On connaît André Vallini pour ses déclarations fracassantes. Le « grand promoteur inutile » (voir Le Postillon n°18) en sort au moins une chaque année de son chapeau. Pour la cuvée 2014-2015, Vallini s’est déchaîné. En août dernier, au micro de LCI, juste après la nomination du banquier d’affaires Emmanuel Macron à Bercy, celui qui a toujours « eu conscience que [ sa ] place était du côté des faibles et des opprimés » déclarait : « Emmanuel Macron incarne la gauche moderne et réaliste. Il n’est pas dans le discours lyrique. Nous sommes en 2014, les choses ont changé. Il faut que les gens de gauche changent aussi. » Lui a changé depuis bien longtemps : son credo désormais, c’est de militer pour le BTP et ses autres amis patrons. Alors début janvier, il s’excite dans Le Daubé pour défendre tous les grands projets actuellement contestés : « Pour que la France reste la France, nous devons continuer à construire des aéroports, des barrages, des autoroutes, des lignes de TGV, des équipements de tourisme ». L’homme a en effet tout intérêt à ce que « la France reste la France », en tout cas celle de ces dernières années. Car elle lui réussit plutôt bien. Après avoir cumulé depuis 1983 indemnités et avantages au gré de ses fonctions – maire, conseiller général, conseiller régional, président du Conseil général, député, sénateur puis secrétaire d’État -, celui-ci s’est constitué un joli patrimoine personnel, estimé aujourd’hui à 2,8 millions d’euros par la Haute autorité pour la transparence de la vie publique.
Véritable bulldozer politique écrasant tout sur son passage depuis deux décennies - au mépris des dommages collatéraux -, le « système Vallini » commence pourtant à tanguer. Les 22 et 29 mars prochains, André Vallini briguera, à l’occasion des élections départementales, un énième mandat de conseiller général dans le canton de Tullins, en binôme avec sa collaboratrice Amélie Girerd. Un scrutin longtemps considéré comme une formalité par l’actuel secrétaire d’État chargé de la réforme territoriale, mais qui s’annonce un peu plus compliqué cette fois-ci. En cause, le contexte national, la concurrence des écologistes (qui espèrent surfer sur « l’effet Grenoble ») et surtout les diverses affaires et magouilles orchestrées par ses plus fidèles vassaux et vassales, avec son soutien.
« Il y avait des espions partout »
Partie émergée de l’iceberg, la « valse des collaborateurs », désignant le licenciement d’une centaine de membres du cabinet en 13 ans de présidence du Conseil général, cache ainsi des pratiques peu reluisantes : cumul de fonctions, conflits d’intérêts, détournements de fonds publics, emplois fictifs, harcèlement moral... Au centre de tout cela, une personne-clé : Amélie Girerd. Cheffe adjointe de cabinet et conseillère parlementaire de Vallini à Paris, maire de Renage, conseillère communautaire de la communauté de communes de Bièvre-Est, membre du bureau fédéral du PS, la jeune trentenaire a intégré le cabinet de Vallini au Conseil général en 2006, à 23 ans. Devenue très intime avec ce dernier au fil du temps, elle a gravi les échelons tout en évinçant progressivement, selon diverses sources, ses rivaux gênants. En outre, des documents que nous nous sommes procurés attestent qu’Amélie Girerd a, durant cette période, essentiellement travaillé pour des campagnes électorales, le PS isérois ou sa commune de Renage, le tout avec les moyens du Conseil général. « Je peux confirmer que les moyens de la collectivité étaient détournés pour d’autres usages », assure un ancien chargé de mission du Conseil général qui n’épargne ni André Vallini, « féru de ça », ni Amélie Girerd, « qui travaillait plus pour le mandat de député que pour le Conseil général, alors qu’elle était payée par le département. Moi aussi, j’ai dû travailler pour ses affaires de député, je n’avais pas le choix. » Il dépeint une atmosphère de « suspicion, flicage, dénigrement. Tout le monde était surveillé par tout le monde. Il y avait des espions partout. Quand j’allais à la permanence de Tullins, quelqu’un téléphonait pour vérifier que j’y étais bien. Amélie Girerd jouait ce rôle-là et surveillait étroitement ce qu’on disait pour rapporter au patron le lundi matin. » Preuve du statut privilégié dont jouit, selon lui, la jeune femme, « elle est la seule à être restée tout le temps, avec Orod Bagheri ». Un autre personnage sulfureux au passé trouble, qui a ses entrées à l’Élysée. Directeur de l’événementiel du Conseil général et conseiller officieux de Vallini - entre autres fonctions -, Orod Bagheri « mène un train de vie pas possible et est incompétent », affirme l’ancien chargé de mission qui n’hésite pas à évoquer un « poste fictif ». Notre témoin réserve ses dernières flèches à André Vallini, « un mec violent, fou, psychopathe, un gourou. Il était tout le temps sur notre dos. Des collègues étaient virés sur le champ, on avait toujours le couteau sous la gorge. Je n’avais jamais vu ça ! ».
« Diviser pour mieux régner »
Parmi les nombreux autres collaborateurs de Vallini mis sur la touche, le cas de Xavier Boeuf est édifiant. Il revient sur cet épisode : « Je suis arrivé en juin 2008 au cabinet, comme chargé de mission, à ma sortie d’école. On m’a attribué les dossiers traitant de la neuvième circonscription de l’Isère [celle de Vallini], en binôme avec Amélie Girerd. » Là encore, le détournement de fonds publics est patent puisque Boeuf et Girerd, payés par le département, traitaient ces dossiers – en principe du ressort de Brigitte Volmat, alors assistante parlementaire du député – avec les moyens du Conseil général. « J’ai assez vite compris que certains d’entre eux devaient être gérés par elle et non par moi, poursuit Xavier Boeuf, mais, même si on avait des convictions opposées, ça a d’abord suivi son cours bon an mal an. Les difficultés ont débuté quand le directeur de cabinet a quitté son poste en mai 2010. André Vallini a voulu me le confier à la rentrée 2010 mais il savait qu’il y avait beaucoup d’animosité à mon égard au sein du cabinet. Amélie Girerd m’a pourri la vie et critiqué, pour assouvir ses ambitions personnelles, mais elle n’était pas la seule : elle avait le soutien de tout le cabinet, à l’exception d’Isabelle Bourbao-Guiziou, la cheffe de cabinet. » Une « ambiance dégueulasse » qu’il explique par de « forts soupçons de concurrence entre deux femmes » pour s’attirer les faveurs du boss. Dépité, Xavier Boeuf a « proposé [sa] démission à André Vallini qui l’a refusée et [lui] a confié un autre poste. Ça s’est passé plus ou moins bien pendant quelques semaines mais à un moment donné, il m’a fait comprendre qu’il ne comptait plus sur moi. » Il finit donc par démissionner. S’il a aujourd’hui rebondi en Haute-Vienne et dit ne pas garder de rancœur, Xavier Boeuf reste lucide sur le « management de Vallini, qui n’aime rien de mieux que diviser pour mieux régner ».
Emplois fictifs
Ce constat, Brigitte Volmat le partage entièrement : « André Vallini a pour principe de monter les gens les uns contre les autres ». L’histoire de cette ancienne assistante parlementaire, emblématique des turpitudes du « système Vallini », avait défrayé la chronique, en décembre 2011. Licenciée pour laisser la place à Amélie Girerd, Brigitte Volmat avait assigné Vallini aux prud’hommes pour licenciement abusif, harcèlement moral et discrimination à l’âge. Par peur d’une condamnation à six mois de la présidentielle 2012, le sénateur fraîchement élu, lorgnant le ministère de la justice, avait conclu avec elle une conciliation, lui versant plusieurs dizaines de milliers d’euros. « Avant le licenciement, j’ai été placardisée, raconte Brigitte Volmat. Jusqu’en 2008, on recevait tout le courrier de député à la permanence de Tullins. Mais à partir de 2008, tous ces dossiers ont été traités au Conseil général. J’en ai parlé à André Vallini, j’ai fait x notes écrites entre 2008 et 2010, pour demander des explications, mais il ne répondait pas. à un moment, il ne voulait même plus que j’aille en permanence avec lui. Sur le plan professionnel, il ne pouvait me faire aucun reproche. C’était donc une stratégie pour se débarrasser de moi car il ne voulait pas d’une rupture conventionnelle. D’ailleurs, à partir de février 2010, il m’a donné des missions impossibles à tenir alors que je n’avais rien à faire depuis deux ans. » Brigitte Volmat en est sûre, elle a payé le fait de « ne pas être assez malléable. J’ai refusé de faire tout ce qui n’était pas légal », se félicite-t-elle, n’oubliant pas d’ironiser sur les généreuses subventions départementales affectées à la ville de Renage, « complètement réaménagée ».
Toutes ces pratiques douteuses n’ont malheureusement pas cessé lorsque Vallini, nommé secrétaire d’état, a abandonné, en juin 2014, la présidence du Conseil général à Alain Cottalorda, successeur dévoué et désigné. En prévision des départementales 2015, il a ainsi nommé le tandem de choc Girerd-Bagheri à la direction de son équipe de campagne. Non contents de cumuler les fonctions, ces derniers se payent donc le luxe d’agir pour la fédération PS de l’Isère, tout en étant employés par l’Etat pour la première, par le département pour le second.
Cerise sur le gâteau, André Vallini a, sur les conseils de ses deux lieutenants, favorisé le recrutement de deux collaborateurs au cabinet de la présidence du Conseil général, ne travaillant pas forcément pour cette institution. Vincent Deshayes, 25 ans, travaille, selon une source interne, sur les tracts de plusieurs candidats PS... imprimés au Conseil général. Et Jules Cordillot, officiellement collaborateur chargé de la liaison avec les interlocuteurs externes - poste fictif puisque ces fameux interlocuteurs, à savoir les médias, relèvent de l’attachée de presse Virginie Dechenaud -, n’a jamais réellement travaillé pour le département depuis son arrivée, début 2014. Un des documents internes que nous avons pu consulter fait ainsi état de missions en lien avec le PS, Orod Bagheri ou l’association Répondre à Gauche 38 [créée en 2009 pour soutenir la candidature de François Hollande aux primaires socialistes de 2011], présidée par Bagheri.
Résumons : des salariés du Conseil général ont travaillé pour le député Vallini ou pour sa carrière. Actuellement, sa cheffe de cabinet ministériel, et trois cadres du Conseil général, triment pour le PS. À observer ces diverses magouilles, on regarde d’un autre œil la volonté d’André Vallini d’imposer sa réforme territoriale pour « simplifier le mille-feuille administratif ». Car son organisation et ses arrangements internes sont, eux, bien « complexes ».