Accueil > Décembre 2018 - Janvier 2019 / N°48

Exclusion scolaire : les tablettes innovent

Valentine était scolarisée en sixième au collège Jean Vilar à Échirolles, un des collèges isérois équipés de tablettes par la grâce de l’État et du Conseil départemental. La famille de Valentine vit en dessous des minimas sociaux et connaît des conditions matérielles rudes qui compliquent ses études.
Elle et sa famille ont été expulsées de leur logement lors du dernier trimestre de l’année scolaire en juin 2017. Fin août, après avoir été en transit dans un gymnase, puis dans un hôtel à Voreppe bien loin d’Échirolles, la famille a enfin pu intégrer un logement stable à Saint-Martin-d’Hères. Ses parents ont naturellement pensé à l’inscrire au collège de secteur.
Mais voilà : pour inscrire Valentine, il fallait que l’ancien collège délivre « l’exeat ». C’est un document administratif de l’Éducation nationale qui permet un transfert en certifiant que les dettes sont soldées, que les manuels sont bien rendus. Dans le collège de Valentine, il s’agissait aussi de rendre la tablette numérique avec tous ses accessoires. Pas de chance, la jeune fille a perdu lors d’un des déménagements scabreux le chargeur et son câble. L’ancien collège a refusé de remettre le document jusqu’à ce que ses parents rachètent le matériel. Ce type de chargeur coûte 50 euros : pour cette famille avec quatre enfants, cela représente un cinquième de leur budget mensuel. Valentine est donc restée coincée à la maison le temps que la dette soit payée. Finalement sa rentrée scolaire a eu lieu un mois après la date officielle.
Voilà un des nombreux « bienfaits » qu’a apportés la distribution massive de tablettes Apple aux collégiens par le département de l’Isère (voir un article complet dans Le Postillon n°39). Pour justifier ce « plan numérique », les communicants prétendaient qu’elles allaient « lutter contre les inégalités et améliorer les apprentissages ». Pour « lutter contre les inégalités », ça a l’air effectivement très réussi. Et pour « améliorer les apprentissages » ? Une professeure ayant refusé de les utiliser assure que « les professeurs l’utilisent plus pour leur usage personnel que pour les cours » et que même des professeurs enthousiastes ont déchanté devant la nullité pédagogique de cette « innovation ». Ce qui n’empêche pas le Département - qui ne jure que par les produits locaux dans ses documents de propagande - de continuer à balancer des millions pour aider la multinationale américaine Apple. En plus des 33 millions d’euros nécessaires (selon notre calcul dans le n°39) pour équiper tous les collégiens et professeurs de l’Isère de tablettes, il devrait aussi équiper les établissements d’Apple TV - au moins 200 euros la pièce. Mais y-a-t-il eu un bilan de cette invasion numérique ? Le Département et le Rectorat ont-ils connaissance d’études affirmant que les élèves apprennent mieux en regardant des écrans ? On leur a demandé des réponses, mais ils n’ont pas souhaité réagir. Aujourd’hui, il n’est même plus possible d’interroger le déferlement numérique.