Accueil > Hiver - Printemps 2022 / N°64

Les larmes de crocodile de Piolle

Greenioble, capitale verdâtre

Verdâtre : « qui est d’un vert un peu sale, trouble  ».
Pourquoi la politique soi-disant écologiste menée dans la Métropole grenobloise est-elle très sale et trouble ? Réponse dans les commentaires d’une partie du discours de Piolle à la cérémonie d’ouverture de Grenoble Capitale Verte.

Le grand jour est arrivé. 15 janvier 2022, inauguration de Grenoble Capitale Verte. Le Covid a annulé la grande fête prévue, ne reste qu’un petit pince-fesses entre puissants, mandarins locaux, ministre de la Transition écologique et commissaire européen. Pour entremettre tout ce beau monde, la Ville de Grenoble s’est adjoint les services de Lucille Bailly, présentatrice de la chaîne de propagande locale TéléGrenoble. Pour introduire le discours du maire de Grenoble, elle ose cette question engagée : « Éric Piolle, j’imagine que votre cœur vert bat très fort ce soir ? »

Réponse de l’homme au cœur vert : «  Oui, effectivement il bat très fort. Parce que ces montagnes qu’on voit autour de nous nous rappellent l’émerveillement de la nature et surtout nous rappelle ce désir de justice sociale [1] que sont venus porter Evelyn Isaac Luisa et Camille. (…) Ici ensemble nous ouvrons les nouveaux chemins de la prospérité. (…) Grenoble c’est la ville du temps d’avance (…) Ce titre est un encouragement à aller plus vite, plus haut, plus fort, dans tous les domaines, à tous les niveaux, par delà les différences partisanes et géographiques. (…) Chère jeunesse activiste, vous qui êtes venue délivrer un message fort et poignant, je vous remercie du fond du cœur pour vos engagements et vos batailles [2]. Face aux géants qui mettent le monde en miettes, je vous remercie pour vos mots. Votre courage nous inspire. Il ouvre un chemin. Chaque jour je me lève en pensant à votre génération, en pensant à ce désir de justice sociale, en pensant à ce désir de faire vivre une planète si belle, en pensant à cette génération qui connaîtra de plein fouet les bouleversements du monde. C’est aussi pour cela que nous vous recevons aujourd’hui et que nous recevons ce titre comme une exigence et un encouragement à aller plus vite, plus loin, plus fort. Vous êtes ici chez vous. Grenoble est la deuxième maison de toutes celles et ceux qui se lèvent pour le climat [3].
(…) Nous répondons que le sens de notre action c’est d’ouvrir de nouveaux chemins de prospérité. Les nouveaux chemins de prospérité c’est notre marque de fabrique à Grenoble. Il y a un demi-siècle, dans les années 1960, notre territoire s’était déjà rassemblé pour se transformer, pour se lancer dans cette modernité des 30 Glorieuses, à l’occasion des Jeux olympiques. 50 ans plus tard, nous avons ce même défi à relever, cette fois-ci autour du climat. [4]
(…) La prospérité c’est la science, c’est la santé et Grenoble est fière de s’appuyer sur une recherche fondamentale dynamique, sur des chercheurs et des praticiens innovants, engagée pour décrypter ce qui change et ce qui ne change pas. (…) Voilà pourquoi nous sommes très fiers d’endosser cette année cette responsabilité de Capitale Verte et de nous appuyer sur un conseil scientifique chargé d’animer les controverses, de nous assurer que nous restons à l’écoute du message scientifique, de s’assurer du bon niveau du débat public et d’affiner les décisions prises par les élus en responsabilité. [5]
La prospérité c’est la vitalité économique, des entrepreneurs qui créent les emplois de demain, qui structurent les filières d’avenir et qui sont connectés au territoire, qui ne recherchent pas le profit pour le profit mais qui regardent ce qu’ils amènent à la communauté comme impact sur le vivant et le commun. Ce sont les entreprises mondiales ou locales qui embauchent les talents de demain. (…) La prospérité c’est surtout la culture et la libre circulation des idées, des savoirs, des histoires. (…) La prospérité c’est la vie digne.
(…) Ce que nous sommes en train d’accomplir à Grenoble, c’est l’installation de cette nouvelle prospérité, une prospérité [6] qui engendre, qui créée et non plus qui prive, qui détruit, qui réduit notre environnement, qui réduit les Grenoblois à n’être que des ressources au service d’une machine économique. Merci !

Notes

[1On veut bien que les montagnes rappellent le pompeux « émerveillement de la nature » mais par contre on ne voit pas le rapport entre des sommets et le « désir de justice sociale ». Les discours de Piolle sont-ils écrits par un humain ou une intelligence artificielle ?

[2Avant le discours de Piolle, quatre jeunes « activistes pour le climat » mondiaux ont prononcé un discours. Evelyn Acham et Isaac Ssentumbwe sont originaires d’Ouganda. Luisa Neubauer vient d’Allemagne où, avec 342 000 followers sur Twitter, elle fait figure de Greta Thunberg locale. Camille Étienne est une militante médiatique française, ayant notamment participé à la campagne présidentielle avortée d’Éric Piolle. Tous les quatre ont surtout critiqué le méga-projet pétrolier Eacop entre l’Ouganda et la Tanzanie qui a l’air d’être effectivement une sacrée saloperie : 400 puits de forage, un oléoduc de plus de 1 400 kilomètres de long pour 200 000 barils de pétrole par jour et des dizaines de milliers de personnes expropriées. Le tout mené par la multinationale française Total, avec le soutien de l’État français. Si cette horreur mérite donc d’être effectivement dénoncée et combattue, le rapport avec Grenoble et son titre de Capitale Verte de l’Europe ne saute pas aux yeux. Ça n’a pas empêché Piolle d’être très ému par leurs discours, la retransmission vidéo de la cérémonie le montrant la larme à l’œil pendant leurs prises de parole, puis pendant la sienne. Le Daubé a même fait un article sur « les larmes d’Éric Piolle ». Si vous doutez de son insincérité, lisez l’encart (3).

[3Et justement, où sont les véritables habitants de cette « maison de toutes celles et ceux qui se lèvent pour le climat » ? Et par exemple les jeunes « activistes pour le climat » locaux ? Les membres de Friday for future Grenoble, le mouvement de Greta Thunberg, n’ont pas trop digéré cette cérémonie d’ouverture, comme ils nous l’ont écrit. « On ne comptait donc ni activiste grenoblois.e ni français.e de notre mouvement, et pour cause : le cabinet du maire a contacté les personnes qui sont intervenues à la cérémonie sans en avertir qui que ce soit de notre côté.  » Parmi les « engagements  » et les « batailles  » de cette « jeunesse activiste  », il y a la critique du « label » de Grenoble Capitale Verte car « ce label entretient le mythe d’une écologie compatible avec le système actuel. Le mode de vie pratiqué à Grenoble comme dans le reste des pays industrialisés n’est pas soutenable à l’échelle planétaire. Ériger l’agglomération grenobloise comme un exemple à suivre, alors qu’elle ne remet en rien en question les dynamiques destructrices du capitalisme est alors fallacieux.  » Si cette « jeunesse activiste  » a fait le choix de ne pas dénoncer publiquement « la récupération politique de notre mouvement  » c’est avant tout par respect pour les militants ougandais venus à Grenoble qui «  risquent leur vie en affirmant leur opposition au projet Eacop de Total  ». Mais, par contre, Friday for future Grenoble « ne cautionne pas le fait que des pouvoirs publics utilisent des activistes et leurs luttes pour leur image » et se dit scandalisé «  par cette manipulation de la mairie pour tenter de se réapproprier la jeunesse en invitant des personnes qui n’ont pas connaissance des enjeux et luttes locales ». Cette indignation aurait-elle aussi arraché quelques larmes à Piolle «  inspiré par leur courage » ?

[4La comparaison avec les Jeux olympiques est effectivement pertinente. Même opération de marketing territorial, même « union sacrée » autour d’objectifs très flous, même culte pour le « plus haut, plus vite, plus fort ». Tout le monde vient bouffer au râtelier de Capitale Verte, et surtout les entreprises les plus polluantes. Parmi les entreprises partenaires de GreenGrenoble, on trouve ainsi Vicat et son ciment, Caterpillar et ses buldozers, Vencorex et sa chimie lourde ou le CEA et ses mouchards électroniques. Schneider Electrics, également partenaire, a inauguré son nouveau bâtiment « intelligent » dans le cadre de GreenGrenoble avec « toute une automatisation du bâtiment, grâce à des capteurs » permettant de récolter «  toutes les deux minutes 60 000 données exploitées en temps réel  ». Une certaine vision de l’écologie, qui veut croire que « la numérisation peut résoudre la crise du carbone  ». Faute de critères restrictifs et sous prétexte de créer une « dynamique de territoire  », n’importe quel pollueur peut se repeindre en « green  » avec Grenoble 2022. Si le président Macron n’est finalement pas venu pour l’inauguration, un autre président va venir bénir l’opération de com’ : c’est Geoffroy Roux de Bezieux, le président du Medef, qui est annoncé pour juin. Encore un qui va certainement interpeller les «  géants qui mettent le monde en miettes  ».

[5Comme Piolle l’esquisse, Grenoble capitale verte voue un véritable culte à la Science, et pas seulement en sacrifiant à la nouvelle mode de créer un obscur «  conseil scientifique » pour « encadrer les décisions ». La vidéo publicitaire diffusée au début de la cérémonie était une véritable ode à la Science, avec des phrases comme : «  Nous ne sommes pas là par hasard, nous sommes là grâce à la science. Nous sommes là, parce que la science, qui ne peut être sans conscience, est aussi là pour éveiller les nôtres, de consciences.  » Mais quelle Science ? Celle qui a inventé la bombe atomique, les pesticides, l’addiction aux écrans ou les nouvelles techniques de forage de pétrole prochainement utilisées par Total en Ouganda ? La Science n’est pas neutre et effectivement « si nous sommes là  », dans cette impasse écologique, c’est avant tout grâce aux multiples « avancées » permises par la Science, savamment orientée selon les besoins des industriels. Pour les organisateurs de Grenoble 2022, seule la Science peut pourtant nous sauver, en permettant de mieux comprendre le réchauffement climatique et donc « d’agir  ». Mais a-t-on besoin de toujours plus de « rapports alarmants  », de «  données statistiques » afin de modéliser à l’infini la trajectoire du réchauffement, la disparition des espèces et la dégradation des conditions de vie sur Terre ? Ou ne ferait-on pas mieux de commencer par se demander quelles sciences faut-il stopper, quelles innovations ne pas développer, quelles recherches arrêter ?

[6Vous aurez remarqué que le mot-clef du discours de Piolle est donc la « prospérité », qui est, selon le Robert, un « état d’abondance, une augmentation des richesses (d’une collectivité, d’une entreprise)  ». Malgré ses tentatives d’habiller « sa  » prospérité de grands engagements sur la « culture  », le « savoir  » ou « la vie digne », voilà donc clairement exprimée la tartufferie écologiste de Piolle. Répéter le mot «  prospérité » dans un tel évènement est très révélateur de la symbiose de la politique menée à Grenoble avec les stars actuelles de la «  prospérité  », à savoir les start-up. D’ailleurs, il est significatif que juste avant le lancement de cette année « verte  », plusieurs pseudo « classements  » ou articles ont célébré Grenoble comme « la Silicon Valley à la française des technologies du futur » (Le Figaro, 12/12/2021) ou comme étant «  en tête des villes les plus attractives pour les start-up en France, hors Paris  » (actu.fr, 08/09/2021) : « Selon Émilie Rondet, déléguée générale de la French Tech in the Alps Grenoble, “de plus en plus de créateurs de start-up viennent ici, alors qu’ils n’ont aucun lien avec le territoire”, attirés par ce technopôle qui permet de siéger auprès de Google, Facebook ou encore Apple, mais aussi de grands groupes internationaux comme Schneider Electric, HP, STMicroelectronics et Soitec.  » Les fameuses « entreprises mondiales ou locales qui embauchent les talents de demain  » citées par Piolle, qui œuvrent à un monde toujours plus artificiel que Capitale Verte se félicite d’attirer. Les 14 et 15 avril prochain se tiendra le « Place marketing forum ». Visant à célébrer les « 10 ans de la Chaire attractivité et nouveau marketing territorial  », cet évènement s’enorgueillit d’être « labellisé Capitale Verte ». Une véritable « capitale verte » commencerait par chasser plutôt qu’attirer ces businessmen du monde virtuel. Mais les écolocrates grenoblois les accueillent à bras ouverts, faisant croire, comme tous les autres technocrates, que la fuite en avant technologique pourrait être la solution plutôt que le problème.