Accueil > ÉTÉ 2023 / N°69

Les magouilles fiscales de STMicro

Suite à la contestation de l’extension de STMicro, centrée sur sa consommation d’eau pharaonique, tous les élus défendent la multinationale en relayant sa communication sur le futur recyclage de l’eau. Comment ne pas croire aux bonnes intentions de l’entreprise ? La preuve par ses multiples démarches pour alléger le budget de la France.

Issue du transfert de la recherche publique vers le privé, STMicroelectronics a toujours su soutirer le meilleur des finances publiques. À sa création en 1987, sous le nom de SGS-Thomson, le futur fleuron de l’industrie française est la fusion de deux entreprises : l’Italienne SGS Microelettronica et Thomson Semiconducteurs. Cette dernière avait été créée en 1972 par le Laboratoire d’électronique et de technologie de l’information (Leti) de Grenoble, structure publique dépendant du CEA, et Thomson-Brandt, entreprise privée, afin de produire et vendre des semi-conducteurs. En 1982 Thomson-Brandt tombe sous le coup des nationalisations de Mitterrand, l’État devenant l’actionnaire majoritaire de l’ancêtre de ST sous le nom de Thomson Semiconducteurs SA. Et en 1987 donc, fusion avec SGS. Vous suivez ?

Six ans après la création de SGS-Thomson, en 1993, c’est un gros succès : l’entreprise a cumulé 900 millions de dollars de dettes. Elles seront épongées par une « recapitalisation » : c’est à dire que le CEA , France Télécom et Thomson-CSF, entreprises publiques à l’époque, mettent la main à la poche et renflouent la boîte à hauteur d’un milliard de dollars. L’année suivante, pour éviter une deuxième recapitalisation, SGS-Thomson entre en bourse en vendant des parts de cette entreprise issue principalement de l’argent public aux investisseurs privés. Thomson abandonnera le bateau en 1998 et SGS-Thomson deviendra définitivement STMicroelectronics.

Soucieuse de gagner son indépendance après cette naissance assistée, la multinationale « franco-italienne » est allée curieusement implanter son siège aux... Pays-Bas. En fait son vrai nom est STMicroelectronics NV pour Naamloze vennootschap, un des types de sociétés qui peuvent être créés là-bas. Le rapport 2022 de l’ONG Tax netwoork justice classe les Pays-Bas comme 4ème paradis fiscal au monde « derrière les îles Vierges, les Bermudes et les îles Caïmans ». Pour l’ONG, «  les Pays-Bas sont l’un des plus grands catalyseurs de l’abus de l’impôt sur les sociétés  ». Le Centre d’études prospectives et d’informations internationales (Cepii) évaluait, pour l’année 2015, à 36 milliards d’euros le montant de l’évitement fiscal des multinationales pour les finances de la France, trente fois supérieur à ce qu’il était au début des années 2000 (!). Les principaux responsables ? Les Pays-Bas et le Royaume-Uni.

Comme l’explique le magazine The Good Life (09/02/2021) : « Le schéma de base consiste à facturer des redevances de marque à ses filiales partout à l’étranger. Ces revenus remontent jusqu’à elle et ce sont autant de bénéfices qui ne sont pas taxés par l’administration néerlandaise s’ils ne font que transiter. Tandis que tous les pays d’implantation des filiales voient leur échapper les recettes de l’impôt pour les activités qu’elles y réalisent. » C’est très simple, et c’est exactement ce que fait STMicroelectronics NV : elle est la société mère et tous ses sites, centres de recherche et centres administratifs sont des sociétés filiales inscrites dans leurs pays respectifs. Dans l’agglomération, par exemple, il y a trois SAS (Crolles 2, Alps et Grenoble 2). Chaque site du Mans, Monrouge, Rousset ou Tours a sa propre société. Au total ça fait 54 filiales différentes dans le monde. La relation entre la maison mère et ses filiales se fait par des contrats de service, ouvrant grand la porte à toutes sortes d’arrangements, notamment avec les aides publiques et les crédits d’impôts pour la recherche et le développement.

Le point a déjà été soulevé par les syndicats présents à ST et quelques collectifs de salariés. La CGT de Crolles s’étonne que le montant des impôts payé par la multinationale soit si faible. En effet, si on regarde les comptes de ST NV pour 2022 elle paie 520 millions de dollars d’impôts sur 4 486 millions de bénéfices, ce qui fait environ 11 %. C’est en-dessous même des 15 % d’impôt sur les sociétés, dit en taux réduit, dont bénéficient certaines PME. En France, le taux normal est de 25 %. La CGT s’étonne aussi que la part des résultats attribuée à la France soit d’environ 10 %, tandis qu’un quart des effectifs de l’entreprise se trouve en France et qu’ils contribuent pour environ 40 % aux résultats de la boîte.

Cette manière de l’imposition plus importante est d’autant plus étonnante que les États français et italien sont toujours actionnaires de ST Micro NV., à travers une «  holding » qui est aussi estampillée NV À eux deux ils détiennent 27,5 % des actions de ST (1). Ce 27,5 %, qui équivaut, grosso modo, à 250 millions d’actions, rapporte-t-il assez pour compenser ces largesses ?

ST a toujours été fidèle à ses actionnaires : bénéfices ou pertes, elle ne manque jamais de leur verser des dividendes. Même en 2020, quand le fragile réveil des consciences de la pandémie Covid-19 avait fait déclarer à Muriel Pénicaud, ministre du Travail à l’époque : «  Dans les entreprises où l’État est actionnaire, on va demander de ne pas verser des dividendes […], c’est la solidarité. » Certes, en 2016 – moment ou ST avait un manque à gagner de 62 millions de dollars, ce qui l’avait amené à supprimer 1 400 emplois – l’entreprise avait réduit à 0,24 dollars ce qu’elle versait par action. Mais, multiplié par ses 911 millions d’actions, ça fait quand même 218 millions qui vont aux actionnaires tous les ans. La part revenant à l’État français équivaut à 30 millions, loin des 294 millions offerts en crédit impôt recherche et très loin des 2,3 milliards injectés pour l’extension du site de Crolles.

Reste une question à plusieurs milliards : combien d’argent public a été donné à ST ? Rien que sur le site de Crolles, en plus de toutes les sommes évoquées, il y a – entre autres – 543 millions d’euros pour le lancement de Crolles 2 en 2002, les 657 millions du plan Nano 2012, les 600 millions du plan Nano 2017, les 340 millions du plan Nano 2022 et – donc – les 2,3 milliards annoncés l’été dernier pour l’extension du site. Pour remercier l’État français, quoi de plus logique que d’aller déclarer ses bénéfices aux Pays-Bas et de déclarer les salaires de ses cadres en Suisse ?

(1) La liste des autres grands actionnaires de ST est : Capital Research & Management Co. (World Investors), BlackRock Investment Management (UK) Ltd., Amundi Asset Management SA (Investment Management), The Vanguard Group, Inc., Norges Bank Investment Management, BlackRock Fund Advisors, BNP Paribas Asset Management France SAS et DNCA Finance SA.