Accueil > Décembre 2013 / N°23

Pour la dissolution de la métropole (suite)

En complément du dossier du dernier numéro qui militait pour la dissolution de la métropole à travers trois articles d’analyse, Le Postillon a décidé d’aller voir sur les territoires environnant l’agglomération ce que provoque la furie métropolitaine. Cette première excursion nous emmène dans les vertes montagnes de la Chartreuse : la partie sud de ce massif, les communes du Sappey-en-Chartreuse, Quaix-en-Chartreuse, Sarcenas, Proveysieux et Mont-Saint-Martin, va en effet être rattachée à La Métro au premier janvier prochain. Pour cerner les enjeux de ce bouleversement administratif, qui va faire cohabiter les intérêts d’un Parc naturel régional et ceux d’une métropole voulant prendre part à la compétition mondiale, on a discuté avec deux membres de l’association CREA (Collectif de réflexion sur l’évolution de l’architecture en Chartreuse), habitants de la Chartreuse et impliqués dans les activités économiques du massif.

Comment votre association est-elle née ?

En 2004, un projet de logement social a été présenté aux habitants du Sappey. C’était une barre de quatre-vingts mètres de long dans un hameau composé uniquement de maisons traditionnelles. Ça a été la stupéfaction. On a commencé à protester, et tout de suite on nous a accusés d’être contre les logements sociaux, ce qui n’était pas du tout le cas. On a créé un collectif et puis fait signer une pétition qui disait « oui aux logements sociaux, non à cette architecture en rupture ». Plus de 500 personnes ont signé sur mille habitants.
Finalement ce projet a capoté, à cause de glissements de terrain et du changement de maire, mais cette contestation nous a permis de prendre conscience de l’évolution en marche. L’architecture, c’est le vecteur des mutations que les villes veulent engager sur les territoires environnants. On change pour modifier les repères, commencer à installer un peu de ville à la campagne. C’est bizarre parce que tout d’un coup c’est devenu très à la mode de construire autrement. Par exemple le CAUE (Conseil d’architecture, d’urbanisme et d’environnement de l’Isère) a insisté pendant des années pour faire respecter l’architecture des hameaux, pour ne pas faire n’importe quoi et puis en quelques mois, ils ont dit qu’il fallait faire de l’architecture en rupture, avec des toits plats. Bien entendu le tout était enrobé de prétexte écologiste, HQE (Haute Qualité Environnementale), mais c’était surtout les mêmes formes architecturales que dans toutes les grandes villes, un modèle très uniforme.
Suite à ça, notre association a travaillé sur d’autres sujets : la révision de la charte du parc, le SCOT (Schéma de cohérence territoriale), les PLU (Plans locaux d’ubanisme), la préservation du foncier agricole, le rattachement à une nouvelle intercommunalité.

Comment s’est passé le rattachement de la communauté de communes des Balcons de Chartreuse à la Métro ?

Quand la question de regrouper les intercommunalités s’est posée, le Parc a rédigé une note, parfaite, expliquant pourquoi il fallait faire une communauté de communes de toute la Chartreuse. Au début les élus étaient d’accord et puis ils ont fait volte-face. Au moment des élections sénatoriales, sans doute pour ne pas déplaire aux « césars » de la Métro, la présidente du Parc de Chartreuse, Eliane Giraud, candidate pour être sénatrice, a fait le choix de ne rien faire. En acceptant sans réagir cette fusion du Balcon Sud de Chartreuse avec la métropole, elle a accepté le principe qu’une partie du territoire dont elle a la charge soit « saucissonnée » et « arrachée de son entité Parc ». À l’opposé, le Vercors a su dire non à La Métro et à la « mammouthisation » parce qu’ils ont un territoire plus uni et qu’ils ont des élus, comme l’ancien sénateur Jean Faure, qui se préoccupent de l’avenir du territoire. En Chartreuse, il n’y a pas d’élus de son rang qui portent ces convictions. La présidente du Parc a fait une grosse faute politique : malgré sa communication, elle n’a pas défendu l’identité et le devenir du Parc.

Les élus du Balcon Sud étaient-ils d’accord ?

Ils ont majoritairement voté pour, mais il n’y a pas eu de réflexion. On a suivi un certain nombre de conseils municipaux, de conseils de communauté, c’était lamentable : les élus n’étaient pas informés, donc le débat n’a pas eu lieu.
Au Sappey, après un conseil municipal assez houleux en juin 2011, parce qu’il y avait beaucoup de public, le maire a voulu organiser un débat. Pendant deux heures il s’est retrouvé face à cent personnes, quasiment toutes contre le rattachement à La Métro, sans arguments. Il disait que de toute façon, c’était décidé par le préfet, et qu’on ne pouvait rien faire. Mais finalement, grâce à ce débat imposé par les habitants, le conseil municipal du Sappey a voté contre le rattachement. Sarcenas, Quaix, Proveysieux ont voté « pour » parce que dans ces communes, il n’y a pas eu ce travail de réflexion.

Aujourd’hui, le parc de Chartreuse se retrouve donc coupé en deux ?

Oui, nous, au sud, on est rattaché à la Métro et au nord, ils sont en train de créer une communauté de communes « cœur de Chartreuse », qui englobe des communes comme La Bauche ou Attignat-Oncin qui, au sens géologique, font partie de l’extrémité du Jura. C’est bien d’avoir élargi le périmètre du parc mais c’est quand même surprenant que des communes comme Le Sappey ou Sarcenas, qui sont en plein dans le massif ne fassent pas partie de cette intercommunalité « cœur de Chartreuse ». C’est une logique opportuniste, pour les besoins de La Métro de s’agrandir, mais cela ne correspond pas du tout à la logique d’un parc naturel. Le Parc c’est un outil d’orientation, de conseil, qui reçoit et distribue un certain nombre de subventions, mais les décideurs réels sont les communes et les intercommunalités. Donc là on a perdu notre moyen d’agir. Ou plutôt notre moyen d’agir est dilué dans celui de la Métro. Quel est le sens du Parc de Chartreuse alors qu’aujourd’hui La Métro a planté son drapeau sur Chamechaude qui est le plus haut sommet du massif ?

Pourquoi n’y a-t-il pas eu plus d’opposition ?

Nous, en tant qu’association, on a fait beaucoup d’information pour que les élus créent les conditions d’un débat en toute connaissance des enjeux. Malheureusement, ils n’ont pas pris le dossier en main. On a senti chez eux une impuissance et une démission face à la « machine métropolitaine ».
La plupart des conseillers municipaux sont mal informés. Beaucoup d’entre eux n’ont plus de lien avec le territoire et ne perçoivent pas les conséquences de leurs décisions. Ils sont dans une approche purement résidentielle et « court-termiste ».

Vous avez senti le changement depuis quand ?

Depuis le début des années 1990, ce qui correspond à l’explosion des prix de l’immobilier. Les nouveaux habitants comprennent de moins en moins les problématiques des activités liées au massif : tourisme, sylviculture, agriculture. Beaucoup sont dans une attitude de consommation. Il y a des contentieux pour des petites histoires, à cause de voitures gênées par les grumiers, du bruit des bûcherons, de la circulation des troupeaux dans les hameaux, du bruit et des odeurs du bétail, etc. Au final, cela rajoute des obstacles pour des activités qui sont déjà fortement fragilisées.
Le jour où il y aura plus de deux mille habitants au Sappey, toutes les activités de production locale seront paralysées car les gens ne supportent plus d’être ralentis par des activités agricoles. Les sylviculteurs sont d’ailleurs inquiets de l’entrée dans la Métro, et l’ont exprimé dans un article paru dans Sillon 38, le journal du monde rural : « En raison de l’attrait de cette partie du territoire, ce conseil de communautés pourra-t-il éviter l’écueil d’une évolution vers le tout loisir et le tout résidentiel ? Quelles que soient les convictions pour la défense et le développement des activités liées au territoire, que pèseront les préoccupations de 2900 habitants contre celles de 400 000 ? (…) Les objectifs de développement d’un pôle urbain en quête d’une perpétuelle expansion, qui inclura une partie de nos communes de montagne, ne risquent-ils pas un jour, de nous faire entrer dans le parc au niveau du col de Porte ? »

Pensez-vous que les derniers espaces agricoles du village vont bientôt être urbanisés ?

Aujourd’hui, la pression foncière est telle que la terre est considérée uniquement comme un objet de spéculation. Même les gens du milieu rural ont perdu cette notion de terre nourricière. Si au Sappey tout le monde avait été dans le même état d’esprit, consumériste, libéral, il n’y aurait plus d’espaces agricoles.
Mais il y a tout de même de bonnes raisons d’espérer, car parmi les nouveaux habitants, beaucoup sont sensibles à la préservation des ressources. Et puis aussi grâce au nouveau SCOT qui préserve les espaces agricoles et limite les extensions urbaines. Il faut le dire parce que ce n’était pas le cas des schémas précédents.

Ce qui est bizarre, c’est que l’établissement public du SCOT est présidé par Marc Baietto, qui est aussi le président de la Métro qui s’active pour faire rentrer les communes rurales dans la métropole. Lui comme les autres élus sont beaucoup plus obsédés par l’image et l’attractivité de l’agglomération que par la préservation des terres agricoles.

Oui mais ceux qui ont rédigé le SCOT, ce sont des techniciens territoriaux qui sont très au fait de la situation. Les politiques ont entériné le texte, même si leurs actes peuvent être complètement en décalage par rapport à cet objectif de limiter l’urbanisation. On ne sait pas ce qu’il en sera dans dix ou vingt ans mais pour l’instant, dans un moyen terme, on est relativement protégés par ce texte.
Il faut que les politiques prennent conscience de l’importance des activités liées à nos territoires de montagne en termes économiques. Nous tenons à souligner que l’agriculture française d’un point de vue de la balance commerciale reste déficitaire. De toute façon, la prise de conscience finira par se faire, qu’on le veuille ou non, au cours de la période de mutation que nous traversons. Le problème de fond, c’est tout bêtement l’autonomie alimentaire, la préservation de la ressource locale. Comment fait-on si ces métropoles ne reçoivent plus de nourriture ? Pendant la dernière guerre, Grenoble, c’était 60 000 habitants et des champs tout autour, mais les gens avaient de la difficulté à se nourrir. Qu’en sera-t-il pour ces métropoles où les habitants sont déconnectés de la réalité de la production de denrées alimentaires ? C’est de l’inconscience ! Il y a trois ou quatre ans, un épisode neigeux avait paralysé les transports et à la fin les supermarchés commençaient à être inquiets pour leur approvisionnement. Le jour où les supermarchés ont leurs rayonnages vides, qu’est-ce qu’on fait ?