Début avril, Macron est venu faire sa communication en prenant quelques enfants autistes dans ses bras au Chai (Centre hospitalier Alpes-Isère) de Saint-Egrève. Il a aussi balancé quelques banalités, qualifiant l’autisme « d’immense chantier ». On peut pas le contredire, et l’histoire de la MAS (maison d’accueil spécialisée) de Guillon à Coublevie le confirme : là-bas le chantier est immense.
De l’extérieur, tout a l’air bien propre : la maison de maître (en pierre blanche rutilante et toit d’ardoise) est accompagnée de son orangerie en brique. À côté, AFG Autisme (Association française de gestion de services et établissements pour personnes souffrant de troubles autistiques) a construit un grand parallélépipède, tout en modernité grise et orange.
À l’intérieur, les trente résidents qui y vivent (et les dix en accueil de jour) sont tous touchés par un trouble envahissant du développement. La plupart viennent d’unités de soin de Saint-Égrève ou de Vienne. « Le Guillon n’est pas un lieu de vie pour autistes. C’est un lieu de privation de liberté. » C’est ainsi que Marie-Josée Fiorina, la mère de Didier (un des résidents, voir Le Postillon n°60) l’a décrit dans un mail de février 2021. Elle et sa famille espéraient beaucoup de ce lieu spécialisé dans les troubles autistiques mais à la MAS du Guillon, Didier se retrouve surtout enfermé.
Démissions en rafale
Car la MAS du Guillon est fragile : parmi la cinquantaine de salariés, les démissions sont nombreuses, comme les arrêts (et les accidents) de travail. « C’est la première fois qu’un boulot me rend malade. Rien n’est pris en compte dans ce que je fais remonter et je vois beaucoup de perfidie dans l’équipe qui dirige » lâche Camille (tous les prénoms ont été changés). Elle a les épaules solides et est formée pour faire face aux résidents, mais la direction essore ses salariés. « Il y a eu deux démissions de psychomotriciens, mi-avril, qui évoquent une politique institutionnelle défaillante. Ces derniers mois, il y a eu huit départs », poursuit Camille, toujours en poste. Il n’y a plus de médecin généraliste sur place ni de psychologue. D’autres salariées, comme Justine, sont en arrêt : « Je ne me sens plus à l’aise au travail. J’ai même peur, car il y a eu de mauvaises prises en charge. […] Quand le résident a un trouble, on lui donne un cachet. » À cela s’ajoutent des tensions entre salariés, qui aboutissent parfois à des situations de harcèlement. Patrick, qui bosse à la MAS, est dégoûté : « Mon médecin m’a dit : soit c’est l’arrêt, soit vous attendez un burn-out qui vous enverra à Saint-Égrève. Je rêvais, non, je cauchemardais du boulot, je ne parlais que du boulot. Je n’en pouvais plus. »
Pour faire face aux arrêts, AFG embauche intérims et CDD. « Certains intérimaires sont bien, d’autres s’occupent mal des résidents, les mettent en danger. On a averti la direction mais elle les réembauche quand même », explique Sonia. « Dire que le travail à la MAS est dur, c’est un euphémisme », rigole Sandra, qui est restée quelques mois. Quand elle arrive fin 2020, deux personnes sont en cours de licenciement (pour, entre autres, avoir abandonné leur poste).
« Il y a d’abord des soucis de planning. Celui affiché à la MAS est différent de celui qui est envoyé aux soignants… Ensuite, j’apprends que des soignants sont en arrêt le matin. Mais c’est trop tard pour les remplacer. » Dans l’urgence, la soignante se retrouve « à devenir parfois maîtresse de maison, en aidant au repas, en remplissant le lave-vaisselle. Pendant ce temps, je ne fais pas mon travail ».
Même urgence du côté des cuisines, où des dysfonctionnements ont provoqué en 2019, une « toxi-infection alimentaire » qui a touché une dizaine de personnes à Coublevie. « La chaîne du froid n’était pas respectée, les règles d’hygiène non plus au moins jusqu’à la mi-2020 », soupire une agente sur place. José, autre soignant, évoque aussi le manque de financement de la part d’AFG : « Quand on parle de tel soin ou de tel matériel, il nous est toujours refusé. La prise en charge est forcément précaire. » Sandra rebondit : « J’ai mis deux mois pour acheter des chaussures pour un résident… » Faire appel à du personnel en intérim a un coût, en billets, et en qualité de soin.
De la MAS à l’hôpital
Avoir une relation stable avec des soignants formés est pourtant un besoin vital des personnes atteintes de troubles autistiques. Même si tous les autistes de la MAS ne sont pas en souffrance, quelques cas individuels sont édifiants. Il y a Didier, donc, qui reste agressif, se blesse ou blesse les autres.
La direction l’a envoyé au Chai quelques mois, où il passe son temps en cellule d’isolement. Quand il est à la MAS, il est aussi enfermé, de 21 h à 11 h, chaque jour. « Pour la direction, Didier est menaçant, car il engendre beaucoup d’absentéisme. Mais il a juste besoin d’un accompagnement. Lorsqu’il s’agit d’avoir un peu d’argent pour des déplacements, faire du cheval ou aller à la piscine, il n’y a rien… », déplore Camille. Plus on l’enferme, plus il s’agite. Autre cas grave : celui de Paul. Très sensible au bruit, il peut se retenir d’uriner des heures durant. Son trouble, associé à une potomanie (il ne peut pas s’empêcher de boire quand il a accès à l’eau) peut entraîner des problèmes. Comme certains soignants ont peur de Paul, ils préfèrent le laisser seul : dernièrement il a encore dû aller à l’hôpital pour cause de vessie pleine à craquer.
Il y a aussi le cas de François, qui est agressif envers lui-même et les autres. En juillet 2020, à 2 h du matin, la veilleuse de nuit se rend compte que son visage est tuméfié. Elle fait remonter l’information, mais à 7 h du matin, un soignant relance l’alerte : « J’ai cru qu’un boxeur l’avait défiguré », témoigne Camille atterrée. « Visage complètement oedématié, impossible de contrôler l’état de son œil ce matin duquel s’écoulait de la lymphe mélangée à du sang », lit-on dans le compte-rendu infirmier.
Malgré la gravité des blessures, Francois n’est admis aux urgences qu’à 14h30, près de 12 heures après les premières constatations, et va y rester plusieurs jours. Depuis, François est retiré de la structure par sa famille qui a porté plainte pour mise en danger de la vie d’autrui. Pourquoi laisser le jeune homme dans cet état ? Ce serait le fait d’Hannifa Méchéhard, la directrice générale au siège d’AFG Autisme, présente à la MAS ce jour-là. Elle aurait préféré temporiser alors que les soignants lui demandaient d’appeler le 15.
AFG sur la sellette
Hannifa Méchéhard a un rôle important chez AFG. En 18 mois, c’est la troisième directrice générale qui passe par le siège parisien de l’association. Cette « inspectrice hors classe de l’action sanitaire et sociale » à l’ARS (Agence régionale de santé) – elle devait notamment évaluer et auditer les établissements et services sanitaires –, est désormais aux commandes d’AFG, et vient régulièrement au Guillon pour gérer la crise.
En effet, en août 2020, suite à plusieurs signalements, l’ARS inspecte la MAS et interroge les salariés. L’agence révèle dans sa « notification d’injonction suite à inspection des services » des « dysfonctionnements majeurs affectant la sécurité, la continuité et la qualité de la prise en charge […] Il est nécessaire de conforter et structurer l’encadrement en interne plutôt que des interventions du siège qui restent ponctuelles. » En gros, AFG est sommée de retrouver un fonctionnement serein sous peine d’être remplacée par un autre opérateur à l’horizon août 2021.
Aujourd’hui, l’ARS a l’air d’être plutôt contente de l’évolution, comme nous répond la com’ : « Un plan des actions décline des échéances différentes en fonction des actions qui seront mises en œuvre. Plusieurs mesures ont déjà été prises. D’autres, tel que le projet d’établissement, nécessitent un travail de l’ensemble des salariés de la MAS et se dérouleront sur 2021. » La proximité d’Hannifa Méchéhard avec ses anciens collègues de l’ARS lui permet-elle d’avoir la bienveillance de l’institution sanitaire, malgré le mal-être toujours palpable des soignants ? « Est-ce qu’elle panique face à l’ARS ? Non, pas vraiment car Hannifa Méchéhard n’a peur de rien. Elle les connaît, et n’a pas de risque de perdre car elle sait quelle réponse apporter », assure Sonia.
Les soignants contactés sont bien moins confiants que l’ARS : « Elle induit une culpabilité aux salariés et a un discours violent, infantilisant, qui met l’accent sur le manque de cohésion des équipes », détaille Camille. Sonia : « Je confirme qu’elle gueule en réunion, sans problème. »
Quant à l’actuelle directrice, Laure Magimel, on lui reproche « son opacité de communication entre direction et salariés, et avec les familles. La direction tient une langue de bois insupportable. […] Surtout les choses ne sont pas encadrées, notamment le protocole sur l’isolement. Il y a des choses un peu limites sur la prise en charge là-bas », pour Sandra. « Elle travaille dans le social mais n’est pas sociable », constate Patrick, soignant à AFG qui l’a déjà croisée par le passé. Laure Magimel vient de poser sa démission, elle quittera son poste à la fin du mois de juillet.
Contactée, AFG national nous a renvoyé vers la directrice de la MAS du Guillon qui « ne veut pas répondre pour l’instant ». Ce que l’on sait, c’est que pour répondre aux injonctions de l’ARS, de nombreuses formations ont été proposées ces dernières semaines aux salariés. « On n’en a pas eu depuis deux ans. Mais la direction met tout en branle pour que l’équipe soit raccord avec l’ARS », constate José. Pour encore « améliorer » la situation, un audit est aussi commandé à un psychiatre. Et puis, pour combler les trous, le Guillon a embauché de nouveaux intérimaires. « On demande aux veilleurs de nuit de rester plus longtemps, et aux hommes de ménage de faire des accompagnements ou de faire des contentions… », assure Sonia.
Les salariés fixes, eux, font des cauchemars : « Quand je vais retourner travailler, je sais que je ne vais plus dormir de la nuit », conclut José. Camille résume : « AFG est compétent dans l’incompétence ». Il reste un espoir pour les salariés comme pour les résidents : qu’AFG parte. « C’est dans ce sens que vont nos prières », assure Sandra. Ça, ce serait un beau chantier.