Accueil > Printemps 2023 / N°68

L’urbanisation augmentée

Dans le Grésivaudan, les agrandissements d’usines, assortis de quelques arrangements avec la loi vont nourrir le pire des prédateurs pour les agriculteurs : la pression foncière.

Le 16 décembre dernier, les élus du Grésivaudan ont reçu en grande pompe Cyril Menon « directeur opérationnel » de Soitec, usine voisine de STMicro produisant aussi des puces électroniques. Au programme : présentation du nouvel agrandissement de l’usine, le projet «  Bernin 4  ». Pour dix hectares actuellement, l’usine devrait en occuper vingt en 2030, empiétant sur les terres agricoles alentour. Tout le monde applaudit à cette nouvelle artificialisation, et le président de la communauté de communes Henri Baile de s’emballer : «  On est là au carrefour de deux mondes, du privé et du public, et qui œuvrent ensemble main dans la main dans l’intérêt général à la fois du territoire mais au-delà du territoire du Grésivaudan je serais tenté de dire dans l’intérêt du territoire national voire européen.  » Fabriquer des puces, c’est même d’intérêt cosmique, non ?

Pour cet « intérêt  », les contraintes deviennent des enjeux : « Cette délibération ouvre aussi des enjeux complémentaires pour nous.(…) On touche à des problèmes à la fois d’alimentation en eau, de capacité à loger, de capacité à déplacer.  » Leur résolution pose des problèmes réglementaires ? Ils peuvent toujours s’enjamber comme l’indique le vice-président à la promotion économique Jean-François Clappaz : «  L’extension du site de Soitec va nous obliger à passer de l’autre côté des limites intangibles du schéma de cohérence territoriale (Scot). (…) On passera par une procédure un peu particulière en termes d’urbanisme. »

Le problème c’est que, comme pour l’eau, l’espace disponible dans le Grésivaudan n’est pas infini. Notamment pour le logement, pour lequel il va aussi sans doute passer « de l’autre côté des limites » de lois, comme la loi Zan (zéro artificialisation nette), qui demande aux collectivités de réduire de moitié la «  consommation  » d’espaces naturels, agricoles et forestiers, d’ici 2030.
La « consommation » des dix dernières années est de 391 hectares (!), annonce Laurence Théry, la vice-présidente en charge de l’aménagement. «  Ça veut dire que dans les perspectives d’adéquation entre la résidentialisation, l’habitat et le développement économique, il va falloir composer avec 195 hectares. » Avec déjà dix hectares pour Soitec, et plusieurs dizaines pour STMicro, ça risque d’être compliqué pour construire les logements et équipements pour les milliers de personnes attendues. À moins qu’il y ait quelques «  limites repoussées ». C’est bien ce qu’insinue Henri Baile : « Il a été adressé à l’État une motion sur le Zan par rapport à l’utilisation foncière. Le dialogue avec les services de l’État est vraiment instauré.  » Dans une interview à L’Essor (12/01/2023), le même annonce : « Toute la difficulté de la vallée du Grésivaudan, c’est qu’elle est contrainte par le plan de prévention des risques d’inondation. Il y a beaucoup de fonciers sur lesquels nous ne pouvons pas construire. C’est une négociation que nous menons avec les services de l’État pour que certains fonciers qui sont maintenant à l’abri des digues puissent être rendus à l’urbanisme, tout au moins à l’urbanisme économique.  »

Cette urbanisation galopante « va aggraver tous les soucis que connaissent déjà les agriculteurs du Grésivaudan  », témoigne Léa, maraîchère installée à Laval. Elle a eu de la chance, quand elle s’est installée voilà quatre ans, d’avoir accès à des terrains communaux. « Sinon c’est impossible de s’installer. Les propriétaires ne veulent pas faire de bail sur les terres agricoles parce qu’ils attendent qu’elles passent constructibles. L’extension de STMicro va amplifier le problème...  » En dehors de cette problématique foncière, Léa pointe aussi l’inégalité tarifaire à propos de l’eau. «  Les 150 premiers m3 sont à 1,28 € le m3, après ça passe à 1,57 €. L’année dernière, j’ai utilisé 1 000 m3 pour arroser mes 4 000 m2 de maraîchage. Pendant ce temps-là, les gros utilisateurs comme STMicro (au-delà de 150 000 m3) payent 43 centimes le m3...  » Si des discussions sont en cours avec la communauté de communes pour que les paysans payent l’eau moins cher, reste que l’agriculture ne semble pas faire partie des priorités des élus : à la communauté de communes, le vice-président dédié à l’agriculture est 14ème et dernier dans l’ordre protocolaire. «  C’est paradoxal, conclut Léa. Parce qu’on a de plus en plus de “bobos bio” qui veulent consommer local, que c’est l’alimentation que promeut la collectitivité alors que la paysannerie est de plus en plus mise à mal. »