Accueil > Avril-Mai 2017 / N°40

Lutte des classes à la CGT

«  La République a de la chance, elle peut tirer sur le peuple ». Ainsi se lamentait l’ex-roi Louis-Philippe, en apprenant que la seconde république réprimait dans le sang la révolte de 1848.
C’est toujours plus facile de faire des saloperies quand on est supposément du côté du « bien ». Si la droite ou les socialistes avaient fermé trois bibliothèques de quartier à Grenoble, tous les amis d’Éric Piolle seraient montés au créneau. Si ce n’était pas Lénine qui avait mis en place les goulags, les communistes auraient sûrement trouvé ça « totalitaire » voire « fasciste » bien avant que l’URSS ne chute. Si un pauvre avait touché près d’un million d’euros sans rien faire, François Fillon se serait insurgé contre cet « assisté ».
Dans la même série, Le Postillon vous raconte l’histoire de la Mutuelle de France des hospitaliers (MFH). Où un membre de la CGT agit comme le pire des patrons.

« Ce qui se passe dans notre boîte, c’est scandaleux ». Au Postillon, ça nous arrive régulièrement d’avoir des coups de fils ou mails de salariés dénonçant leur conditions de travail ou les comportements de leurs supérieurs. C’est souvent intéressant, mais dans notre petit bimestriel on ne peut pas tout traiter, d’autant que ce genre de sujet nécessite de plonger dans des détails obscurs pour le commun des lecteurs. Alors la plupart du temps, on ne publie rien et on conseille à nos interlocuteurs d’aller voir un syndicat pour faire avancer leur cause.

Oui, mais cette fois-ci, c’est différent. « Le problème, c’est que notre employeur est un syndicaliste ».
On leur donnera comme pseudo Amélie et Louise. Elles travaillent à la Mutuelle de France des hospitaliers (MFH). Comme son nom l’indique, c’est une structure proposant une mutuelle pour le personnel hospitalier. Ayant pour valeurs «  l’échange, l’entraide et la solidarité », la MFH se définit comme « militante », et propose une mutuelle « sans système d’options, parce que la santé n’est pas un bien marchand et que personne ne choisit d’être plus ou moins malade  ».
Disposant de plus de 3 000 adhérents dans toute la France, la MFH a été créée à Grenoble en 1994 sous l’impulsion du syndicat CGT, afin de proposer une « alternative militante » à la mutuelle nationale hospitalière.

« Au début j’étais super fière de bosser ici. Faut savoir que j’ai grandi dans la CGT et le parti communiste, et que c’est toujours des idées auxquelles je crois  ». En nous contactant, elle avait un peu peur Louise. C’est qu’elle ne voudrait pas que son témoignage jette l’opprobre sur la CGT en particulier, ou le syndicalisme en général. Si les quatre salariés ont choisi de médiatiser leur histoire, c’est parce qu’ils ne supportent plus qu’une personne puisse faire au quotidien l’inverse de ce que son organisation défend dans les discours. En l’occurrence, il s’agit de Ruben Garcia, le président de la MFH, militant CGT de longue date.

Les quatre salariés à la MFH sont également syndiqués à la CGT. C’est qu’ils essaient de se défendre face à leur patron. Trois d’entre eux sont en arrêt maladie depuis plus de six mois, et tous ont - ou ont eu - une procédure aux prud’hommes.

L’année dernière, ils ont fait trois jours de grève, les 22 janvier, 2 mars et 10 mars 2016. Parmi leurs doléances, quelques classiques des conflits au travail : non-respect de la convention collective, absence d’augmentations salariales promises, retrait abusif d’une « prime de service » suite à un arrêt maladie, non-prise en compte des «  jours pour enfants malades », etc.

Mais la principale cause du mal-être des salariés semble être la personnalité du président Ruben Garcia et l’ambiance qu’il fait régner au sein de la petite structure. Il y a les « mises à l’écart des salariés sur des tâches les concernant ». Les tentatives de «  déstabilisation ou de provocation, en faisant passer les salariés pour des névrosés », les «  médisances et dénigrements ». Et puis aussi, «  l’interdiction pour les salariés de communiquer avec les administrateurs », les « procédures arbitraires », le « harcèlement moral », et les multiples « propos sexistes ou à caractère sexuel particulièrement obscènes  ». Tous ces facteurs causent chez les salariés «  dépressions, angoisses, insomnies » et donc ces arrêts de travail prolongés.

Ce climat social délétère n’est pas récent à la MFH, même s’il atteint son paroxysme ces derniers mois. « De tous temps, il y a eu un turn-over important et des procédures aux prud’hommes  », précise Amélie. Le 2 mars dernier par exemple, les prud’hommes de Grenoble se penchaient sur l’histoire de Mme R., que son avocate a tenté de résumer à la barre.
Embauchée en 2003 à la MFH, Mme R. a pendant sept ans entretenu une relation extraconjuguale avec Ruben Garcia. En 2012, elle le quitte parce que lui ne voulait pas quitter sa femme. Garcia le prend mal et commence à la mettre au placard. En 2013, elle tombe enceinte d’un autre homme : Garcia se met à la pousser à bout nerveusement, et parvient à monter les autres salariés contre elle. Une situation intenable pour Mme R. qui se met en arrêt maladie, puis accouche prématurément à cinq mois de grossesse. Selon le témoignage d’une employée, Garcia «  est allé jusqu’à se réjouir de la prématurité de l’accouchement devinant à l’avance les difficultés futures en tout genre que Mme R. allait pouvoir subir dans le temps ».

Mais ce malheur n’est visiblement pas suffisant. Quelques mois plus tard, Garcia parvient à licencier Mme R. pour « faute grave », après avoir manipulé les autres salariés pour qu’ils fassent des attestations à charge contre Mme R. Pour ce procès aux prud’hommes, trois salariés ont témoigné « avoir attesté en faveur de Monsieur Garcia, sous la contrainte.(...) [une salariée] a très clairement exprimé son refus par peur de poursuites pénales notamment l’amende encourue en cas de faux témoignage, mais M. Garcia lui a quand même ordonné de s’exécuter en la culpabilisant et en l’effrayant. »

Nous n’avons pas la place ici d’étaler tous les détails exposés pendant plus d’une heure au tribunal, qui rendra son délibéré au mois de mai. Au vu des témoignages et documents recueillis, il apparaît clairement que Garcia est manipulateur.

Pour les magistrats de Grenoble, nous précisons qu’effectivement, comme pour l’article sur Ferrari, nous faisons preuve ici de «  manque de prudence » en affirmant ceci sans l’aval du principal intéressé. Précisons qu’on lui a demandé une réaction par mail, et qu’on a même eu une réponse de Jean-Paul Huillard, le nouveau directeur général de la MFH. Selon lui, « les tensions sociales » à la MFH « procèdent des salariés, d’une mauvaise lecture, ou d’une incompréhension, des termes de ladite convention, s’agissant des modalités de rémunération  ». Il se dit également stupéfait « de la présente situation, et [qu’il n’a] jamais connue, eu égard aux avantages dont bénéficient les salariés de la MFH et dont ils ne semblent pas avoir pris la mesure  », avant d’affirmer que «  le Conseil d’administration de la MFH - et notamment son Président - ont fait preuve d’une bienveillance que je n’aurais pas imaginée, ce dont les salariés ne semblent pas non plus avoir pris la mesure ». Apparemment, on n’a pas la même définition de la bienveillance.

Il s’avère que ce M. Garcia a l’air également très procédurier. Pendant un conseil d’administration de la MFH, lui et d’autres administrateurs ont mis en cause une personnalité locale à propos du conflit social à l’intérieur de la mutuelle. Une salariée présente a rapporté ces propos à cette personnalité, qui s’est offusquée dans une lettre de cette mise en cause sans fondement. Garcia a alors profité de cette lettre pour déposer une « plainte pour violation du secret professionnel  », vu que des propos tenus en CA avaient été rapportés à d’autres personnes. Plainte qui a entraîné la convocation à l’hôtel de police des salariés, de la personnalité mise en cause, etc. Ce monsieur est visiblement prêt à toutes les fourberies.

Car un des nœuds du problème, c’est qu’il parvient encore à garder le soutien d’une grande partie des administrateurs de la mutuelle (ceux qui n’étaient pas d’accord avec lui sont partis ou ont été virés) et des responsables de la CGT. Si l’union départementale l’a démis l’année dernière de son mandat d’administrateur auprès de la CPAM, les salariés en lutte regrettent amèrement le manque d’intervention et d’aide de cette même union départementale dans le conflit social agitant la MFH. Aucun responsable de l’union départementale ne s’est impliqué dans cette affaire. Pire, selon Amélie : « ils ont fait des reproches aux rares qui ont pris parti en faveur des salariés ». Louise s’exclame amèrement : « aujourd’hui, je me demande pourquoi les patrons s’embêtent à adhérer au Medef. Je ne peux que leur conseiller d’adhérer à la CGT, ils pourront faire toutes les saloperies qu’ils veulent sans être contestés ». Plus sérieusement, elle analyse : «  Ce que révèle cette histoire, c’est aussi les problèmes des détachés syndicaux. Garcia, qui était infirmier avant, est détaché depuis trop longtemps pour être président de la MFH. Or il ne faut pas que les détachés le soient trop longtemps, il faut qu’ils retournent bosser, sinon ils perdent contact avec la réalité et ne sont plus militants ».

À la CGT, certains militants ont quand même osé prendre complètement position pour les salariés de la MFH. Dans un mail de mai 2016 envoyé à Garcia et Samy Gacem (un administrateur de la MFH membre de la CGT), l’union locale de Grenoble de la CGT s’insurgeait : « En tant qu’employeurs CGT, vous vous devez d’être irréprochables et de ne pas faire subir à vos salariés ce que vous ne toléreriez pas de votre employeur ! Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui ! Votre comportement met en danger la santé physique et morale des salariés ainsi que la pérennité de la MFH. À compter de ce jour, l’Union Locale CGT de Grenoble ne vous considère donc plus comme des militants CGT à responsabilité, mais comme des employeurs à part entière. » Louise et Amélie apprécient cet appui précieux et concluent : « Heureusement qu’on se soutient. Si on avait été isolés dans de telles situations, il y aurait de quoi se tirer une balle. »