Accueil > Été 2021 / N°61

« Le gars qui veut s’enrichir en cherchant des cristaux, c’est pas le bon filon »

Au milieu de ces grands tas de cailloux mal rangés que sont les montagnes se cachent quelques pépites : les cristaux. Parmi les habitants des montagnes s’activent quelques passionnés de ces beaux cailloux : les cristalliers.
Daniel Canac fait partie de ceux-là. Une activité qui lui a valu une garde à vue dans l’affaire des « cristalliers de l’Oisans  » en 2005, une condamnation pour détention d’explosifs et quantité d’aventures rocailleuses. Alors qu’il est rangé du burin, il raconte sa passion.

En 2005, vous avez été un des inculpés dans l’affaire dite des « cristalliers de l’Oisans  ». Comment vous êtes-vous retrouvé dans cette galère ?

Ça a commencé comme ça : un jour mon frère s’est inquiété parce que j’étais en train de prospecter aux cristaux et que j’étais pas revenu. Il l’a donc signalé à la gendarmerie. Quand je suis finalement rentré indemne, je suis allé à la gendarmerie pour lever l’alerte. Ça a mis la puce à l’oreille au gendarme qui a commencé à enquêter sur mon activité de recherche de cristaux. Il était un peu intégriste ce gendarme : pour lui si vous ramassez deux cailloux en montagne, vous volez l’État. Alors il m’a mis sur écoute, et d’autres personnes aussi, pendant au moins trois mois. C’est dingue d’utiliser des moyens aussi importants. Sur les écoutes il a juste trouvé qu’on allait chercher des cristaux… même pas qu’on faisait du commerce, hein.

Il vous a quand même mis en garde à vue.
Un matin, ils sont venus nous chercher à six heures. On a fait 48 heures de garde à vue, moi j’étais à Bourg d’Oisans, d’autres à Livet-et-Gavet. Après on est allés au palais de justice de Grenoble pour voir la juge d’instruction. On nous a traîné menottés devant le palais de justice, on croisait les gamins qui allaient à l’école. À la sortie, on devait se démerder pour remonter, comme j’avais pas un sou en poche, je suis remonté en stop.
J’ai été le seul à être passé devant le juge, à cause de l’explosif. À l’époque ça faisait des années que j’en utilisais plus mais j’en avais encore un petit peu. Ils l’ont su à cause des écoutes téléphoniques faites pendant la garde à vue. Le premier soir de garde à vue, mon père appelle mon frère et lui parle des explosifs. Le matin, le flic chargé de l’enquête m’a fait un chantage en me disant : « Vous êtes sur écoute et hier soir on a saisi une conversation entre votre père et votre frère disant que vous aviez des explosifs alors de deux choses l’une, soit vous nous les filez soit je mets aussi vos parents en garde à vue.  » Au procès j’ai eu du sursis et 800 euros d’amende, mais sinon il y a eu un non-lieu général malgré des mois d’enquête.
Finalement, cette affaire a fait pssshiiit alors que Le Dauphiné libéré a fait des unes et des pages entières dessus. Comme ils avaient essayé de grossir l’affaire au maximum, on était aussi inculpés pour « travail dissimulé ». Alors que les cristaux, c’est avant tout un loisir. Quand des personnes vont chercher des champignons, on ne les accuse pas de travail dissimulé. Mais si on dit « recherche amateur », aux yeux de la loi, ça fait moins grave.

Mais avec les cristaux, on peut gagner beaucoup d’argent…
Au départ, c’est une passion. Tous les gens que je connais qui cherchent des cristaux, c’est pas pour l’argent. Si on en vend un peu, c’est surtout pour se payer du matériel. Moi, si j’en ai vendu quelques-uns, j’ai plus dépensé en achat que reçu de la vente de minéraux. J’ai voyagé au Brésil ou au Pakistan, dans ces pays-là y a de belles choses, des tourmalines, des aigue-marines, et j’en ai achetés quelques-unes.
Il y en a qui arrondissent leurs fins de mois en vendant des cristaux, mais on ne peut pas se faire de vrais salaires, on ne peut pas en vivre toute l’année. Une année où tu trouves rien, tu fais quoi ? C’est trop aléatoire, encore plus que les champignons et à la différence de ces derniers, ça repousse pas l’année d’après. Le gars qui veut s’enrichir en cherchant des cristaux, c’est pas le bon filon.

Comment vous est venue cette « passion  » pour ces « recherches amateurs » ?

Je ramasse les cristaux depuis que je suis gamin. À l’école ils nous disaient, c’est bien, au moins quand vous allez chercher des cristaux dans les montagnes, vous faites pas les ânes. Maintenant on nous traite de brigands. C’est mon père qui m’a initié, qui m’a donné le virus (1). Lui était guide et il récupérait aussi bien les racines d’arbres arrachés par les avalanches que des cailloux, même certains qui n’avaient aucune valeur pour les collections. Il ramassait ça parce que c’était joli et qu’il trouvait ça décoratif.
Vers sept ou huit ans, j’ai trouvé dans les cailloux de l’ancien torrent une grosse pièce avec de l’épidote et c’est comme ça que c’est parti. Après j’ai continué tout seul, accompagné par des copains.

Comment on apprend à devenir cristallier ?
Ça s’apprend pas, ou surtout sur le tas, en observant. Avant il n’y avait pas le musée des minéraux à Bourg d’Oisans mais on allait au muséum à Grenoble, et on voyait exposées de belles choses qui venaient d’ici. Alors on essayait d’en trouver. À 500 mètres de la maison de mes parents à Bourg d’Oisans, il y en avait. Il y a des coins hyper connus et puis d’autres qu’il faut dénicher. Souvent, en voiture je vois une zone, un éboulement, des fissures, je me dis tiens, il faut aller y jeter un coup d’œil. Nombre de fois, on trouve rien.

Vous avez déjà eu des accidents ?

Je me suis un peu esquinté une fois, un bloc m’est tombé dessus. J’étais sur mes gardes, heureusement, parce que c’était instable. Quand le bloc est tombé je me suis retiré mais une partie m’est tombée sur le pied. Je me suis fait une fracture aux cinq orteils, ce qui m’a valu deux mois à l’hôpital... Un ami s’est tué sur les Deux Alpes, en se prenant un bloc. Mais c’est rare. Ils ont fermé des galeries en prétextant que c’était dangereux mais la pratique de la haute montagne fait beaucoup plus de morts que la recherche de cristaux. Et pour autant ils ne ferment pas les Grandes Jorasses… Après, il y a un faible nombre d’accidents en cherchant des cristaux parce qu’il y a un faible nombre de chercheurs, c’est sûr. Et puis, il y a d’autres risques que la chute de pierres.

Comme quoi ?
Quand on forait des endroits comme à la combe de la Selle, dans la vallée du Vénéon, la roche était pleine d’amiante. À l’époque, dans les années 1980, on savait que c’était dangereux mais on croyait que c’était surtout pour les gars qui travaillent toute l’année là-dedans. Nous, en y allant deux ou trois jours par-ci par-là, on se disait que c’était pas grave… Mais il n’y a pas longtemps j’ai découvert que j’avais des plaques pleurales. Ça peut être soit à cause d’une pleurésie, soit à cause de l’amiante. Moi j’ai jamais fait de pleurésie, alors c’est l’amiante. Enfin, l’amiante c’est un terme industriel. Nous, on appelle plutôt ça l’actinote. Ce qu’ils appellent l’amiante c’est une fibre minérale tissable.

Quand vous partiez « aux cristaux », c’était pour combien de temps ?
Ça dépendait. On passait des fois des nuits à la belle étoile pendant trois ou quatre jours en montagne. On prenait juste un duvet, des fois un bout de bâche en plastique pour se couvrir s’il pleuvait et puis voilà. On avait pas de tente parce qu’on préférait porter le matériel qui était bien lourd.
Souvent je prenais un perforateur autonome sur moteur 2 temps, un cobra, ça fait quoi ? Environ 25 kilos. Et puis fallait porter aussi l’essence parce que ça a soif ces machines. Et puis les fleurets de mine, des mèches de 40, 80, voire 120 cm alors ça fait un certain poids quand même. Plus les burins, les massettes, le réchaud, la bouffe.

On allait dormir sur place, par exemple à la Gardette, la mine où on nous reprochait d’aller en 2005 [anciennes mines d’or exploitées au XVIIIème siècle situées sur la commune de Villard-Notre-Dame, juste à côté de Bourg d’Oisans]. Une fois, on était partis pour plusieurs jours, on était arrivés le dimanche soir vers onze heures ou minuit, on a dormi sous un sapin près des mines. Il y avait un filon de peut-être huit mètres de long, en minant, on a trouvé huit ou dix cavités. La plus belle que j’ai trouvé c’était en 1986, j’ai sorti 500 kilos de cristaux… Pour porter, on appelait à la rescousse mon père, mon frangin, ou le neveu du gars avec qui j’allais.

Donc vous creusiez vraiment des galeries avec de l’explosif ?
Oui, mais sur ce sujet il faut relativiser. En 2005, au moment de l’affaire, je travaillais en tant qu’artificier dans une station, où il y avait du travail de minage sur les pistes de ski. Bon, les mines de la Gardette, il n’y a même pas deux kilomètres de galerie, toutes petites, à peine la taille d’une brouette en largeur et en hauteur fallait un peu se baisser. À l’époque, elles n’ont pas été beaucoup exploitées c’était surtout de la reconnaissance parce qu’ils cherchaient de l’or et ils se sont rendus compte que c’était pas rentable.
Je m’étais amusé à faire le calcul du volume de roche dégagée dans ces mines, par les chercheurs d’or il y a deux siècles et puis par les cristalliers depuis. Eh bien, le volume de roche pour le chantier de 2005 dans cette station, c’est plus de 100 fois le volume des mines de la Gardette au total et sur deux siècles peut-être. Sachant que les chercheurs de cristaux par rapport aux mines de la Gardette c’est trois fois rien.

Sur les pistes, moi j’ai travaillé comme pisteur secouriste et comme mineur. Eh ben les explosifs ça se compte en tonnes, ça se compte même pas d’ailleurs, parce qu’il faut sécuriser les pistes à tout prix. Les chantiers qu’on a menés en tant que cristalliers c’est même pas le millionième des travaux de montagne. Bon on a fait ce qu’on a fait mais vous savez l’explosif c’est comme un couteau, hein, c’est la main qui le tient qui fait le danger ou pas.

Mais certains trouvent qu’il s’agit quand même d’un saccage de la montagne...
Les chercheurs de cristaux ne vont pas dans les grottes naturelles calcaires, par exemple. C’est joli comme ça. Nous, les cristaux qu’on trouve, personne ne sait qu’ils existent, on ne les voit pas. C’est pas comme s’il y avait des plaques énormes de cristaux laissés dans les mines pour que les gens les voient et que les cristalliers bousillent tout ça. Pratiquement tout ce que j’ai trouvé, ça ne se voyait pas. Faut déjà trouver la cavité, et puis souvent les cristaux sont recouverts d’argile, il faut nettoyer… En plus, quand des travaux permettent d’en trouver, c’est très difficile d’en profiter. J’ai bossé sur la construction du barrage de Grand’maison. Un jour, un copain vient me voir en me disant « viens voir, en creusant ils ont trouvé une poche de quartz énorme  ». Quand j’y suis allé, c’était trop tard. Ils avaient reminé le chantier pour éviter que le personnel arrête le travail et s’amuse à gratter les cristaux. Si ça nuit à la rentabilité d’un chantier, les cristaux sont bousillés. Même au temps des mines, les mineurs ne devaient pas se faire prendre à chercher des cristaux pendant le boulot, c’était considéré comme non rentable.

Est-ce parce qu’il n’y avait pas de « mines » de cristaux, mais des mines d’or ou d’argent ?
Dans l’Oisans, il n’y a jamais eu de grande exploitation. Les mines d’or de la Gardette ou d’argent des Challanches, qui ont été exploitées à la fin du XVIII ème siècle surtout, ont vite fermé parce qu’il n’y avait pas de quantité suffisante de métaux. À Challanches, il y a plus de soixante minéraux différents, du cobalt, du nickel, de l’antimoine, etc. mais pas en grande quantité. Au XVIIIème siècle, on disait de l’Oisans que c’était l’enfer des mineurs et le paradis des minéralogistes. Aujourd’hui c’est un paradis qui se rétrécit. Il y a des endroits que je connais depuis belle lurette, où j’ai sorti des trucs de collection, mais aujourd’hui on ne sait plus où c’est. Avec le réchauffement, la végétation a poussé et on ne trouve plus ces coins. À l’époque les gens coupaient le bois, ils avaient des chèvres qui bouffaient les jeunes pousses donc il y avait pas de la végétation comme aujourd’hui.
La bible des chercheurs de cristaux, c’est le Lacroix, qui a répertorié tous les cristaux de France à la fin du XIXème siècle. Pour l’Oisans, il a été aidé par un certain Napoléon Albertazzo, qui avait fouillé plein de coins de l’Oisans à cette époque. Eh bien il y a beaucoup de coins qu’il cite qu’on ne trouve plus aujourd’hui.
Au-dessus d’Articol, il y avait des champs quand j’étais gamin, on avait trouvé du disthène dans un tas de cailloux au milieu des champs cultivés. J’y suis allé récemment, avec la forêt et les gros arbres, on ne reconnaît plus rien.


Aujourd’hui, où en est la législation autour des cristaux ?

Maintenant sur les territoires des communes comme Chamonix ou Bourg d’Oisans, il faut signer une charte, où l’on s’engage à ne pas utiliser d’explosif, à pas utiliser d’hélicoptère, à nettoyer les lieux où l’on travaille, à respecter les travaux des collègues, etc. Parce qu’il y en a qui se piquent les coins entre eux, un commence à creuser, un autre arrive et continue.
La charte je ne la signe pas parce que je n’y vais plus, mais je la signerai si j’y retourne.
Après, je suis un peu en désaccord avec les gars qui travaillent des coins et qui mettent un panneau « en travaux  » pour interdire aux autres d’y aller, des fois ça dure des années. Nous on attaquait des travaux, on y restait un bon week-end, et puis on retournait au boulot. Après, on nous disait que d’autres avaient trouvé des tas de trucs derrière nous. Mais c’est pas grave. Ce que je supporte pas c’est avant tout quand on nous fait la morale.
Il y en a qui nous ont critiqués sur le fait qu’on minait mais bon les mêmes étaient bien contents qu’on fasse des travaux pour aller voir après s’il n’y avait pas de choses à trouver facilement.

Et qu’est-ce que vous avez fait de tous ces cailloux trouvés ?
J’ai une collection, une pièce entière chez moi remplie de cristaux, trois ou quatre cents cailloux, ce qui n’est pas énorme, mais je préfère la qualité à la quantité. Après voilà, j’ai plus de 60 ans, pas d’enfant, alors j’aimerais qu’à ma mort, ma collection finisse au musée de Bourg d’Oisans. J’espère qu’une chose, c’est que ce sera bien conservé. Parce que je connais des histoires où des pièces se sont fait voler ou esquinter une fois qu’elles étaient au musée. L’important, c’est que les plus belles pièces restent dans le coin, plutôt que d’aller dans des musées parisiens ou à l’étranger. Pendant l’affaire de 2005, ma pièce de cristaux a même été mise sous scellés, je n’ai pas pu y rentrer durant des mois...

Parce que l’enquête a duré des mois suite à votre garde à vue ?
Oui, oui, ils ont tout tenté, ils ont même voulu qu’on aille voir ensemble la mine de la Gardette. Ils ont organisé une journée, il y avait mon avocat, le juge d’instruction, des gendarmes du PGHM [peloton de gendarmerie de haute-montagne], un autre inculpé et moi. Ils n’y connaissaient rien et nous accusaient d’avoir fait des travaux en montrant des galeries qui dataient de deux siècles, pas foutus de faire la différence entre les travaux anciens et les travaux récents. Un flic croyait avoir trouvé de l’explosif alors que c’était un bout de bois. Enfin bref, l’autre inculpé était pâtissier, alors il avait amené de la pâtisserie, tout le monde en a mangé et puis voilà... La juge ramassait du muguet au bord du chemin, je me suis dit « va pas trop loin quand même  », mais j’ai failli lui demander si elle avait l’autorisation du propriétaire…