Accueil > Decembre 2021 - Janvier 2022 / N°63

Le droit du travail au bulldozer

Les grosses boîtes, ça ose tout et c’est même à ça qu’on les reconnaît. Mauro se trouve ainsi dans une situation complètement kafkaïenne, causée par la rapacité sans limite de son employeur et l’interconnexion des fichiers due à France Connect. Simple ouvrier, Mauro bossait auparavant de nuit à Caterpillar Grenoble. Mais en 2009, la boîte décide de modifier unilatéralement ses horaires, et sa rémunération baisse ainsi de 250 euros par mois. Une plainte aux prud’hommes aboutit sur une victoire, l’employeur étant condamné à lui verser 2 800 euros en 2010. Ça aurait pu en rester là, mais la multinationale américaine décide de faire appel. S’en suit un très long feuilleton (cassation, retour en appel, etc) aboutissant finalement à la condamnation définitive de Caterpillar à payer 29 000 euros à Mauro (avec les dommages et intérêts) onze ans plus tard, en mars 2021. La multinationale traînant encore des pieds, un huissier est saisi en juin, ce qui pousse finalement Caterpillar à contester la somme due. Entre-temps, elle fait mine d’appliquer la décision de justice en versant 21 200 euros (soit quand même 8 000 euros de moins que la somme due) sur la fiche de paie de Mauro… « mais seulement sur la fiche de paie ! Sur mon compte en banque je n’ai rien reçu. Comme tout est connecté avec France Connect, j’ai perdu quasiment tous mes droits aux APL, ceux-ci passant de 398 euros à 43 euros. Mes 1 600 euros mensuels ne suffisant pas à payer mes factures, j’ai vite été à découvert et la banque m’a interdit d’utiliser chéquier et carte bleue... » Depuis l’été, Caterpillar continue à jouer la montre, demandant de multiples renvois des jugements demandés pour contester la somme due. Un délibéré du 16 novembre a enfin débouté la multinationale de ses demandes, mais à ce jour Mauro n’a toujours rien reçu. La situation devrait être réglée avant la prochaine audience du 7 décembre, mais le salarié – et quatre autres collègues dans la même situation – n’osent plus rien espérer. « C’est quand même complètement dingue cette histoire. Encore ce serait une petit boîte...  » soupire Mauro. Au troisième trimestre 2021, le bénéfice de Caterpillar a « dépassé les attentes », atteignant 1,43 milliard d’euros.