Le Lyon-Turin, ce projet de nouvelle liaison ferroviaire à travers les Alpes qui prévoit au total la réalisation de 130 kilomètres de tunnels, cumule les avantages pour les élus du coin. Non seulement il permettra de « désenclaver » Grenoble et le reste des Alpes (il faut dire que la région, parsemée d’autoroutes, est vraiment enclavée et loin de tout), mais en plus ce projet, qui devrait coûter près de 24 milliards d’euros, serait « écologique ». Argument fallacieux pour plusieurs raisons, et notamment pour l’impact qu’aura ce chantier colossal sur les territoires traversés.
La commune de Villarodin-Bourget en Haute-Maurienne, 500 habitants, sera l’une des plus touchées par le chantier du tunnel international (57 kilomètres entre St-Jean-de-Maurienne et Venaus en Italie), car c’est ici que débouche l’une des trois descenderies de reconnaissance. Ces galeries achevées en 2007, seront autant de points de creusement du tunnel international et d’évacuation des déblais à partir de 2013 : c’est donc 2,5 millions de m³ de roches, autant que la grande pyramide de Khéops, qui vont s’entasser ici au bord de la rivière Arc, en butte terrassée de 200 m x 400 m x 30 m de hauteur moyenne. Sur un versant boisé au sous-sol fragile (gypse), d’où un risque important de glissement des déblais entraînant l’obstruction de la rivière. D’autre part, l’usine de béton servant à étayer le tunnel doit s’installer juste en face, sur la seule zone tampon pour absorber les crues de l’Arc avant Modane. Le chantier Lyon-Turin, ce sera aussi une nouvelle centrale électrique (toujours en bord de rivière, juste sous le village), et quatre ans de bruit et de poussière dans la vallée.
La municipalité a attaqué en justice la déclaration d’utilité publique des travaux, qui d’après le conseiller municipal Philippe Delhomme, est basée sur des études géotechniques très insuffisantes et des études d’impact faune-flore bidons. La commune a refusé toute « mesure de compensation » proposée par la société LTF (maître d’oeuvre du Lyon-Turin), et des panneaux « Non aux déblais » ont été accrochés aux balcons et toits de lauze. « Ils avaient dit qu’ils évacueraient les déblais par bande transporteuse, or ils ont finalement tout fait par camion. Ils avaient promis de ne pas faire de tirs d’explosifs la nuit, mais on se faisait réveiller sans arrêt. Tout tremblait, et des maisons ont gardé des lézardes. Mais le pire, c’est que la descenderie a intercepté toutes les sources d’eau potable qui alimentaient le village, 60 l/s de débit total. Et au lieu de nous rendre cette eau, ils ont préféré financer une nouvelle canalisation depuis la station de la Norma. Tout simplement parce que cette eau, ils vont en avoir besoin pendant le chantier ! », raconte Philippe Delhomme.
à Villarodin-Bourget, loin des salons feutrés de la Chambre de Commerce et d’Industrie, le Lyon-Turin dévoile son vrai visage : une spoliation du bien commun – eaux, paysages, espaces naturels, qualité de vie et argent public - au profit d’une minorité de bétonneurs et d’industriels.
Accueil > Décembre 2011 / N°13