Accueil > Avril / Mai 2015 / N°30

Le blog augmenté sur papier d’Éric Piolle

Radicalement pragmatique

Récit imaginaire à partir de faits exacts.

14/02/2015 : Je ne sais pas si c’est une déclaration d’amour mais quand même ça m’émoustille. Pour le compte-rendu de ma rencontre avec les lecteurs du Daubé, un des journalistes du quotidien, Philippe Gonnet, envoie du lourd : « Éric Piolle a le pouvoir ; il veut montrer - et démontrer... - qu’il a aussi le temps. La droite pourrait repasser en 2017, il n’aura ‘‘que’’ 49 ans en 2022 ». Vous avez compris ? En 2022, il n’y aura pas de municipales mais des... présidentielles. #DuflotPousseToiDeLa

27/02/2015 : Les réunions publiques, c’est pas toujours facile. Quand tout le monde est docile, comme dans un meeting des départementales, encore ça va. Mais quand on se coltine un public de chieurs... Ce soir je suis à l’assemblée générale de l’Union de Quartier Berriat-Saint-Bruno pour discuter du projet immobilier sur le site de « Raymond Bouton ». On est venu pour « débattre », c’est-à-dire écouter les gens et puis dire que de toute façon cela se fera comme ça. Mais ce soir, c’est un peu chaud : sur deux points [voir encart], notre équipe se fait sévèrement tacler et notre complicité avec les bétonneurs Raymond et Eiffage apparaît au grand jour. #OnLaPasDitOnLeFait

03/03/2015 : Interviewé sur France Info, je dévoile ma nouvelle ligne politique : la « radicalité pragmatique ». J’avoue, ce n’est pas le premier concept creux que je dégaine : en septembre dernier, j’avais écrit une tribune dans Le Trombinoscope pour expliquer que le but de mon action était « l’émergence » : « L’émergence, c’est l’activation de tous les talents qui mettent la ville en mouvement ». Devant le bide, j’ai depuis arrêté d’utiliser ce terme. Mais « radicalité pragmatique », vous ne trouvez pas que ça sonne bien, non ? Enzo Lesourt, mon « conseiller spécial » ou « deuxième cerveau » comme je l’avais appelé au grand meeting des municipales, se charge d’expliciter ce concept pour Reporterre (28/03/2015) : « On ne peut pas réussir un changement tout seul. La vraie exigence, quand on est radical, c’est d’associer tout le monde. La radicalité pragmatique, c’est donc d’être prêt à travailler avec les grands industriels si ça nous permet d’atteindre nos objectifs » (1). Vous avez compris ? La « radicalité pragmatique », ça permet de défendre tous les renoncements et compromissions : si demain j’installe cent-cinquante caméras de surveillance et lance des projets de tours de deux cent mètres, c’est que je serai « radicalement pragmatique ». #ViveLaLangueDeBois

07/03/2015 : Matthieu Chamussy, l’ambianceur UMP du conseil municipal, râle encore dans Le Daubé du jour. Après avoir épluché les comptes municipaux, il s’interroge sur les « 150 000 euros de frais dans les restaurants et les traiteurs, soit plus de 400 euros par jour, samedi, dimanche et jours fériés compris ». Le monsieur aimerait savoir à quoi correspondent les sommes suivantes : « Cocktail dînatoire du 15 avril : 2 528 euros » « repas du 23 septembre 2014 : 799 euros » « repas du 30 septembre 2014 : 1416 euros ». On peut même plus ripailler tranquille, voilà qu’il faut tout justifier. Mais quel chieur, lui. Il va bientôt devenir aussi tatillon que Raymond Avrillier. #LaissezNousManger

18/03/2015 : Et encore un média national ! Aujourd’hui on parle de moi dans Les Echos. Jean Peyrelevade fait un papier pour demander aux Verts et à moi-même de se démarquer des « mouvements passéistes » grenoblois, « luddites, libertaires ». Ce « banquier-conseil » trouve en effet intolérable qu’on puisse critiquer le règne de la technologie et les grandes institutions grenobloises comme Clinatec - la « clinique du cerveau » ou l’on travaille aux interfaces « hommes-machines » - et regrette mon « silence assourdissant » sur ce sujet. Quand même ! S’il suivait un peu plus la vie locale, il aurait pu voir qu’on est radicalement raisonnable, nous, et qu’on continue à servir la soupe aux promoteurs d’un monde entièrement technifié. Dans une interview à Acteurs de l’économie (12/03/2015), je me démarque des socialistes sur les mots (j’assure par exemple que « notre logique n’est pas la fuite en avant » et que la course au PIB ne mène nulle part), mais ne remets rien en cause sur le fond. J’explique par exemple que j’ai facilité l’arrivée de l’usine de compteurs intelligents (voir Le Postillon n°29), que je suis « parvenu à un consensus » avec les équipes du CEA (Commissariat à l’énergie atomique) et qu’on ne remet pas en cause « le fonds des projets », on « déporte » juste à la Métro quelques subventions trop juteuses pour des groupes comme STMicro qui reversent des centaines de milliers d’euros de dividendes. D’ailleurs à ce propos, il faut être clair : on soutient bien le projet Nano 2017, porté par STMicro.

21/03/2014 : Pour fêter le printemps, quoi de mieux qu’un petit pic de pollution ? A ce propos, j’avais promis pendant la campagne « de mettre en place une gratuité complète des transports collectifs de l’agglomération dès les seuils ‘‘d’information’’, c’est-à-dire en prévention des pics de pollution ». Aujourd’hui, c’est vrai qu’on est en seuil « alerte », et que « les taux de particules relevés par Air Rhône-Alpes ont atteint le seuil record des 80 µg/m³ ». Et donc ? Les transports publics sont « complètement gratuits » ? Pas exactement : la Tag (Transports de l’Agglomération grenoblois) a juste annoncé qu’avec un ticket on pouvait voyager toute la journée sur le réseau. Voila une nouvelle occasion de lancer ce qui va être notre principale ligne de défense pendant les prochaines années : « nous on aimerait bien, mais avec le passage à la Métropole, c’est compliqué ». Cet argument est génial, d’abord parce qu’il marche sur énormément de sujets, mais surtout parce qu’on n’a jamais contesté ce « passage à la Métropole », et toujours accepté les règles du jeu de ce grand bordel technocratique. #OnLaDitOnLeFaitPas

(1) Note de la rédaction : on peut d’ailleurs noter que ce passage de l’article de Reporterre a changé après sa parution. Sur la première version, il était écrit : « La priorité, c’est le résultat. Il est regrettable que ça passe dans le privé, mais on assume cette contradiction. Il faut sortir des débats clivants et des discours de nature idéologique. » Si ce passage a ensuite été modifié, sûrement sur demande de la mairie, c’est parce qu’il annonçait un scoop : l’éclairage public va bien tomber entre les mains de Vinci, alors qu’officiellement la majorité devrait être en train « d’étudier le scénario régie municipale » (voir Le Postillon n°28). On attend avec impatience l’annonce officielle, et les justifications qui ne seront certainement pas « de nature idéologique ».

Mensonges et grattements de gorge sur le projet Raymond

À la place de son ancienne usine du quartier Berriat, l’entreprise A. Raymond a décidé de faire construire par la petite entreprise du CAC 40 Eiffage six barres de sept étages. Ces aménageurs prévoient d’y entasser entre six et sept cents personnes et trois cents bagnoles. Soit une densité de deux cent trente logements par hectare, c’est-à-dire 30 % de plus que ce qui était prévu pour le projet de l’Esplanade, annulé par la nouvelle équipe municipale. Ces clapiers, qui boucheront un peu la vue du si cosy parc Marliave, devraient coûter pas moins de 3 700 € le mètre carré. Le 27 février, l’union de quartier Berriat-Saint-Bruno avait invité certains élus pour débattre du projet. À un moment, un type relève un « détail » : sur trois bords de la parcelle (d’environ 200 m de long sur 65 m de large) que Raymond vend à Eiffage pour bétonner, la ville a acquis une bande de trois mètres de large pour « élargir la rue » (donc les rues Drac, Debelle et Dormoy). Évidemment, c’est une fumisterie : plus large le long de la parcelle, la rue redevient étroite partout ailleurs, donc aucun salut côté circulation. Pourquoi cette acquisition ? Hmmm. Grattements de gorge pour les élus. Le type demande : « je voudrais simplement savoir quand a eu lieu cette cession, qui en a décidé, et pourquoi ». Quand ? En décembre... 2014 (donc c’est bien la nouvelle équipe municipale qui l’a décidé). Quant à la question « pourquoi ? » Euh... Quelques échanges entre élus et finalement, tombe un péremptoire « il n’y a pas de réponse à cette question ! »
En fait, cette cession d’une bande pour la convertir en « voirie » a un intérêt (pas celui des habitants) : les trois mètres viennent augmenter d’autant la largeur de la rue, donc la hauteur maximale que le PLU (Plan Local d’Urbanisme) permet de construire sur la parcelle. En clair : c’est uniquement fait pour bétonner plus haut. On comprend que ce soit difficile à avouer.
Suivent quelques échanges au sujet de l’intérêt de bâtir une école dans ce quartier où il manquera plusieurs classes dès la rentrée prochaine. « Impossible » explique Vincent Fristot, l’adjoint à l’immobilier, après avoir versé une larme de crocodile : « l’idée d’une école me semblait séduisante. Mais après avoir étudié le dossier, j’en ai conclu qu’elle devait être abandonnée ». La raison ? Le sol de l’emprise Raymond est pourri par toute la merde rejetée pendant des décennies par l’usine de boutons–pressions. Des « textes » interdiraient la construction d’une école sur un tel terrain. Vraiment ? Ce n’est pas la version du président de l’Union de quartier Bruno De Lescure, qui a conclu le « débat » : en fait, dans le projet Eiffage, l’intégralité de la parcelle sera équipée d’un parking souterrain. Donc : il n’y aura plus de sol. De plus, dans l’acte de cession du terrain, Raymond s’engage à intégralement dépolluer et évacuer la terre. Enfin, sur le site en ligne qui recense les sites pollués, aucune interdiction n’apparaît pour cette parcelle. Bref, rien n’empêche d’envisager une école, une crèche ou un collège. Mais c’est sans doute moins avantageux pour la petite entreprise du Cac 40 Eiffage, avec qui la bande à Piolle a l’air d’entretenir de bonnes relations. Encore un bel exemple de « radicalité pragmatique » !