Accueil > Automne 2017 / N°42

Émilie Chalas, directrice générale des sévices budgétaires

Celle-là, on ne l’avait pas vue venir. Non seulement Émilie Chalas n’était pas engagée en politique, mais en plus elle n’est même pas scientifique. Autant dire que la nouvelle députée de la troisième circonscription détonne dans le monde politique grenoblois. Comme tous les macronistes, elle représente la « société civile » : avant d’aller à l’Assemblée nationale, elle n’occupait qu’un modeste poste de directrice générale des services de la Ville de Moirans. Dans cette ville de 8 000 habitants, elle a appris à réduire les coûts et sabrer dans les effectifs : une politique qu’elle compte bien accompagner au niveau national.

Émilie Chalas adore le parapente. Quand elle a senti le vent tourner début 2017, elle a déployé sa voile de députée, s’est dirigée vers la pente (en marchant) et a atterri à l’Assemblée, portée par le souffle de Jupiter ou Zeus, on ne sait plus. Depuis, elle plane et documente, comme tous ses confrères, sa vie de députée sur Facebook. On peut l’admirer en train d’acquiescer à toutes les propositions du gouvernement ou de « liker » les déclarations de ses ministres. Pas de fatigue, comme ce fainéant de Ruffin, ou ce tartuffe de Mélenchon. Émilie Chalas agit, point. Quand elle prend la parole dans l’hémicycle, elle lit peu ses fiches, et n’hésite pas au micro. Quand quelqu’un l’interrompt, elle dénonce « ces attitudes qui consistent à hurler, à décrier, à dénigrer, à ne surtout pas écouter. » Quand General Electric veut virer la moitié du personnel, elle lance aussitôt un communiqué, interpelle Emmanuel Macron et fait se rencontrer salariés et ministres, photos à l’appui. Peu importe si Macron est grandement responsable de la vente d’Alstom à General Electric, et donc des licenciements annoncés, Chalas fait comme la plupart des élus à chaque plan social : elle pleurniche, s’agite, se met en scène, sans jamais aller à la racine des problèmes.

Technocrate en ascension

Émilie Chalas appartient à la « société civile » vantée par Macron. Cette « élite alternative » se distingue par des CV bardés de diplômes. La députée de la troisième circonscription est passée par la sociologie et la criminologie pour, en 2003, sortir de l’Institut d’Urbanisme de Grenoble, où son père était alors responsable scientifique. Deux ans plus tard, elle entre dans le monde politique par les coulisses en réussissant son concours d’ingénieur dans la fonction publique territoriale et intègre le service d’urbanisme de la Ville de Moirans. La suite est une histoire d’amour avec le maire, Gérard Simonet (LR-UDI). Il la remarque, et la fait monter en grade. Ainsi, en 2011, elle devient directrice générale adjointe, puis carrément directrice générale des services en 2014. « Gérard Simonet aime prendre des jeunes à ces postes à responsabilité », rappelle Franck Longo, 29 ans, son directeur de cabinet depuis 2014. Et d’égrener les noms de fonctionnaires élus : Luc Rémond était DGS à Moirans, il est devenu depuis maire de Voreppe. Julien Polat, le directeur de cabinet de l’époque est aujourd’hui maire de Voiron. Et maintenant Emilie Chalas : c’est un vrai incubateur à élus-opportunistes, le maire de Moirans.

D’après son histoire officielle, la nouvelle députée aurait eu sa révélation politique lors des fameuses émeutes de Moirans en octobre 2015. Sur le terrain, elle gère les conséquences durant trois jours. Puis, face à cette apocalypse, elle voit l’ange dégarni de la République s’avancer : Bernard Cazeneuve. Le ministre de l’Intérieur est venu restaurer l’ordre républicain de sa voix monocorde. Rien de folichon, mais « cette rencontre avec Monsieur Cazeneuve m’a fait prendre conscience que je pouvais m’engager autrement », explique-t-elle sur le site d’En Marche. L’illumination va mûrir pendant deux ans, jusqu’aux législatives.

DGS, un poste politique

Alors, certes, le poste n’est pas politique au sens électif du terme. Cependant, l’étroitesse des liens entre un DGS et son maire ne laissent pas de place à l’hésitation : « Vu la nature des fonctions, une garantie de complicité avec l’exécutif est indispensable », affirme d’ailleurs le site www.carrieres-publiques.com. émilie Chalas n’a donc jamais été élue, mais a été choisie et s’est épanouie à ce poste stratégique, qui exige des compétences de « manager d’équipes et d’animateur de territoires. » Dès le conseil municipal d’avril 2014, elle fait signer une charte pour les élus et les services, tirée du Code Général des Collectivités Territoriales. « Elle a recadré les choses », convient une employée de Moirans qui poursuit : « Elle a remis en place le fonctionnement qui était peut-être un peu aléatoire et a recentré le travail administratif ». En interne, elle réorganise les réunions hebdomadaires et crée six commissions pour centraliser. Un autre employé de mairie traduit : « Elle a choisi des proches, afin de faire la pluie et le beau temps sur la mairie ».

L’optimisation comme seul cap

Surtout, lorsque Émilie Chalas arrive à la tête des services, elle doit affronter les baisses de dotations de l’État, qui passent de 992 500 euros en 2014 à 413 000 euros en 2016 (compte-rendu du conseil municipal du 16/02/2017). Elle fait le boulot, et sabre les budgets. Ce qui occasionne les remerciements du maire à sa « directrice générale pour […] une baisse significative du fonctionnement ». « Pour obtenir ce résultat, il a fallu mettre en place une restructuration forte des services et je tiens à souligner là encore les efforts faits par nos agents qui majoritairement ont joué le jeu », continue le maire en conseil municipal de mars 2016. Ainsi, dans le service technique, la baisse atteint les 10 % du budget. « Sur les dix-huit personnes attachées à ce service, cinq sont en arrêt longue maladie », assure un employé de Moirans qui y a travaillé durant des décennies et qui se trouve lui-même en arrêt. Une autre salariée de Moirans confirme : « Quand elle arrive, avec les baisses de dotations, on lui demande de réduire la masse salariale et de faire des économies, ce qu’elle a fait. C’est passé par une restructuration avec un nouvel organigramme, et ça a pu localement coincer ».

Cependant, les conséquences sur le « petit personnel » ont pu être un peu plus lourdes. Notre témoin se remémore : « Il y a eu une réunion à son arrivée. Elle a voulu tout révolutionner et a notamment brassé une vingtaine de secrétaires, qui ont changé d’attribution ». Autre exemple, une employée de ménage a été transférée à la cantine, avec un emploi du temps désastreux. Quand elle s’est plainte, « Émilie Chalas lui a proposé la démission », témoigne-t-on tristement dans les services, qui ne sont pas unanimes : « D’après ce que je sais, personne n’a été mis sur la touche. Elle incitait même les gens à passer des concours et faire des formations », évoque Martine, une autre employée de longue date. Surtout, Franck Longo relativise la responsabilité de la DGS de l’époque : « Elle a toujours été consciente de sa place, celle de mettre en œuvre la politique du maire ». Et même si le cœur d’Émilie Chalas « est à gauche », elle oublie vite ses idées quand le maire lui demande d’armer la police fin 2016. « Si ses convictions avaient pu gêner, le maire ne l’aurait pas prise à ce poste », poursuit Franck Longo.

Les avantages de la DGS

Elle s’attaque en parallèle au dossier Siep (Syndicat intercommunal d’équipements publics) qui gère la voirie du collège ou la gendarmerie. Elle se consacre à la gestion administrative un jour par semaine. Fin 2016, une grosse partie des structures est transférée à la communauté de communes du Pays Voironnais.
« La charge de travail est devenue aujourd’hui résiduelle », estime Valérie Zullian, du groupe Osons l’Avenir (opposition). Ainsi, Émilie Chalas propose de baisser ses émoluments de 25 %, ce qui n’est pas assez pour les opposants qui protestent. Pour venger sa protégée, Gérard Simonet décide, dès le conseil municipal de janvier 2017, de produire une délibération : « Considérant que la politique du Siep portée par le président n’est plus exécutable en l’état de la situation », il ordonne une nouvelle désignation des délégués au Siep afin d’éjecter Osons l’avenir et les autres opposants. Pour un petit incident de vote, le maire va même « demander que soit appelée la police municipale ».

Ce n’est pas la seule anicroche entre Simonet et son opposition autour de sa DGS. Comme le poste d’Émilie Chalas est hyper-administratif, il promet tout de même de solides avantages. Émilie Chalas a donc profité d’une voiture de fonction, un SUV (pour véhicule utilitaire sport) loué par la ville en leasing. Les opposants parlent alors « d’attributions d’avantages en nature déraisonnables qui interrogent sur la gestion communale. Un gaspillage d’argent public qui se fait au détriment de l’intérêt collectif des Moirannais », pour Marie-Christine Nardin, d’Osons l’Avenir, qui met en avant la cure d’austérité qui touche le reste de la mairie.

Aujourd’hui, qu’importe : Émilie Chalas a rendu sa voiture de DGS, mais la députée se déplace dans le même modèle, un Renault Captur. Elle a moins de sous-fifres (avec seulement deux assistants parlementaires) et son boss n’est plus le maire, mais Macron. Son objectif, en revanche, reste le même, comme elle l’expliquait sur France 3, après son élection : « Je souhaite travailler à la réforme des collectivités territoriales parce qu’il y a beaucoup à faire, pour que chacun trouve sa place et que les financements soient bien fléchés ». Elle a réussi son coup, puisqu’elle devient rapporteuse à la Commission des lois sur les thèmes de la fonction publique. De quoi faire peser de lourds nuages sur les services de Moirans et du reste de la France, avec comme horizon une baisse de 120 000 fonctionnaires prévue par Macron. Peu importent les ordres, Émilie Chalas les appliquera. Comme elle l’a toujours fait.