipal de Pont-de-Claix. Dans son dernier numéro de septembre-octobre, on peut ainsi trouver un article non signé intitulé « Le maire gagne le procès contre Le Postillon ». Ce titre relève pour le coup d’une grande imprudence dans l’expression. Nous avons annoncé avoir fait appel du jugement correctionnel : la décision n’est donc pas définitive, puisque mise à néant par la voie de recours. Impossible pour l’instant de deviner son issue finale.
En outre, Sur le pont affirme que « le tribunal a considéré que les allégations de cet article concernant l’existence d’un prétendu système de gestion autocratique de la commune et de son personnel et de pratiques de harcèlement moral étaient fausses ». Ceci est mensonger : jamais le jugement du 26/09/2016 ne nie les faits rapportés par Le Postillon.
Il reconnaît même l’existence de « pièces (attestations d’employés municipaux à la retraite, documents de la CGT, compte-rendu du CHSCT de 2013...) étayant l’article litigieux ». Certains passages de ces attestations montrent d’ailleurs que nous n’avons pas manqué de « prudence » lors de la rédaction de cet article : des anciens salariés avaient bien avant nous parlé « d’omerta généralisée » de « climat de suspicion généralisé » de « souffrance immense », etc.
Si la décision du 26/09/2016 condamne le journal, c’est donc seulement pour ne pas avoir retranscrit l’avis de Christophe Ferrari et d’Yveline Denat. Le Postillon se réjouit néanmoins de partager cette supposée « absence de prudence dans l’expression et d’objectivité » avec la rédaction de nombreux organes de propagande : combien de journaux institutionnels mériteraient à chaque parution d’être condamnés pour « absence de prudence dans l’expression et d’objectivité » ?
Soucieux de laisser la justice travailler sur des sujets importants et d’économiser l’argent public, Le Postillon ne portera néanmoins pas plainte contre l’article diffamatoire de Sur le pont et laisse la Cour d’appel de Grenoble trancher le litige initial. En espérant que sa décision soit bien entendu la plus « objective » possible.