Accueil > Oct. / Nov. 2013 / N°22

Encore une innovation grenobloise !

Marc Baietto, le métropophage

La métropole moderne est dense et ravage tout sur son passage. Pour se développer, elle a besoin d’un leader à son image. De la même manière que les banlieues avalent la campagne, le métropophage grignote jour après jour le pouvoir des autres, à commencer par celui de ses administrés. Sous la lattitude grenobloise, le métropophage prend les traits de Marc Baietto. La description de ses traits principaux permet de se rendre compte du danger qu’il y a à laisser proliférer de telles espèces.

Le métropophage souffre de boulimie représentative

Il ne peut pas s’empêcher d’amasser les mandats locaux et n’arrive jamais à s’arrêter. Rendez-vous compte : il est président de la Métro (communauté d’agglomération de Grenoble) depuis 2010, maire d’Eybens depuis trente ans (putain, trente ans !), conseiller général depuis vingt-cinq ans, président de l’Établissement public du schéma de cohérence territoriale – SCOT depuis 1997, vice-président du CNFPT (Centre national de la fonction publique territoriale), délégué régional Rhône-Alpes Grenoble du CNFPT, président du CDG - Isère (Centre de gestion de la fonction publique territoriale) et enfin président du nouveau syndicat mixte Véga (regroupant la Métro et le Pays voironnais). Une pathologie qui l’a conduit à être aussi premier vice-président du conseil général délégué à l’aménagement des territoires, des transports et des déplacements et président du Syndicat mixte des transports en commun. Suite à son élection à la tête de la Métro en 2010, il a été contraint d’abandonner ces deux derniers mandats, le risque d’explosion dû à une obésité mandatale étant réel. Cette prudence relative n’a malheureusement pas été suivie d’une prise de conscience. Il persiste dans le déni et veut poursuivre cette fuite en avant lors des prochaines échéances électorales. Il assure au Daubé (31/08/2013) : «  Bien sûr que j’ai envie de continuer. L’intercommunalité me passionne, les projets, la vision du territoire ». Il devrait donc postuler pour un sixième mandat (soit 37 ans !) à la mairie d’Eybens, et compter encore une fois sur une forte abstention pour l’emporter largement [1]. Réélu, il briguerait à nouveau la tête de l’intercommunalité, puis serait candidat pour diriger la future Métropole en 2015. Pour faire valoir ses atouts face à Destot, autre postulant, il argumente sans rire : «  Être président, c’est une présence permanente, encore plus avec l’agrandissement. À un moment, il faut faire des choix dans les mandats que nous exerçons, pour bien les exercer. Je suis un président de la Métro quasi à temps complet. Ce n’est pas une fonction à temps partiel » (Le Daubé, 31/08/2013). Une affirmation symptomatique du déni de réalité qui le fait tant souffrir : alors qu’il cumule huit mandats, il prétend avoir « fait un choix  » et être « président de la Métro quasi à temps complet  ». Cette fausse modestie est également perceptible lorsqu’il file des métaphores sportives pour prétendre qu’il ne se met pas en avant : «  Quand je jouais au rugby, j’étais deuxième ligne, ce n’est pas ceux qu’on voit souvent  » (Grenews, 06/05/2009). Ceux qui ont encore le courage de parcourir la presse locale ou le journal de propagande Le Métroscope se rendent hélas compte qu’aujourd’hui il est en première ligne et qu’on ne voit que lui. Si on doit en conclure qu’il fait l’inverse de ce qu’il dit, certaines de ses affirmations méritent d’être relues : « La Métro ne va pas manger les autres communautés, la Métro ne veut pas s’agrandir sur le dos des autres. C’est quoi ces histoires ? Je n’ai jamais été un ogre. Je n’ai pas de volonté de toute puissance  » (Le Daubé, 13/04/2011).

Le métropophage n’aime pas la critique

Il présente le symptôme de la susceptibilite aiguë. Ses opposants politiques sont sur ce point unanimes. Francesco Sylvestri, candidat UMP à la mairie d’Eybens en 2001 et 2008, nous assure que «  c’est quelqu’un qui ne supporte pas l’opposition, qui ne supporte pas le débat ». Michel Savin, président du groupe Métro Alternatives, avait convoqué Le Daubé (06/11/2012) pour «  demander au président Baietto de changer de comportement  », suite au mépris manifesté pour l’opposition. Un agent de la Métro ayant souhaité conserver l’anonymat, affirme que Marc Baietto «  ne supporte pas qu’on s’en prenne à lui personnellement. Il n’arrive pas à entendre les critiques sur certaines de ses actions et de ses positions sans les lier avec sa personne ». Selon lui, «  en privé il assume son autoritarisme. Il peut dire des choses comme ‘‘j’ai toujours été un autocrate c’est pas à soixante-dix ans que je vais changer’’. Il est très directif, et parfois rude à la limite de la grossièreté. Il se vit comme un patriarche, affirme vouloir le bien de tous mais exige qu’on lui reconnaisse une forme de toute puissance. Quand il est arrivé à La Métro, il a énoncé quelques principes, c’était bien, on a eu un peu d’espoir, mais l’espérance a duré six mois pour les plus optimistes ou les plus crédules. Aujourd’hui, la grosse majorité des agents ont un a priori très négatif sur Baietto. Il est très représentatif des contradictions et des principes de la gauche gestionnaire. » Dans un tract de décembre 2010 intitulé « L’étrange Noël du Président Baietto », la CGT-Métro expliquait la caractéristique essentielle du métropophage : «  Les notions de proposition et de concertation n’ont pas survécu plus de quelques instants à l’autoritarisme du président Baietto qui est passé en force, et a su montrer de façon évidente qu’il est toujours prêt à dialoguer avec vous à partir du moment ou vous êtes d’accord avec lui ».

Le métropophage a toujours raison, surtout quand il a tort

Le Président de la Métro est certain d’être toujours du côté du Bien, jusqu’à défendre des Grands Projets inutiles. Baietto a été le promoteur le plus en vue de la Rocade Nord, s’enflammant régulièrement dans les médias : « si la rocade ne se fait pas, ce serait une catastrophe. L’attractivité de l’agglomération en prendrait un sérieux coup (...) » (Grenews, 6/05/2009). Un an plus tard, alors que le projet est abandonné suite à l’avis défavorable de la commission d’enquête, il fait mine d’avoir tiré les enseignements de cet échec : «  Pour faire plus précisément allusion à l’après Rocade-Nord, j’estime que pour partie, il est sans doute nécessaire de penser autrement. (…) La voie que j’ai tracée avec d’autres, et j’en assume l’entière responsabilité, n’était peut-être pas la bonne. Il faut, aujourd’hui penser autrement le cadre urbain » (Le Daubé, 21/09/2010). Une once d’autocritique qui sera l’exception dans un parcours où l’arrogance reste la règle. En mars 2012, sans prévenir les habitants du plateau, il pète un câble entre Fontaine et le Vercors, un projet de téléphérique qu’il veut voir aboutir très rapidement afin « d’éviter que cela soit un élément de débat pour les municipales  ». Encore raté : beaucoup de vertacomiriens s’opposent au téléporté, freinant les velléités du métropophage, qui s’énerve : « Quand je lis que je veux annexer le Vercors, comme si je n’avais que ça à faire...(...) Je ne comprendrais pas que ce projet vers le Vercors ne se fasse pas... Il ne faudrait pas que ce soit comme la rocade Nord. Il ne faudrait pas dire ‘‘non’’ et venir me dire ensuite ‘‘oh zut on a raté l’occasion’’ parce qu’il sera trop tard » (Le Daubé, 31/08/2013). Sur sa lancée, il menace : «  Si le câble ne se fait pas sur le Vercors, on le fera ailleurs  », car pour lui l’important est de faire un câble pour l’image et la communication, et peu importe la pertinence du projet. En bon attaché commercial de Poma, il tente les arguments les plus stupides : « Que ceux d’en haut s’ouvrent à ceux d’en bas et inversement. C’est paradoxal quand même : depuis que je suis petit, je lis des choses sur Grenoble et la montagne, et cette montagne, elle est fermée aux urbains  ». Il faut aller sur le plateau du Vercors en plein été voir défiler les masses de touristes urbains pour se rendre compte de toute la clairvoyance de Baietto.
Il est vrai qu’il ne s’est jamais préoccupé d’écologie. Quand le vice président à la Métro en charge de l’environnement Jean-Marc Uhry rend sa délégation en juillet dernier (à cause du manque de volonté politique de Baietto et du maire Destot sur les questions de pollution), tout ce que le métropophage trouve à faire, c’est de déplorer ce «  mini psychodrame... Ça a fait plus de bruit, dans les débats et les médias, que l’explosion de la centrale nucléaire au Japon » (Le Daubé, 31/08/2013).
à l’époque où il n’était pas encore président de la Métro, Grenews (06/05/2009) lui demandait naïvement : « Est-ce qu’il y a un dossier sur lequel vous pouvez dire : moi, Marc Baïetto, je me suis planté ?  » Réponse du métropophage : «  Non, je ne vois pas. Excusez-moi, c’est très immodeste. Vous me direz, la rocade finie, si je me suis trompé ou pas  ».

Le métropophage n’aime pas ce qu’il construit

Comme beaucoup de ses contemporains, le métropophage peut faire tous les jours quelque chose qu’il prétend détester. Ainsi, il peut déclarer sans gêne sur Télégrenoble (20/05/2011) : «  Il y en a un peu marre de ce monde de fric, de ce monde dans lequel seule l’apparence compte. Il faut retrouver le sens de l’homme, le sens des valeurs  ». Dans le même temps, et depuis des décennies, il œuvre à la construction d’une métropole compétitive et attractive car dans ce «  monde de fric », seule « l’apparence compte  ». On cherche encore les « valeurs  » de cette économie mondialisée, hormis celles de la Bourse. Le métropophage adule l’innovation technologique, qui donne sans arrêt plus d’importance à «  ce monde de fric dans lequel seule l’apparence compte  ».
Cette déclaration à Télégrenoble relève-t-elle du mensonge ? Pas sûr. Baietto souffre peut-être de troubles dus à une certaine « dissonance cognitive », s’exprimant par de flagrantes contradictions. De même qu’il dit détester l’économie mondialisée alors que son action ne la remet jamais en cause, il a choisi d’habiter à l’écart de la métropole qu’il étend mois après mois. Militant de la «  ville dense contre l’étalement urbain », il a bâti sa villa sur des terrains à l’origine non constructibles. Son opposant UMP raconte la combine : «  En tant que maire, il a déclassé les terrains de la famille Andreolety et les a rendus constructibles. La famille a ensuite revendu à un promoteur immobilier, qui a découpé le terrain. Baietto en a acheté une partie. Sur la forme tout a été respecté, sur le fond c’est problématique car c’est lui qui est à l’origine du déclassement du terrain non-constructible et qui en profite après ». Résultat : Baietto habite maintenant dans une grosse bâtisse sur les hauteurs de sa commune. De sa terrasse, comme de son balcon, la vue est superbe sur les forêts d’Eybens et les sommets environnants. Mais il ne voit presque pas la grande agglomération qu’il développe avec tant d’ardeur. Ce choix relève-t-il du dégoût inconscient de ses actes ?

Le métropophage ne sait pas s’arrêter. Il n’a pas de limite

Par définition, le métropophage n’a pas intégré la notion de limite et désire sans cesse plus, un peu comme un enfant. À la tête de la Métro, il se bat depuis deux ans pour que cette communauté d’agglomération s’agrandisse. Combat réussi : elle passera de 29 à 48 communes en janvier prochain et deviendra une Métropole un an plus tard, avec plus de compétences (comme le tourisme, l’eau, la culture ou le sport). Pour défendre cette conquête, Baietto se prévaut du fait accompli, comme s’il ne résultait pas de décisions antérieures : « Il y a cinquante ans on répondait à l’essentiel de ses besoins du quotidien à l’intérieur de sa commune. On ne faisait guère plus de cinq kilomètres. Les mêmes besoins, aujourd’hui, on les satisfait dans un rayon qui est plus près de trente à quarante kilomètres. Du coup la commune n’est plus le territoire suffisant. Je vis dans une commune, je travaille dans une autre, je vais faire mes achats dans une troisième, je vais pour mes loisirs dans une quatrième. La frontière communale n’est pas suffisante  » (Télégrenoble, 20/05/2011). Tout ceci arrange le métropophage, car plus s’étale l’étendue de ses compétences, plus se réduit le pouvoir du citoyen.
Ces perspectives d’agrandissement de la Métro ne le rassasient pas. Pour voir d’ores et déjà plus loin que la Métro, il vient de créer Véga, un nouveau syndicat mixte entre la Métro et le Pays Voironnais, et en a évidemment pris la tête. Il y a deux ans, il a participé à la création du pôle métropolitain du Sillon alpin, regroupant toutes les grandes communautés de communes entre Valence et Annemasse. La Métro, intercommunalité la plus importante, est bien évidemment la plus mise en avant et son président le plus en vue. Toujours plus gros, toujours plus grand, toujours plus de pouvoir : voilà comment Marc Baietto est passé de son petit mandat de maire d’Eybens, une ville de moins de dix mille habitants, à celui de leader d’une entité englobant près de deux millions d’habitants sur près de trois cents kilomètres. Quand on lui demande à quoi sert le pôle métropolitain, il s’emporte : « Comment on fait exister notre force économique dans une économie mondialisée ? Alors on peut encore une fois discuter de la mondialisation... C’est un fait auquel nous sommes confrontés. Comment faire pour qu’un décideur, qu’il soit dans la Silicon Valley ou dans toute autre partie du monde ait une idée claire de ce lieu auquel nous tenons tant puisque nous y résidons, pour qu’il prenne les bonnes décisions, en tous cas celles qui nous permettront de préserver l’emploi sur ce territoire voire à le développer. On a encore beaucoup trop de chômeurs alors on ne peut pas se satisfaire de nos réussites. Nous devons poursuivre l’effort. Pour poursuivre l’effort il faut que nous nous regroupions pour être perceptibles, lisibles, compréhensibles de très loin. (…) Pour amener nos partenaires décideurs à nous connaître, à nous percevoir. Et finalement qu’ils comprennent qu’ils ont tout intérêt à travailler avec nous. Non seulement nous leur offrons des cerveaux, des gens formés, mais on leur offre également un cadre de vie assez exceptionnel. Ça c’est notre valeur ajoutée. C’est ça que nous voulons à la fois préserver, ce sera l’aspect peut-être un peu défensif, mais surtout développer parce que c’est là notre force et c’est autour de ça que nous construirons la ville de demain » (Télégrenoble, 13/04/2012). Avec ce raisonnement, où l’on considère que le but d’un territoire est d’être « perceptible, lisible, compréhensible » depuis « la Silicon Valley ou toute autre partie du monde », on comprend pourquoi le métropophage n’a pas de limites.

Le métropophage n’a pas le temps de penser : il agit

Tout à ses mandats, le métropophage n’a plus le temps de rien faire. Il ne peut plus conduire, il doit passer des coups de fil : un chauffeur l’accompagne donc sept jours sur sept (ou presque), comme le mardi 17 septembre dernier. Alors que Marc Baietto était en train de présenter le rendu de l’étude commandée à Eiffage sur les « éco-mobilités », son chauffeur l’attendait dehors, garé sur le trottoir. Encore plus préoccupant : le métropophage n’a plus le temps de penser. Ancien professeur de philosophie au lycée privé de l’Itec-Boisfleury à Corenc, il se garde bien, depuis qu’il est aux responsabilités, de considérations sur le sens de la vie ou le bonheur humain. Aux doutes de la pensée, il préfère les certitudes de l’action : « La vie politique, la vie publique m’ont apporté de grandes satisfactions. Comme je disais souvent à mes élèves, c’est quand même assez rare, dans la vie, quand quelque chose ne convient pas, de se dire qu’on va pouvoir le changer. C’est cette capacité qu’a l’homme public, le responsable politique de changer les choses… alors on change pas tout... mais quand même c’est un plaisir de voir ma ville se construire, de voir aujourd’hui en regardant dans le rétroviseur tout ce qu’on a pu réaliser collectivement  » (Télégrenoble, 20/05/2011).
Le métropophage bénéficie des avantages de l’organisation opaque de ces méga-structures, inaccessibles aux simples citoyens. Débarrassé des râleurs et simples habitants, le métropophage a les mains libres, et laisse son empreinte écologique dans l’histoire. Pierre Mauroy, « géant bâtisseur de métropole » (Le Moniteur, 07/06/2013), lillois adulé de ses pairs socialistes, avait expliqué en son temps la joie de diriger de tels machins : « L’intercommunalité, c’est fantastique, c’est feutré, y a pas les habitants » [2]. Marc Baietto répète en écho : « Vous savez, j’ai passé l’âge de vouloir être populaire, moi je veux que les dossiers avancent  » (Le Daubé, 06/09/2013). Cette obsession des «  réalisations » s’accompagne d’une absence totale d’idées. S’il est socialiste, tendance fabiusienne et franc maçon («  initié » même « s’il ne confirme pas », selon Capital (9/02/2010), c’est pour s’ouvrir toutes les portes du pouvoir et non pour défendre tel ou tel principe. La métropole qu’il dirige et édifie est à son image : boursouflée et vide de sens.

Notes

[1En 2008, il s’était flatté d’être élu avec 75% des voix. Mais sur les 9 500 habitants d’Eybens, seuls 2 500 avaient voté pour lui. 40 % des 6 100 inscrits sur la liste électorales s’étaient abstenus.

[2Fabien Desage et David Guéranger, La Politique confisquée, éditions du Croquant, 2012.