Au départ de Saint-Georges-de-Commiers, la départementale 529 s’élève doucement et serpente sur 15 km tout en surplombant le lac du Monteynard. On atteint alors le village de la Motte-d’Aveillans niché au cœur de la montagne.
Une église, une petite poste adjacente à la mairie, non loin l’école et une bibliothèque ouverte trois jours par semaine. Plus loin des maisons aux volets fermés sur lesquels sont accrochés des pancartes : « à vendre ou à louer ». Sur la route de la Mure, un scooter peine dans la montée, un car chargé de son flot de voyageurs descend dans la vallée vers Grenoble.
La Motte-d’Aveillans apparait austère au premier abord. Il suffit pourtant de déambuler dans les rues pour être apostrophé régulièrement d’un « Bonjour » ou d’un « ça va ? »
La gare quant à elle est déserte et en partie taguée. Le petit train de la Mure qui reliait la Mure à Saint-Georges-de-Commiers ne fonctionne plus depuis 2010 suite à un éboulement sur la voie ferrée. Les habitants rencontrés espèrent tous la réouverture de la ligne qui amènerait à nouveau son lot de touristes pour faire vivre les quelques commerces qui résistent encore : deux pharmacies, une boulangerie, une épicerie, deux bars, un tabac et un coiffeur.
Sur la voie, sont immobilisés d’anciens wagons qui servaient à transporter l’anthracite, une variété de charbon extraite du sous-sol matheysin. On marche ici sur un gruyère, des dizaines de kilomètres de galeries ont été creusées et jusqu’à 2000 mineurs ont travaillé dans cette mine. À la fin de la Seconde Guerre Mondiale, le Conseil National de la Résistance nationalise l’ensemble des mines françaises. Et c’est donc l’État, propriétaire, qui décide en 1994, sous le gouvernement Balladur, de fermer progressivement la totalité des mines françaises. La houillère de la Motte fermée, les ouvriers se sont alors déplacés aux alentours notamment sur les communes de Susville et du Prunières jusqu’à l’arrêt définitif du dernier puits, le Villaret, en 1997.
Difficile de faire table rase du passé. Quasiment tout les Mottois ont un lien de parenté avec un ancien mineur. Estelle, 74 ans, tient le bar PMU pour compléter sa retraite dans un virage sur les hauteurs du village. « J’ai vécu dans le milieu ouvrier, mon père était mineur. J’ai travaillé dans un cabinet de comptabilité et puis j’ai repris ce bar y a 20 ans. Les commerces travaillaient beaucoup mieux avant, là c’est mort. Heureusement qu’on a le PMU sinon on aurait trois fois moins de recettes ».
Plus bas, en face du musée « la Mine Image » qui retrace l’histoire des houillères du plateau, un jeune homme vêtu de son bleu de travail attend dans sa voiture alors qu’un épais brouillard peine à se dissiper. « Mon père était mineur, il adore parler de cette époque. Pour nous ici les jeunes, il n’y a pas beaucoup de travail. Moi j’ai de la chance, je fais un stage dans une entreprise de transport de fioul pour le moment. »
L’activité du village s’est fortement réduite avec les fermetures des mines et les jeunes se font plus rares faute de travail alors qu’on descendait auparavant de génération en génération au fond des galeries. La population est passée de 3600 habitants au début du XXième siècle à 1800 aujourd’hui. Quelques nouveaux habitants pointent toutefois leur nez comme Yannick, ancien boucher, qui a repris depuis quatre ans une maison familiale. « Ça se repeuple parce que c’est pas loin de Grenoble. La ville c’est bien mais c’est pollué. Il y a de plus en plus de gens qui désertent les grandes villes. à la Motte je m’occupe bénévolement de l’embellissement de la ville. Moi je ne traine pas au bar, j’y suis allé une fois la semaine dernière, c’était la première fois depuis quatre ans. »
Il est midi et demi. La circulation sur la D529 s’estompe, une cohorte d’une douzaine de cyclistes file dans les virages sinueux du village, la boulangerie ferme ses rideaux et le brouillard se dissipe enfin.
En poussant la porte de l’ancien Café de la Gare rebaptisé le Lézard, l’unique restaurant du village - hormis une pizzeria - on aurait pu s’attendre à trouver un ancien derrière le zinc. Mais c’est Gabriel, 31 ans qui tient la boutique. Il sert un verre de blanc à l’homme assis là. Branché sur les ondes de France Bleu Isère, le bar bien rempli le midi est à cette heure-ci quasiment vide.
« J’ai fait l’école primaire et la 5ème et 6ème sur la Motte et après j’ai poursuivi ma scolarité à la Mure. De 2000 à 2003, je travaillais déjà dans ce restaurant et après je suis parti à l’Intermarché de la Mure comme responsable de rayons et puis quand le patron du Café de la Gare a décidé de vendre, je me suis dit : quitte à faire des heures, autant les faire pour moi. Je voulais rester ici. L’ancien gérant de ce restaurant me connaissait depuis tout petit, c’était comme un deuxième père. Les propriétaires des murs voulaient en faire des appartements, c’est ce qui m’a motivé à reprendre le commerce pour garder un restaurant ouvert à la Motte. [...]
Après la fermeture de la mine de la Motte, les mineurs sont partis au Villaret ou aux Prunières. Les gens ont commencé à partir fin 80 et encore plus fin 90. À une époque la Motte d’Aveillans était la commune la plus riche du plateau, c’est ici qu’il y a eu la première mine. [...]
Pour les jeunes ici, il n’y a pas grand chose à faire, à part la petite boite de nuit à la Mure. Au niveau boulot c’est un peu tendu. Depuis 2008 et la crise, l’économie locale a diminué. La plupart de mes amis sont partis sur Grenoble, d’autres dans le sud. De ma génération on n’est pas très nombreux à être resté sur la Motte. Depuis 10 ans j’en vois revenir habiter ici. Je pense que les montagnes du village leur manquent. Moi à chaque fois que je pars et que je reviens ici, je me dis « putain qu’est-ce qu’on est bien au milieu de ces montagnes ». La Côte d’azur c’est pas mal mais au bout d’un moment il manque les montagnes. [...]
En général les gens qui habitent sur le plateau et qui bossent sur Grenoble quand ils perdent leur boulot pour licenciement économique, ils ne peuvent plus rester. Ils redescendent habiter à Grenoble. Parce que financièrement les voyages ça coûte cher et puis en intérim les boites se trouvent à la ville. À la Motte le soir, c’est désertique. S’il n’y avait plus ces petits commerces, on aurait la sensation de vivre dans un village dortoir. »
À 77 ans, Lucien a travaillé 32 ans dans les mines du plateau matheysin. Il est membre de l’association « Sauvegarde et mise en valeur du patrimoine mottois » qui a œuvré notamment à la création du musée « la Mine Image » à la Motte-d’Aveillans. Assis sur les tables de bois qui font face à l’ancien abattoir, on a recueilli ses histoires du fond de la mine, évoqué la désertification du village et parlé des luttes sociales de l’époque.
« J’ai débuté à dix-sept ans et demi le 2 janvier 1952 ici à la Motte avant que la mine ne ferme. Au début j’étais manœuvre à l’extérieur, je ne suis jamais rentré dans cette mine à l’époque. On remplissait les chariots de matériel et ils étaient ensuite tirés par les chevaux pour pénétrer dans la mine. Après j’ai été à l’autre mine au Villaret, à trois kilomètres d’ici, comme rouleur de berline. On poussait des wagons de 500 litres vers le puits pour les extraire du fond, j’étais payé à la journée. Comme je voulais gagner plus, j’ai changé de poste : ceux qui creusaient étaient mieux payés parce que c’était au rendement. Mieux on creusait, plus on extrayait de charbon, mieux on était payé. [...]
Le premier jour où je suis descendu au fond de la mine, j’ai eu un sentiment d’étouffement. Je me suis demandé comment les gars pouvaient travailler dans ces conditions. « Qu’est ce que je fais ? Je reste ou je sors ? » J’ai pensé à mes parents et je me suis dit que si jamais ils apprenaient que j’étais sorti, j’allais me faire dégager de chez eux. à force, je me suis adapté. Bien sûr que le travail était pénible mais l’ambiance était bonne et nous étions solidaires. J’ai quand même des séquelles aujourd’hui, des problèmes de dos et de surdité. Un jour j’ai été enseveli jusqu’au cou, heureusement que ça s’est arrêté. Le gars qui était à mes côtés m’a sorti. En 1946 il y a eu 8 morts et en 1971 autant dans la mine du Villaret. Il y a eu plusieurs autres accidents mortels, un mec à côté de moi est mort enseveli. [...]
Il y a eu un brassage de population avec la manœuvre étrangère : des Italiens, des Espagnols, des Hongrois, des Polonais. Pour moi les Polonais c’était les meilleurs ouvriers, ils étaient costaux. Eux, avant de commencer la journée, ils buvaient un grand verre de gnôle. Soi-disant, ça lavait le gosier qui était encrassé de poussière ! [...]
Notre charbon était de meilleur qualité que celui importé de l’étranger mais il était beaucoup plus cher. Les mines n’ont jamais été rentables, c’est l’État qui les a financées. À l’époque le charbon servait pour quelques industries comme les papeteries mais l’essentiel servait au chauffage individuel. [...]
Par rapport aux autres usines aux alentours, on était mieux payés à la mine. On avait aussi des avantages comme la gratuité du logement et du charbon pour le chauffage. On avait trois à quatre tonnes de charbon par an. Il fallait faire 30 ans à la mine dont 20 ans de fond pour prétendre toucher la retraite à 50 ans. Je me plains pas trop aujourd’hui. [...]
La Motte-d’Aveillans revit un petit peu. Ça a beaucoup évolué, avant on n’avait pas de télévision, pas de voiture. Les gens qui travaillaient ici, ils vivaient ici. Les activités après le travail, c’était les boules et le foot. On allait aussi à la pêche et aux champignons. Maintenant il y a trop de monde, il y a même des cars qui viennent exprès pour ramasser des champignons ! Avant il y avait des cafés et pas mal de commerces. Quand la mine de la Motte a fermé en 1956 les mineurs allaient travailler au Villaret à quelques kilomètres et puis là-bas ça a fermé en 1997 c’était la dernière du plateau matheysin. Tout le monde se disait que la région allait devenir un désert. La population qui n’avait plus de boulot est descendue dans la vallée. Ils ont aussi commencé à construire des grandes surfaces, ça a bouleversé les modes de vie. Il y a une dizaine d’années il y avait bien plus de maisons abandonnées qu’aujourd’hui, maintenant ça se retape un peu quand même. Par rapport aux prix d’en bas, c’est moins cher. (...)
Avant il n’y avait pas de délinquance, à côté de chez moi il y a une voiture qui a brûlé. Les jeunes qui ne travaillent pas sont désœuvrés. Quand les parents des gosses divorcent, ils sont un peu laissés à l’abandon et ils font n’importe quoi. Quand j’allais à l’école, on avait peur du maître ou de la maîtresse, aujourd’hui il n’y a plus de respect. Dans le temps quand on montait dans un car, on laissait la place aux vieilles personnes, ce n’est plus le cas aujourd’hui. (...)
La population était solidaire des manifestions et des grèves des mineurs. J’étais à la CGT, le syndicat majoritaire. à une époque on a fait « la grève des cabas ». On travaillait 8h15 par jour et on avait 25 minutes de casse-croûte, alors on mettait le casse-croûte dans le cabas. Ils ont voulu nous supprimer ces 25 minutes de casse-croûte, on a fait la grève et on a eu gain de cause. On se mettait aussi en grève quand un gars se faisait licencier, on était unis. Des grèves, on n’en a pas beaucoup perdues. Beaucoup de mineurs de la CGT étaient au Parti Communiste mais moi j’ai jamais pris de carte à aucun parti. J’ai toujours fait partie de la gauche. Je ne suis pas Front National mais chaque parti a des bonnes et des mauvaises idées, faut pas dire que le FN a que des mauvaises idées. Les résultats des élections législatives et présidentielles à la Motte-d’Aveillans [1] c’est peut être aussi le résultat de voir les choses se dégrader. Les anciens sont restés à gauche. Il y a des gens de gauche qui se tournent aujourd’hui vers le Front National. »