Accueil > Été 2014 / N°26

« Il n’y aura pas de printemps grenoblois »

Suffit-il de gagner l’élection pour faire une campagne réussie ? Bien que la liste « Grenoble une ville pour tous » soit parvenue à prendre la mairie et à placer 42 élus, il reste encore des militants assez grincheux pour râler. Nous en avons rencontré trois, ne désirant pas témoigner en leur nom propre car « c’est difficile de jouer contre son propre camp ». On les appellera donc Dany, Eva et José. Ayant participé activement à la campagne, ils « ne sont pas très optimistes » pour la réussite du mandat, « même s’ils aimeraient bien se tromper ».

La liste « Grenoble une ville pour tous » rassemblait principalement quatre composantes : EELV (Europe-écologie-les-verts), le Parti de Gauche, l’historique association Ades (Association démocratie écologie solidarité) et le tout nouveau « Réseau citoyen ». Officiellement, ces quatre structures avaient le même pouvoir et travaillaient sur un pied d’égalité. La réalité, moins verte, penchait vers une certaine hégémonie d’EELV, notamment à cause des doubles-appartenances : « Historiquement l’Ades regroupait un tas de gens allant de l’extrême-gauche aux écologistes, assure José. Maintenant, beaucoup des cadres du mouvement sont double-adhérents à EELV et à l’Ades et imposent la ligne d’EELV à l’Ades ». Cette prise de pouvoir d’EELV sur l’Ades ne date pas de cette campagne : elle s’est fait progressivement depuis les années 2000 : « Il y a 20 ans, les Verts n’existaient pas à Grenoble, poursuit José. Aux élections de 1995 c’est seulement l’Ades qui fait la campagne. Les Verts ne sont pas là. En 2001, sur les affiches, il y a d’abord marqué l’Ades, puis les Verts et les Alternatifs. Depuis 2008, on a un renversement de tendance : c’est les Verts d’abord, l’Ades et les Alternatifs sont en retrait ».

Pendant cette campagne, l’Ades s’est donc, la plupart du temps, rangée derrière la machine électorale bien organisée d’EELV, qui est à Grenoble comme ailleurs surtout un parti d’élus et de « cadres » sans beaucoup de militants. Cette allégeance et d’autres désaccords ont fait grincer quelques dents au sein du mouvement, jusqu’à provoquer la démission du président de l’Ades en pleine campagne début janvier.

Le Réseau citoyen n’a lui jamais vraiment pesé face à EELV. D’abord parce qu’il est composé d’individualités dont beaucoup sont novices en politique, donc peu habituées aux joutes d’appareils. Par ailleurs, quelques-uns de ses membres connaissent personnellement Éric Piolle et ne se démarquent jamais de sa ligne. Et puis aussi parce que sa création doit beaucoup à Vincent Comparat, cadre d’EELV et de l’Ades. Celui-ci a fortement « incité » des personnes issues du « collectif Mounier » (qui a lutté pour le maintien du lycée) et de collectifs d’habitants à s’unir un an avant les municipales. « Ça n’a pas du tout été une manipulation, précise Eva, Comparat a juste facilité le lancement et l’organisation du réseau, qui après a été autonome ». Mais Comparat a continué à aller aux réunions et à veiller sur le nouveau réseau.
Quant au Parti de gauche, c’est lui qui a fourni le gros des militants de terrain. Pour Eva, « ce sont essentiellement des gens du Parti de gauche qui ont fait l’énorme boulot de porte-à-porte, surtout dans les quartiers Sud ». Mais ses leaders se sont vite retrouvés sur la même ligne que ceux d’EELV : « Je pensais que le Parti de gauche contre-balancerait le poids des Verts. En fait, le Parti de gauche a accepté tout ce que voulaient les Verts en échange de la place de numéro deux pour Élisa Martin. Ils étaient presque tout le temps d’accord, notamment parce qu’au Conseil régional, Piolle et Martin s’entendent très bien. C’est curieux mais en fait cette élection s’est faite au Conseil régional ». Ce qui est encore plus curieux, c’est qu’au Conseil régional Piolle et Martin faisaient partie de la même « majorité de gauche » que Jérôme Safar, le candidat du PS, et gouvernaient ensemble sans trop d’anicroches.

Dany regrette le poids prépondérant pris par EELV, car « ce qui ressort c’est que l’appareil des Verts n’a rien à envier aux socialos. Pour eux faire de la politique, c’est balancer un plan de communication ».
Ce plan de communication a été inspiré par Erwan Lecoeur (voir page 11), qui est venu plusieurs fois faire des formations aux seuls élus municipaux d’abord, puis en janvier à l’ensemble de la liste lors d’un week-end à Malleval. « Il a beaucoup insisté sur la nécessité de ‘‘raconter une histoire’’ ou ‘‘faire un récit’’ autour de la campagne, raconte Eva. C’est son grand concept, mais c’est juste de la com’. Sous son influence, des membres d’EELV ont insisté pour appeler la liste ‘‘Grenoble, vraiment !’’ parce que selon lui il fallait un nom comme ça ». Le texte présenté pour défendre ce nom comporte d’ailleurs des petites perles de langue de bois, comme : « tout l’intérêt de ce slogan est d’arriver à transformer une réalité sociale neutre (nous sommes des Grenoblois) en sentiment positif (nous vivons la vie et vibrons ‘‘à la grenobloise’’). »
Eva poursuit : « On était un certain nombre à trouver que cela ne voulait rien dire. Mais les gens d’EELV n’aimaient pas ‘‘Grenoble une ville pour tous’’, qui pour nous avait du sens, parce qu’ils trouvaient ça trop long et dur à mettre en page. » Finalement, EELV ne gagnera pas sur ce point-là.

Dany poursuit : « Vincent Comparat (leader de l’Ades) avait prévenu dans un article paru dans Libération que le Rassemblement ne voulait voir ‘‘ni Duflot ni Melenchon’’ venir à Grenoble, pour pas nationaliser les enjeux. Au final, on a eu Duflot, Cosse [NDR : secrétaire national d’EELV] et plein de responsables Verts, mais pas Mélenchon. Il n’y a que les adversaires qui ont parlé du ‘‘rouge’’. D’ailleurs, on n’a quasiment pas été présents sur les luttes sociales pendant la campagne. On faisait de la communication sur les pics de pollution mais pas sur les luttes sociales. Il y avait la lutte des salariés de chez A.Raymond à cinq minutes en tram du local de campagne : personne n’a bougé. Pour les pompiers, on a quasiment rien fait. On est resté soigneusement à l’abri de la rue, de la clameur parce que les luttes ne rentraient pas dans le plan com’ : quand Valls est venu, on était quelques-uns à avoir fait un rassemblement de protestation. Le directeur de la campagne nous a interdit d’avoir une réaction, ou de faire une affiche ou des tracts au nom du Rassemblement car selon lui ‘‘cela donnerait à Safar une occasion en or de se mettre dans le camp des républicains et d’en remettre une couche sur le soit-disant sectarisme de notre liste, notre attitude anti-républicaine’’. » Toute la campagne aura été marquée par cette volonté d’être « crédible » et « responsable » : des tracts un peu plus « offensifs » dénonçant par exemple « les logiques de métropolisation » n’ont jamais été diffusés.

EELV s’est livré à un exercice subtil : être identifié comme opposant du PS à Grenoble tout en étant dans le gouvernement et en présentant des listes communes dans beaucoup d’autres communes de l’agglomération (Pont-de-Claix, Échirolles, Saint-Martin-d’Hères). Pour Dany : « Les Verts c’est le PS des années 1970 quand ce parti avait encore des idées. Dans plein de collectivités locales le PS est pour eux plus souvent un allié qu’un adversaire : quand il leur offre des postes ! Piolle a une culture du compromis ; et ce qui est sûr, c’est qu’il n’a pas du tout la culture du conflit et de l’opposition. » Selon un militant du Parti socialiste, le véritable souhait de Piolle n’était pas de gagner tout seul mais avec le PS : « Piolle voulait garder d’anciens adjoints socialistes pour qu’il l’aide à mettre en place sa politique. De toute façon, il avait prévu dès le départ de s’allier avec le PS à la Métro. Partager les responsabilités à la mairie, cela lui aurait permis de justifier la non-réalisation de certaines promesses ». Le lendemain du premier tour, Piolle a donc tout fait pour la fusion en déroulant le tapis rouge pour la liste de Safar. Des cadres EELV avaient même fait adopter (en petit comité) un changement de nom de la liste (qui serait devenue « Pour Grenoble »). Pour faire ami-ami avec le PS, Piolle était prêt à tout, jusqu’à proposer au comité de campagne - au lendemain du second tour victorieux - d’offrir le poste de premier adjoint à un élu PS. Ce cadeau n’a finalement pas été accepté par ses colistiers.

Alors, quels pronostics pour la suite ? La nouvelle équipe parviendra-t-elle à faire vraiment quelque chose de différent ? Pour Dany : « Il n’y aura pas de ‘‘printemps grenoblois’’ car on n’est pas parvenus à aller chercher les petites gens. Des ‘‘GAC’’ (Groupes d’action citoyenne) ont eu un début d’existence un peu partout dans la ville au début, mais ils ont vite été abandonnés au profit d’ une ‘‘task force’’ plus classique qui se projetait ici et là. »

José le rejoint : « Au final on a une élection de bobos, surtout centrée sur les ‘‘technos’’, alors qu’à la base on devait aller chercher les abstentionnistes. On n’a pas su parler à ces gens-là, parce qu’on est à côté de la plaque sur la réalité de leur vie. L’objectif de la municipalité durant ces six années de mandat ça devrait être d’aller chercher les gens dans la mouise, de les convaincre qu’ils sont des citoyens comme les autres pour qu’ils participent vraiment à la vie de la cité. Vu comment s’est passée la campagne, c’est plutôt mal parti. »

Surtout que les élus ont maintenant tous les pouvoirs et les militants de base plus aucun, comme le regrette Eva : « Pour les postes d’adjoint et de conseillers municipaux délégués, Piolle a fait des entretiens individuels avec chacun des 42 personnes de la liste, comme un chef d’entreprise. Pendant la campagne, beaucoup des décisions se prenaient au consensus, tout le monde avait plus ou moins voix au chapitre. Et puis une fois la campagne finie, cette manière de faire a disparu. On est un certain nombre à s’être beaucoup activés : ça n’existe plus. »
Erwan Lecoeur, le nouveau directeur de la communication ne nous a pas dit autre chose : « C’est le groupe des élus qui va décider de tout. C’est les élus en fonction de ce qu’on va voir monter chez les citoyens. On va vraiment essayer de faire un truc qui soit à l’écoute des gens dans la rue. Et ça, ça va peut être gêner les militants parce que les militants pensent avoir raison plus que les citoyens, plus que les élus... On aura peut être ce souci. Comme partout c’est un truc que j’ai étudié dans toutes les organisations écologistes : il y a toujours les militants qui sont les plus emmerdants, c’est leur rôle ».

Les apparatchiks verts

Si beaucoup de monde s’est réjoui de la victoire d’Eric Piolle, certains avaient plus de raisons que d’autres : elle leur a offert un travail et leur a permis de voir du pays. Outre Erwan Lecoeur, qui a quitté Paris et son job de « sociologue-consultant » pour venir diriger la communication de la ville, deux autres jeunes très proches d’Europe-écologie-les-Verts ont su sauter sur l’occasion d’avoir une nouvelle place. Gaël Roustan habitait jusqu’à peu Lyon où il oeuvrait en tant que « secrétaire général du groupe des élus EELV » : il est depuis avril revenu à Grenoble, ou il avait fait ses études et cofondé le syndicat étudiant Fac Verte, pour devenir directeur du cabinet d’Eric Piolle. Julien Zloch lui, a fait des études de droit et une carrière de technocrate, d’assistant parlementaire à la direction d’EELV jusqu’à être ces derniers mois chef de cabinet adjoint de la ministre Cécile Duflot. Comme tout s’enchaîne bien pour ce jeune homme, une fois sa ministre partie du gouvernement, le 31 mars, il a fait ses bagages pour Grenoble pour prendre la place de chef de cabinet du maire. Si ces jeunes apparatchiks nous sont inconnus, ça fait un moment qu’ils étaient dans un coin de la tête de Piolle . Selon Eva : « Lecoeur et Roustan étaient prévus depuis le départ : ils n’ont pas été sur le terrain pendant toute la campagne mais quand ils sont apparus le 30 mars au soir, ils connaissaient déjà tout de la campagne ».