Accueil > Octobre 2016 / N°37

Libérons les données !

A Grenoble, il y a une adjointe à la libération des données et à l’accès à l’information. Et pourtant, qu’il est difficile, par exemple, d’avoir les chiffres concernant le « plan de sauvegarde » de la municipalité. Combien ça permet d’économiser une bibliothèque fermée ? Quelles autres mesures aurait-on pu mettre en place ? Mystère..... En divulguant quelques données internes, Le Postillon espère lancer un mouvement de libération des données.

Y’a-t-il une alternative à l’alternative ?
Avant, on était dans l’alternance unique : un coup la droite, un coup la gauche. L’accession de Piolle au pouvoir entendait montrer qu’il y avait une alternative. Mais bien une seule. Car depuis, les élus municipaux ressassent que les choix faits sont les seuls possibles. Qu’il n’y a pas d’alternative à l’alternative. Le plan de sauvegarde a été présenté sans données chiffrées et sans scénarios pluriels : une manière d’empêcher tout débat, et de faire rentrer tout le monde dans les rangs de l’austérité.

Il a été courageux, René de Ceglié. Le conseiller municipal délégué au secteur 4 s’est rendu tout seul le 2 juillet à la manifestation pour « sauver la bibliothèque de l’Alliance ». En terrain hostile, il a tenté de dialoguer avec la centaine de personnes remontées contre la décision municipale de fermer cette bibliothèque de quartier, la seule de tout ce secteur. Il avait néanmoins un problème de taille : à tous ceux qui lui demandaient combien la fermeture de cette bibliothèque allait rapporter à la mairie, il ne savait pas quoi répondre. Pas de chiffres.

Ce petit exemple illustre une constante de ce plan de sauvegarde : il manque plein de données. Il est arrivé brutalement, sans chiffrage précis des décisions et sans scénarios alternatifs. Il n’y a rien à débattre, rien à réfléchir : juste à acquiescer docilement.

L’absence de choix, c’est la constante dans la préparation de ce plan de sauvegarde. C’est toujours beau la littérature de campagne. Sur une des affiches de « Grenoble, une ville pour tous », on pouvait lire cette promesse : avec Éric Piolle, Grenoble sera « la ville qui refuse les politiques d’austérité ». Et pourtant, devant l’ampleur des difficultés financières à leur arrivée à la mairie (héritage de la fin des années Destot + baisse des dotations de l’état), l’équipe municipale s’est rapidement dirigée vers la voie de l’austérité. Il n’y a pas d’alternative, qu’ils disaient.

Après s’être courageusement battue à coups de conférences de presse et de déclarations dans Le Daubé ou au conseil municipal, la municipalité a docilement accepté de « faire avec » et de faire subir d’abord aux quartiers populaires ce manque d’argent.

Donc il faut couper un peu partout, même dans les dépenses sociales. L’engagement n° 8 de Piolle promettait : « Chaque année, la municipalité débattra avec les habitants du budget municipal en proposant plusieurs scénarios, dans chaque secteur et avant le vote du budget par le conseil municipal ». Mais pour ce plan de sauvegarde, un seul scénario a été proposé, et rien n’a été débattu. Même en restant dans ce cadre « austéritaire », il y avait bien entendu d’autres possibilités que de fermer trois bibliothèques, de regrouper les maisons des habitants ou de réduire le service de santé scolaire (les bénéfices « financiers » sont pour ces trois mesures inconnus). Il y aurait même eu possibilité d’économiser en faisant des choix politiques sensés. Les élus auraient par exemple pu proposer, entre autres :

  • de vendre les 11440 actions que possède la ville dans la SEM Minatec, représentant une somme de 1 144 000 euros. Tout ça pour aider des start-ups déjà millionnaires œuvrant à la construction d’un monde entièrement numérisé.
  • d’arrêter de financer des grands équipements, comme Alpexpo (recapitalisation d’un million d’euros par an ces deux dernières années), le CNAC (206 000 euros), la MC2 (3,2 millions d’euros).
  • d’arrêter d’acheter des œuvres d’art pour le musée de Grenoble (cette année 345 000 euros sont budgetés, mais l’année dernière c’était 687 000 euros budgetés et 2,5 millions d’euros dépensés au final).
  • de laisser tomber ou réduire le budget participatif (800 000 €)
  • d’arrêter la production et la diffusion de Gre.mag
  • d’arrêter de financer les clubs de sport professionnels (549 000 € pour le rugby, 759 000 € pour le foot)
  • de réduire le nombre d’employés au cabinet du maire
  • de réduire la masse salariale en s’attaquant aux cadres supérieurs plutôt qu’aux bibliothécaires
  • d’arrêter de financer des investissements dans le cadre du CPER (contrat-plan-état-région), notamment sur le campus. La municipalité a engagé plusieurs millions d’euros d’investissement dans la réhabilitation de Sciences Po, dans la maison de la création et de l’innovation porté par l’université, ou dans la plateforme phonique portée par le CEA (Commissariat à l’énergie atomique). Ne vaut-il pas mieux renier ces engagements financiers que les promesses électorales ?

S’il y avait eu plusieurs choix, les habitants auraient pu en débattre, c’est-à-dire faire de la politique. Avec ce plan de sauvegarde, ils sont condamnés à subir une politique gestionnaire.
Des « sacrifices » pour un « mandat de transition exemplaire » ?

Les politiques d’austérité présentées n’ont rien de surprenant quand on voit qui est aux manettes de ce plan de sauvegarde. Odile Barnola a deux points communs avec Eric Piolle : avoir été cadre dans la multinationale Hewlett-Packard (c’est là qu’ils se sont rencontrés) et avoir fricoté dans la finance et la « gestion des risques ». Piolle a cofondé Raise Partner, Barnola a bossé quatre ans à Deloitte, un des « quatre grands cabinets d’audit et de conseil ». Forcément, ça forge un caractère et des orientations idéologiques. Un collaborateur de la municipalité confiait à Rue89 (27/01/2016) : « Elle sort de 20 ans de fonctionnement professionnel par management de rentabilité et d’objectifs financiers. Mais une collectivité ne fonctionne pas ainsi. Elle a l’obsession de la rareté des finances publiques mais pas celle du service aux usagers ». C’est cette « cost-killeuse », que Piolle a choisie comme membre de son cabinet en charge des finances d’abord, puis directrice du cabinet depuis janvier 2016.

Barnola a quand même tenté de donner l’illusion aux élus qu’ils servent à quelque chose. Depuis 2015, il y a eu au moins sept séminaires financiers, réunissant les 42 élus, les membres du cabinets et les 40 directeurs de services de la ville. Dans un mail du 16 septembre 2015, Barnola demande aux élus : « De manière à ce que chacun puisse contribuer, au mieux, aux discussions qui auront lieu lors du prochain séminaire, je vous demande, si vous l’acceptez, de jouer avec le fichier attaché et de me renvoyer le résultat de votre simulation lundi 15/09 ». Le fameux fichier avec lequel il fallait « jouer » était une liste d’idées pour réduire les coûts du PPI (plan pluriannuel d’investissement).

D’autres petits « jeux » seront ensuite organisés. Dans un mail du 23 décembre 2016, Barnola suggère aux élus : « Pour préparer les 1ers ateliers de refondation du service public qui se tiendront le mardi 5 janvier après-midi j’ai besoin que tous les élus en charge d’une/plusieurs thématiques préparent :
(...) En se mettant dans le contexte suivant : nous sommes en 2021, un journaliste vient vous interviewer, à la mairie, et vous pose des questions sur le mandat précédent. Beaucoup de villes se trouvent face à des contraintes budgétaires insurmontables, et le mandat « 2014-2020 » du Rassemblement est perçu comme un « mandat de transition exemplaire ». Le journaliste veut comprendre :
Ce que vous avez été fier de réaliser, entre 2015 et 2020.
Ce que vous avez réussi à sauver mais que vous avez été obligé de complètement repenser par rapport au projet initial pour que ça passe ?
Tous les sacrifices que vous avez été obligé de faire, pour que toutes ces « petites victoires » soient possibles ? »

Barnola demande-t-elle aux élus de « rêver » pour mieux endormir les habitants ?

Les projets auxquels vous avez (pour l’instant) échappé
Au séminaire du 5 janvier entre les élus et les directeurs généraux, une cinquantaine de mesures potentielles pour faire des économies ont été présentées. Pour chacune d’entre elles, était évalué le gain financier potentiel ainsi qu’une note de 1 à 5, évaluant plusieurs « risques » : le « risque social », le « risque de non-réponse aux besoins », le « risque sécurité », le « risque « juridique » et le « risque politique ». La « diminution du nombre de bibliothèques (3) » était ainsi évaluée avec un « risque social » de 4/5 et un « risque politique » de 4/5 également. La « restriction de la santé scolaire aux compétences obligatoires » présentait, elle, un « risque politique » de 5/5.
Plein d’autres mesures risquées politiquement n’ont par contre pas été retenues. Pour l’instant. Le Postillon a sélectionné les « meilleures » de ces idées d’économies, qui pourraient revenir un de ces jours :

  • « Mettre en place une amende ‘‘cigarette’’ et une amende ‘‘déjection canines’’. Vérifier avec les villes qui l’ont mise en place l’opportunité (Paris) ». Gain économique estimé : 250 000 euros.
  • « Baisse de l’absentéisme : propose une prime de présentéisme dont le montant est inférieur au coût de l’absentéisme ». Pas de gain économique estimé.
  • « Fermeture de la piscine Vaucanson. Diminution des activités assurées par les ETAPS en temps scolaire. Mise à disposition des équipements avec ‘‘participation et/ou compensation. Arrêt du ski alpin scolaire. » Gain estimé : 1,4 million d’euros
  • « Fermeture de l’atelier décors et costumes (regarder collaboration) réaffectation provisoire avec / vers lycée Argouges (sections professionnelles) ». Gain estimé : 150 000 euros.
  • « Plus de financement des clubs professionnels. à supprimer aussi bien sur les subventions que les achats de place des espaces publicitaires. » Gain estimé : 750 000 euros.
  • « Suppression des centres de soins infirmiers ( 1 000 personnes par an). » Gain estimé : 1 million d’euros.
  • « Réfléchir, avec d’autres (ex : SDISS), à l’intégration du bénévolat dans action publique. Aller du bénévolat à l’implication citoyenne : ma ville, ma responsabilité ! » Pas de gain économique estimé.
  • « Création de la carte « Gre » : contribution au service public (ex. : balayer sa rue, entretenir un bosquet, participation aux élections…) donne droit à des crédits d’accès au service public (ex : entrée piscine…) ». Pas de gain économique estimé.
  • « Fermeture temporaire du Palais des sports, de 2017 à 2020 ». Gain estimé : 2,7 millions d’euros