Accueil > Été 2013 / N°21

L’histoire au coin de la rue

Parlons d’un temps que les plus de vingt ans ne peuvent pas méconnaître. En mai 2003, un collectif grenoblois fit la tentative de débaptiser la rue Thiers. Les raisons étaient recevables : Thiers, Adolphe de son prénom, est tristement célèbre pour avoir fait tirer dans la foule lors de la Commune de Paris (1871) en tant que chef de l’Etat (de gauche), tuant ainsi aux alentours de 20 000 personnes lors de la fameuse semaine sanglante. Les huit « contre-plaquistes » substituèrent donc avec raison de nouveaux panneaux « rue de la Commune de Paris ». Mal leur en prit. Aussitôt interpellés, ils furent traînés jusqu’en cassation pour avoir refusé de donner leur ADN.
Alors il est des débaptiseurs plus prudents, qui au lieu de la clé à pipe, utilisent la colle. Ainsi fût-il fait rue du 19 mars 1962, faisant la jonction entre Grenoble quartier Île Verte et Saint-Martin-d’Hères avec son avenue Gabriel Péri.
Cette rue commémore la date des accords d’Évian marquant le bien tardif cessez-le-feu de l’atroce guerre d’Algérie. Or, quelle ne fut pas notre surprise de constater que les plaques de cette rue avaient été encollées et renommées : rue Jean Bastien-Thiry.
Lieutenant-colonel de l’armée de l’air, pro-Algérie Française inspiré par St Thomas d’Aquin, Jean-Marie Bastien-Thiry est connu pour avoir fomenté avec quelques membres de l’OAS (Organisation Armée Secrète) un grand nombre d’attentats contre le président de Gaulle, dont le plus spectaculaire, celui du Petit-Clamart le 22 août 1962. Condamné à mort, il fut le dernier fusillé français, le 11 mars de l’année suivante. Cinquante ans plus tard, il n’y a que les nostalgiques de l’Algérie Française pour rappeler le souvenir de cet homme à grands coups de pinceau à colle à plusieurs mètres de haut. Ce cas est l’inverse de celui de la rue Thiers : cette fois, on retire un événement charnière de l’histoire de France pour célébrer un personnage militaire colonial guidé par la main de Dieu dans ses tentatives d’assassinat. Effectivement, l’Histoire se joue au coin de la rue.