Une ouverture, juste une, toute petite. Là dans la palissade qui longe la rue Eugène Fauré. Je m’engouffre. Des milliers de bombes de peintures jonchent le sol. Un spot de graffeurs. Cette ancienne station service abandonnée en plein centre ville fait figure d’ovni quand d’habitude le moindre mètre carré inutilisé est voué à la construction. Ça caille en ce mois de janvier. Deux jeunes hommes se tiennent là au milieu de la friche. L’un deux, Alhadi est originaire du Darfour au Soudan. Il a fui une première fois la guerre, pour la Libye. Puis une nouvelle fois les bombardements de l’Otan au printemps 2011. On fume une clope avec le stupide espoir de se réchauffer. Ils sont une trentaine de Soudanais et d’Érythréens à vivre ici depuis plusieurs mois. La guerre en Libye menée notamment par la France n’a pas eu comme seule conséquence de faire tomber le régime de Kadhafi, elle a aussi poussé à l’exil de nombreux Africains de l’est en Europe. Ceux-là même qui travaillaient à Tripoli alors qu’ils avaient déjà quitté leur propre pays en guerre. De cette nouvelle migration embarrassante, les gouvernements européens prefèrent ne pas parler. Des migrants que le gouvernement français tente coûte que coûte de décourager (lire par ailleurs l’interview d’Olivier de l’association ADA).
Alhadi loge dans une des deux petites pièces dont les portes ferment encore, plus loin une immense salle tapissée de matelas, où gisent les cendres d’un feu éteint. C’est ici que les nuits sont les plus pénibles. Malgré ces conditions de vie pourries, il souffle « Au moins il n’y a pas la guerre ici , c’est ce que j’ai tout le temps fui. Ici je n’ai pas peur ». Tous ont fait une demande d’asile à la préfecture de l’Isère située à 300 mètres de là avec l’espoir d’obtenir le statut de réfugié. En 2010, 12 Soudanais et 20 Érythréens effectuaient une demande d’asile en Isère. En 2011, ils étaient 112 Soudanais, 49 Érythréens et 12 Somaliens : cinq fois et demi plus nombreux d’une année sur l’autre en provenance de l’Afrique subsaharienne. Ces demandes d’asile se poursuivent dans une moindre mesure depuis le début de l’année 2012.
Au cours de l’hiver je retourne une dizaine de fois dans ce squat. On m’invite à me poser autour d’un poêle, j’apprends des bribes de leur long exil. Mais aucun ne veut totalement témoigner de sa migration, exepté Adams (voir page suivante).
Avant d’atteindre les Alpes, certains ont débarqué par bateaux sur l’île italienne de Lampedusa, d’autres sur le rivage marseillais. Des Érythréens me disent être passés par Patras, un port grec au bord de la mer Ionienne. Là-bas, les migrants se cachaient sous les essieux des camions et quand ils le pouvaient, à l’intérieur, en attendant que les véhiculent n’embarquent sur les ferries en direction de l’Italie. Il fallait éviter les chasses menées par les flics zélés contrôlant les entrées du port. « On regardait les plaques d’immatriculation des camions avant d’essayer de s’engouffrer dedans. Y avait ceux qui voulaient aller en Norvège, ceux qui choisissaient la France comme moi et ceux qui se plantaient et partaient dans le mauvais sens, quelque part en Grèce sans embarquer sur les ferries » raconte un migrant.
Février, il fait de plus en plus froid. Un couple de restaurateurs du quartier débarque dans le squat, ce n’est pas la première fois qu’ils viennent. Ils apportent un pack de lait. Une gazinière a été installée. « Quand la bouteille de gaz est vide, vous venez me voir, je vous la remplace. Si vous avez besoin de quelque chose, dites le nous, on est là » propose l’homme en pointant du doigt vers son restaurant.
Je retrouve Alhadi à Point d’eau à l’Ile verte, un lieu où les sans abris peuvent prendre une douche et se poser au chaud. Ils jouent aux cartes et boivent un café. Le midi, direction les Restaurants du cœur pour récupérer un peu de nourriture. Le reste du temps, c’est l’attente, toujours l’attente avec l’inlassable question « Vais-je obtenir mon statut de réfugié pour pouvoir vivre en France ? ».
La préfecture a classé ces hommes en provenance de l’Afrique subsaharienne en « procédure prioritaire » pour « fraude » sous prétexte que leurs empreintes digitales n’étaient pas identifiables. Un subterfuge qui provient de la direction de l’OFPRA (voir glossaire), qui est sous la tutelle du Ministère de l’immigration et de l’identité nationale. Résultat, ils ont quasiment tous reçu un rejet de leur demande d’asile avant même que leur dossier ne soit examiné.
Un imbroglio administratif qui les empêche de bénéficier d’un logement comme tout demandeur d’asile. De ce squat invivable, Alahdi n’en peut plus « Il faut qu’on trouve un autre endroit, il fait trop froid ici ». Mi février, avec l’aide de militants de l’agglomération grenobloise, une vingtaine de demandeurs d’asile occupent un bâtiment vide à Fontaine (voir encart) mais le propriétaire, la SCIC, un bailleur social, les envoie directement au tribunal pour récupérer son bien.
L’un des migrants lâche « Si je rentre dans mon pays ils me tuent. Ici il y a la paix au moins ».
Adams est Soudanais, il est arrivé à Grenoble au début de l’année 2012 après avoir traversé la Méditerranée. Le rafiot dans lequel il se trouvait a échoué à Marseille. À 26 ans, Adams, militant politique dans son pays, a fui les guerres les unes après les autres, du Darfour à la Libye. Il vient de faire une demande d’asile. Le rire d’Adams est contagieux mais il ne faut pas s’y tromper, il est révolté et ne mâche pas ses mots.
« Je viens du Darfour, à l’est du Soudan. J’ai fui la guerre là-bas parce que j’étais contre le gouvernement. J’étais un opposant politique, je faisais parti du MJE, le Mouvement pour la Justice et l’Égalité. On est rentré dans la rébellion parce qu’on subissait le racisme, l’injustice et qu’il n’y avait aucun développement de notre région. On se battait pour la dignité du peuple du Darfour, on voulait changer de régime. Je suis révolté contre certaines lois islamiques, comme la lapidation des femmes. Au Darfour, il n’y a aucun développement et pas de justice pour les habitants, le gouvernement ne considère pas les peuples darfouriens comme des Soudanais. Il n’y a pas d’eau dans cette région quand tu passes du Darfour à la capitale, ce n’est pas le même paysage. Le Darfour est complètement isolé et abandonné du reste du Soudan. Le président actuel Al Bashir est poursuivi par la Cour pénale internationale parce qu’il a commis un génocide au Darfour. Je ne sais pas, peut-être 400 000 personnes ont été tuées.
J’ai eu la chance de faire des études à Kharthoum. Mon père payait mes études de droit. Il y a 75% des étudiants qui ont un diplôme mais qui ne trouvent pas de travail. J’ai appris le français parce que ma copine était Belge. J’ai travaillé pour une association humanitaire où j’étais traducteur.
Un jour, j’ai été interviewé par un journal et les propos que j’ai tenus n’ont pas plu au gouvernement. Ils sont venus me chercher dans mon village et m’ont emprisonné sans procès, j’y suis resté un an et demi. On était dans des petites cellules dégradées, on mangeait une fois par jour. À ma sortie de prison, je suis retourné dans mon village. Il a été bombardé, alors j’ai décidé de partir. Mes parents sont partis dans un camp de réfugiés au Kalma au Darfour. Avant ils élevaient des chameaux. Aujourd’hui, ils ne savent pas où je me trouve. Je n’ai aucun moyen de les joindre. Ça fait depuis 2005 que je n’ai plus de contact avec eux. J’aimerais pouvoir les voir ou leur parler.
Libye, la fuite
Je suis parti du Darfour en 2008 pour la Libye parce que c’était la destination la plus proche, j’avais peur d’être de nouveau emprisonné parce que je continuais à militer. C’est pas parce que je suis entre guillemets dans un « petit confort » que j’ai oublié tout ce qui se passe là-bas. Je dis « petit confort » parce que c’est l’image qu’on a de l’occident là-bas. En Libye, j’ai travaillé comme berger et dans un supermarché pour gagner des sous. C’est la guerre, début 2011, qui m’a poussé à partir de nouveau. Ce sont les bombardements, et ceux des Français aussi, qui m’ont fait venir ici. C’était dangereux, tout le monde courait partout, on ne savait pas qui était avec Kadhafi, qui étaient les opposants, on ne comprenait rien et j’ai été obligé de partir.
La traversée
Je ne pouvais pas retourner au Soudan, c’était trop dangereux. On a trouvé un bateau et de l’essence et on est partis à 35. Y’avait des Éthiopiens, des Soudanais, des Somaliens, des Égyptiens mais pas de Libyens. ça a été chaud. La traversée a duré sept jours. Vous n’avez pas vécu ça. Moi, je dis : « les Français, vous avez de la chance parce que vous ne connaissez pas les mots « asile » et « traversée ». On est arrivé à Marseille, là je me suis caché dans un camion de marchandises, je me suis retrouvé à Calais. C’est un peu au hasard mais j’ai vu la plaque d’immatriculation anglaise, et je me suis dit qu’il allait en Angleterre. À Calais, il n’y avait pas de logement, on vivait dans un squat, la police nous courait après tout le temps comme si on était des animaux. J’ai essayé deux fois de me cacher sous un camion, ça n’a pas marché, c’était dangereux mais moins que la traversée en mer. Je suis resté à Calais cinq mois.
Grenoble
Je n’avais plus d’argent à Calais, alors j’ai décidé de rester ici en France. J’ai pris un train au hasard et je suis arrivé à Grenoble au mois de janvier. Je suis allé directement à la préfecture pour faire une demande d’asile politique. J’ai attendu une semaine avant de pouvoir rentrer. Je faisais la queue la nuit. Ils ne prenaient qu’une ou deux personnes. Le jour où je deviendrai président, je vais faire pareil aux occidentaux pour qu’ils comprennent ce que c’est. J’aime pas les gens qui nous traitent comme ça. J’ai ma dignité et mes valeurs, si les autres blacks ils ferment leur gueule, moi je ne peux pas, c’est plus fort que moi, je ne peux pas. T’arrives à huit heures du matin, y a trois personnes devant toi qui attendent pour rentrer le lendemain ! Je dormais dans le squat à côté, j’ai rencontré des Soudanais qui m’ont dit d’y venir. J’allais à l’association Point d’eau pour me laver.
Légalement, on devrait avoir un logement mais y en a pas. J’attends la convocation de l’OFPRA à Paris. J’espère rester ici et travailler dans la traduction, c’est tout.
Les Français
Quand on voit les associations humanitaires au Soudan, on se dit qu’ils représentent les Droits de l’Homme mais quand t’arrives ici, tu vois comment les gens ils te regardent parce que t’es demandeur d’asile et que tu viens du Soudan. Ici, les gens me zappent. Je m’attendais à de l’hospitalité, un peu d’accueil. Des voisins qui viennent nous parler, mais rien, rien du tout. On a l’impression de ne pas exister. Personne ne parle avec personne, on dirait des touristes, ils sont où les citoyens ? Les Français, ils ont peur parce qu’on ne leur ressemble pas. C’est leur manière de vivre, leur éducation, je sais pas. On crée des Droits de l’Homme mais on se moque des réfugiés, qu’est ce que ça veut dire ? La France, à cause des politiciens, perd sa valeur, son image à l’extérieur. Je ne mets pas tout le monde dans le même sac, il y a des politiciens d’un côté et aussi des militants ici qui nous aident, et il y a un petit espoir. Mais j’ai peur que les générations futures prennent le même chemin que les politiciens d’aujourd’hui.
Identité nationale
« L’immigration choisie » ils disent. Mais comment ils veulent choisir l’immigration ? L’immigration, ça se choisit pas. Vous avez le ministère de « l’immigration et de l’identité nationale ». Je sais bien qu’il y a de l’immigration mais « identité nationale », ça veut dire quoi ça ? C’est un ministère pour le racisme ? « Identité nationale », ça veut dire que vous vous êtes blancs et nous on est noirs ? J’ai jamais entendu parler dans un autre pays de l’existence d’un ministère comme ça. Ils disent « sans-papiers », mais c’est normal des sans-papiers. Il y a une époque où les gens travaillaient et n’avaient pas de papiers. Moi, je suis né sur la planète Terre. Pour vous, sans-papiers, ça veut dire rien du tout.Il y a des gens qui travaillent sans-papiers depuis des années comme on entend à la télé et on les traite comme des merdes. Ils expulsent des gens mais comment ils choisissent de les arrêter et de les expulser ? Ils prennent un blanc ? Non, ils choisissent les blacks et les arabes. Il est différent de vous, il est black, il est mal habillé comme ça se passe en boite, comme ça se passe partout. L’autre jour je n’ai pas pu rentrer en boite parce que j’étais mal habillé.
Je suis méfiant ici avec la police. Même avec des papiers français tu fais attention, y a des gens qui sont nés ici, ils sont blacks, ils ont peur de se faire contrôler. C’est n’importe quoi. C’est ça le racisme.
Le quotidien
Je fais rien ici, je me balade et après je vais dormir, c’est tout. La routine. Toi, t’as des amis, c’est banal, t’es heureux, t’as des livres là à côté, t’as ton ordinateur. Comparé à moi, je suis une merde. Je sais pas comment toi t’analyses ça, c’est comme ça. Ici, c’est chacun pour sa gueule. Le mode de vie en France avant il était comme chez nous avant au Soudan. Avant il n’y avait pas l’électricité, pas d’ordinateur, pas de cartes bancaires. Il y a eu la mondialisation et l’homme a tout fait pour sa gueule, comme fermer ses frontières. Il n’y a pas d’équilibre mondial entre le Nord et le Sud. L’essentiel pour les gens qui dirigent, c’est le business, c’est l’argent. Là maintenant, j’attends, on va voir. »
Olivier Tirard-Collet est permanent à l’ADA (Accueil Demandeurs d’Asile). Cette association accompagne les demandeurs d’asile dans leurs démarches auprès de la préfecture, de l’OFPRA, et la CNDA (voir glossaire) pour qu’ils obtiennent le statut de réfugié. L’ADA les aide à bénéficier de leurs droits sociaux et publie aussi des rapports d’activités sur la situation des demandeurs d’asile en Isère et en France. Elle est financée par les collectivités locales (la Ville, la région, le département, la Métro...) et par des associations (la Cimade, le Secours Catholique, Amnesty International...). Nous avons interrogé Olivier sur ces nouveaux migrants qui viennent principalement du Soudan et d’Érythrée (et quelques-uns de Somalie et d’Éthiopie). Lui, les appelle les « Libyens » car ils ont tous, ou presque, vécu en Libye avant d’arriver en Europe.
Depuis quand avez-vous observé une augmentation des demandes d’asile des ressortissants Soudanais et Érythréens ?
C’est la guerre en Libye qui a tout changé. Ça a débuté en mars - avril 2011 de manière relativement massive et puis leurs arrivées ont culminé en été et il y a eu ensuite une décrue. Le Soudan est devenu en l’espace d’un an, alors qu’il était très marginal auparavant, l’un des principaux fournisseur de demandeurs d’asile à Grenoble. Ce qui s’est passé exactement, c’est dur à dire. Les gens nous ont dit en gros qu’au début du conflit, ils sentaient que ça tournait un peu mal, ils essayaient de partir sans trop de conviction et puis au début du printemps des gens nous ont raconté que la police et l’armée faisaient des rafles, à Tripoli notamment, et renvoyaient les gens vers la mer. C’était au moment du retournement de veste du gouvernement italien. L’Italie finançait énormément la Libye pour empêcher les gens de traverser la méditerranée et atteindre l’Europe. À partir du moment où l’Italie a mis fin à ces financements, la Libye de Kadhafi a réagi de manière tout à fait logique, en chargeant les gens sur des bateaux avec des boites de conserves, des bouteilles d’eau et les envoyant à la mer. Un système complètement organisé par le régime Libyen. Ça n’aurait pas duré très longtemps apparemment mais quand la guerre a pris de l’ampleur et que Benghazi est tombée, là le régime aurait complètement changé de stratégie et aurait tenté de les recruter comme mercenaires avec le choix : « soit vous prenez une arme, soit on vous tue ». À ce moment-là, il y a pas mal de gens qui sont partis et d’autres disent qu’ils ont été menacés par la population qui les prenaient de fait pour des mercenaires.
Quand on a appris que le régime de Kadhafi allait tomber et qu’il nous avait servi de barrière pour empêcher l’immigration subsaharienne de venir jusqu’en Europe, les instances européennes ont paniqué en se disant « merde il va y avoir un afflux massif de gens » et c’est ce qui s’est passé. De manière paradoxale, pas tellement en France mais dans les autres pays européens ça a été le cas et massivement.
Pourquoi ont-ils choisi Grenoble et combien sont-ils environ ?
Il y avait plus ou moins une trentaine de squatteurs à côté de la préfecture sur les 190 personnes qu’on a domiciliées ici depuis un an [1]. Les conditions de vie à Grenoble sont très difficiles. Une majorité vit à Paris ou Lyon et vient retirer son courrier ici de temps en temps. On a appris qu’il y avait un énorme squat de Somaliens et d’Érythréens à Lyon et que beaucoup de Soudanais vivent dans des squats à Paris. Les types font des allers-retours.
Quel est l’intérêt de faire une demande d’asile ici à Grenoble ?
L’accès à la préfecture de Paris est impossible, c’est très compliqué à Grenoble mais à Paris il faut attendre des mois avant de pouvoir rentrer. Beaucoup d’entre eux sont aussi sans doute partis à Lyon parce que la préfecture est mieux organisée et plus ouverte et accessible qu’ici.
Quelle est la situation actuelle de la majorité de ces « Libyens » ?
La question des empreintes, c’est le noyau du problème. D’abord, il faut expliquer les procédures existantes. Il y en a deux : une procédure qu’on appelle normale, c’est à dire que les gens ont droit au séjour, ils ont un récépissé pour toute la durée de leur demande d’asile, ils ont accès aux droits sociaux, aux hébergements, à un véritable suivi administratif et social et ils ont le droit de séjourner légalement en France. Après il y a la procédure « prioritaire » qui est un terme complètement abusif, qui veut dire simplement que l’OFPRA examine en priorité ces demandes-là. Ces demandes émanent de trois types de cas et ce sont les préfectures qui décident du placement dans ces types de procédures.
Les premier cas c’est être ressortissant d’un pays d’origine sûr, pays dans lequel on peut considérer qu’il y a un État de droit qui permet aux gens de déposer des recours en cas d’abus. Le deuxième cas c’est d’avoir fait une demande « abusive ou dilatoire », c’est quelqu’un par exemple qui aura fait une demande d’asile après une OQTF (voir glossaire). Et le troisième motif, c’est le fourre-tout : quand une préfecture subodore qu’il y a une fraude dans une demande d’asile. Il y a n’importe quelle possibilité de fraude, « vous avez menti à un moment donné de la procédure ou pas dit totalement la vérité » ou alors il y a un soupçon et ils sont collés en procédure prioritaire. C’est phénoménal le nombre de décisions de la préfecture qui accuse les gens d’être des fraudeurs et de les placer dans cette procédure d’exception. C’est n’importe quoi !
Leur objectif, c’est de classer un maximum de gens en procédure prioritaire, ils trouvent n’importe quel motif pour ça. Lorsque la borne Eurodac ne peut pas saisir les empreintes digitales, cela constitue un motif de fraude et du coup, tous nos amis qui viennent de Libye, qui ont leurs empreintes abimées (délibérément ou pas), se retrouvent en procédure prioritaire.
La procédure prioritaire interdit l’accès aux droits sociaux, ils n’ont pas le droit au logement, ni à la CMU, ni à l’accompagnement administratif et social.
Le dernier truc qui frise un peu l’indécence c’est lorsque la préfecture a décidé que parce que les gens sont considérés comme des fraudeurs ils sont exclus de tout type d’hébergement, y compris l’hébergement hivernal. C’est pour ça qu’ils se sont gelés au squat cet hiver.
Leur situation, c’est qu’ils ont tous eu des décisions de rejets OFPRA suite à une note interne du directeur [2] et normalement la préfecture aurait dû leur envoyer une OQTF.
Première question : ils sont de quelle nationalité puisque la préfecture ne leur en reconnaît aucune ? Deuxièmement ils n’ont pas d’identité vu que la préfecture ne leur en reconnaît aucune et troisièmement : où est-ce qu’on va trouver des avions pour envoyer des gens à Asmara (NDLR : en Érythrée) ou à Khartoum (NDLR : au Soudan) ? Donc, ils sont matériellement inexpulsables. Ils sont demandeurs d’asile en recours devant la CNDA sans autorisation de séjourner en France mais sans OQTF : ils sont dans des espèces de limbes administratifs absolument indescriptibles.
C’est un coup pour les emmerder jusqu’au bout et les empêcher d’avoir accès à un hébergement. Je ne comprends pas l’objectif ni la logique de l’État qui consiste à dire : « on leur place des obstacles » et puis ? Espèrent-ils que les gens partent en Angleterre, qu’ils disparaissent, qu’ils repartent par la mer, qu’ils se volatilisent, qu’ils se noient en traversant la Manche ?
On est face à un État qui est complètement autiste et à une préfecture qui se fout de la gueule du monde. L’objectif politique est clairement exposé, c’est de traiter la demande d’asile comme une source d’immigration et l’immigration c’est l’objectif zéro en ce moment. Il y a des mesures administratives comme celles-ci qui peuvent faire craquer les gens et décourager les demandeurs d’asile.
La convention de Genève
Après la seconde guerre mondiale, suite à la Shoah et aux persécutions de populations la Convention de Genève du 28 juillet 1951 définit le statut de réfugié et leur protection. Le terme de réfugié s’applique à « toute personne qui (..) craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de son pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».
OFPRA : L’Office Français de Protection des Réfugiés et Apatride dépend depuis 2007 du Ministère de l’immigration et de l’identité nationale. Il est habilité à accorder ou refuser la qualité de réfugié et à délivrer les documents d’état civil.
CNDA : La Cour Nationale du Droit d’Asile est une juridiction administrative qui statue sur les recours formés contre les décisions de l’OFRPA. Elle peut en annuler ses décisions et accorder le statut de réfugié.
OQTF : Obligation de Quitter le Territoire. Mesure administrative « d’éloignement » qui est délivrée par la préfecture lorsque, par exemple, un demandeur d’asile a été débouté. Il a alors un mois pour quitter la France.
La demande d’asile peut revêtir deux formes de protections décidées par l’OFPRA : le statut de réfugié qui permet d’accéder à une carte de résident de dix ans. La protection subsidiaire est elle accordée pour une période d’un an renouvelable.
Les démarches pour obtenir une protection
Le migrant doit faire une demande d’asile en préfecture et donner son état-civil. Ce dernier est vérifié par l’Eurodac, une base de données de reconnaissance des empreintes digitales qui permet de vérifier que la personne n’est pas passée dans un autre pays de l’espace Schengen ou n’a pas déjà fait une précédente demande d’asile. Si tout se passe bien, le migrant subit un entretien à l’OFPRA au cours duquel il devra prouver qu’il est bien persécuté dans son pays. C’est cet office qui décide d’accorder ou de refuser une protection. Dans la majorité des cas, l’OFPRA refuse le statut. En 2010, sur 37 789 demandes, elle n’a accordé le statut qu’à 5096 d’entre eux, soit 13,5 %. Débouté, le demandeur d’asile peut faire un recours auprès de la CNDA qui peut annuler la décision de l’OFPRA. Sur cette même année, la CNDA a accordé à 5244 personnes le statut de réfugié (ou une protection subsidiaire). Conclusion : à peine plus d’un quart (27%) des demandes d’asile ont été acceptées sur le territoire français en 2010.
Pour des informations plus précises, se référer aux sites internet de la CIMADE, de l’ADA ou encore de celui de France Terre d’Asile.
Faute d’hébergement, mi février, la majorité des Soudanais, Érythréens et Somaliens qui vit au squat de la rue Eugène Fauré décide avec des militants de l’agglomération d’occuper à Fontaine un immeuble vide depuis 2008. Au 22 rue des Alpes, les conditions de vie sont bien meilleures : sept appartements et trois studios permettent un peu d’intimité et surtout le froid n’y est pas aussi insupportable.
C’était sans compter sur le nouveau propriétaire de ce bâtiment, la SCIC Habitat Rhône Alpes, un bailleur social. En mai 2011, la SCIC a racheté ces logements d’instituteurs à la mairie de Fontaine pour 750 000 euros. Pas de discussion, le bailleur veut récupérer son bien illico presto, peu importe que des demandeurs d’asile à la rue y vivent. Il porte plainte. Un huissier vient immédiatement constater l’occupation et moins d’une semaine après l’entrée dans les lieux, les habitants reçoivent une convocation devant le tribunal.
Du côté de la mairie communiste de Fontaine, l’édile, Yannick Boulard, refuse de rencontrer les occupants et se garde bien de signaler qu’il siège au conseil d’administration de cette fameuse SCIC en tant que représentant de la Métro.
Un communiqué lapidaire de la municipalité soutient que « L’immeuble occupé est en effet destiné à la réalisation de logements sociaux dont de nombreux Fontainois ont besoin. (…) C’est pourquoi il n’est pas envisageable aujourd’hui de soutenir une action privant les habitants de la commune de futurs logements ». Un argumentaire maintes fois entendu à Grenoble et dans son agglomération par les élus de la majorité locale qui n’ont pour seule réponse que d’opposer les pauvres aux pauvres.
Quant à l’ADA, elle soutient cette occupation comme le souligne Oliver Trirad-Collet « On est à fond pour ! On trouve l’initiative vraiment très bien et très courageuse et j’espère que ça va tenir suffisamment longtemps. On a fait une lettre de soutien pour le procès ». Un procès qui s’est finalement tenu le 13 mars après deux reports. Délibéré courant avril.