Eric Piolle et son équipe adorent le film Demain, documentaire écolo-gentil cartonnant en salle. Ils en parlent à fond sur les réseaux sociaux. Une des adjointes, Maryvonne Boileau, a proposé à l’ancien maire Destot d’aller voir ce film pour avoir un débat autour de leur vision de la ville. L’équipe municipale a même commandé une séance au Méliès le 28 avril prochain pour montrer le film à certains salariés municipaux. D’ailleurs, comment s’empêcher de faire un lien entre le titre de ce film et l’opération de communication « Grenoble, ville de demain », lancée depuis le début de l’année par la mairie ? Les deux ont en tous cas en commun de promouvoir beaucoup d’ « alternatives » très compatibles avec le capitalisme et la fuite en avant technologique (le film restant quand même plus intéressant que la « plateforme de partage et d’anticipation de la Ville de Grenoble »). Mais loin des fleurs bleues et des ateliers numériques participatifs, l’alter-maire travaille au Grenoble de demain avec... la multinationale Bouygues. Les 23 et 24 février derniers, Piolle, Odile Barnola, sa nouvelle directrice de cabinet, et son adjoint à l’urbanisme Vincent Fristot se sont rendus à Londres en compagnie de deux responsables du groupe immobilier Bouygues (Stéphane Slama-Royer et Laurent Blas) et deux autres de Linkcity, la marque de Bouygues pour les « quartiers durables ». Le but : visiter Canning Town, le nouveau quartier de Londres « accessible et sécuritaire » livré « clé en main » par Bouygues avec ses équipements, ses espaces publics, ses commerces, ses logements… Au conseil municipal, Piolle a assuré que ce voyage avait été « évidemment financé par la Ville ». N’empêche qu’il a dû être organisé par le groupe du CAC 40, qui développe actuellement un immeuble « expérimental » sur le quartier de la Presqu’île. Ce « démonstrateur du concept développé par Bouygues ABC (autonomous building for citizens) » se veut éco-innovant, presque autonome énergétiquement, et à la pointe de la fameuse « transition énergétique » (voir page 9). Dans un « document confidentiel » sur le « projet ABC Grenoble » datant de 2015, on apprend ainsi que Bouygues prévoit dans cet immeuble de développer plusieurs « interfaces hommes-machines » pour « suivre les consommations de chacun des logements » ou « transmettre aux habitants les consommations ou données en temps réel ». Ces grandes ambitions coïncident avec celles du maire de Grenoble, qui, comme on l’a appris à l’occasion du débat sur la gestion de l’éclairage public, « ne voit pas d’inconvénient » à travailler avec des multinationales. Ni à voyager avec quatre de ses représentants pendant plus d’un jour et demi alors que la visite du quartier lui-même n’a duré que deux heures et demie (collation comprise). Le but de ce voyage n’était-il pas là finalement : engager des discussions en vue de l’élaboration d’un futur « éco-quartier de demain » construit et financé par Bouygues ? d’où la présence d’Odile Barnola, plus connue pour ses compétences en finance et budget qu’en urbanisme… Pas mal pour un maire qui regrettait pendant la campagne des municipales que « la négociation avec les spéculateurs se fait derrière des portes fermées, pendant qu’on joue aux habitants une pièce de théâtre appelée “concertation” ». Bouygues va-t-il sévir à l’Abbaye, à Flaubert, à la Presqu’île ? à suivre...