Accueil > Été 2020 / N°56

Le journal d’une confinée

Une députée au front

Grenoble a la chance d’abriter quelques spécimens reconnus de macronnards et macronnasses, énergumènes politiques du début du XXIème siècle sortis de nulle part, mais soudés derrière leur idole. Modernes, dynamiques, aux CV impeccables, ils manient à merveille la novlangue qui ne dit rien. Coco le virus ayant soudainement bousculé l’agenda politique, comment l’égérie locale du club, la députée Chalas, vit-elle la période ? Le Postillon a (presque) pu avoir accès à son journal de confinement.

15 mars 2020
En marche vers les abîmes ! Parti de 18 % dans les sondages en septembre, je finis à 13,75 % au premier tour des élections municipales de Grenoble, soit presque la moitié du score réalisé par la liste en Marche aux européennes neuf mois auparavant (23,96%). Ça m’empêche pas de proclamer vouloir « rassembler tous les progressistes » pour le second tour, on sait jamais, sur un malentendu. Le lendemain, veille du confinement, j’appelle solennellement tous mes concitoyens à « suivre attentivement les consignes données par les autorités  ». Ah, si ça pouvait aussi marcher pour les élections !

18 mars 2020
Heureusement que les géants étasuniens propriétaires des réseaux sociaux me permettent de continuer à exister malgré le confinement. Aujourd’hui j’ordonne sur Twitter : « RESTEZ CHEZ VOUS ! Chez nous, c’est rangement, travail et récupération ! » Le 25 mars, je fais un tuto pour nettoyer les sols. Le 26, j’apprends à mes followers à nettoyer les poignées de porte et les interrupteurs, « pas qu’au vinaigre blanc hein, avec de la javel diluée ». J’essaie humblement d’aider tous les malheureux du moment, soudainement privés des services de leurs femmes de ménages, perdus sans le mode d’emploi de la serpillière. Je tente même un : « On lâche rien !  » Tousse ensemble, tousse ensemble.

23 mars 2020
Si j’enchaîne les discours pleins de générosité et de bienveillance avec de grands sourires dents blanches, c’est aussi pour cacher ce qui se décide à Paris. Aujourd’hui c’est le vote de l’état d’urgence sanitaire. Peu importe ces dispositions liberticides ou anti-sociales, ce qui compte c’est l’union sacrée. Alors je tweete pour dénigrer les déserteurs qui ont osé s’opposer à ce texte majeur : « Qui a voté contre....?! @PCF et @FranceInsoumise. Merci la solidarité. #Grenoble Ville rouge/verte. Désespérant. » Le rapport avec Grenoble ? Il y en a pas mais je suis toujours en campagne, hein !

28 mars 2020
Cette fois je parle de moi à la troisième personne. « Et soudain elle s’est remise au sport » avec une vidéo ou je cours en montant les escaliers. Puis un autre tweet : « J’en peux plus... #Courbatures ». Et encore un autre : «  Aïe ». Il est toujours pas passé, ce premier tour.

2 avril 2020
Faut pas croire que je pense qu’à ma gueule, hein, je lutte aussi à bras le corps contre le virus. Grace à mon colistier Denis Roux, qui est aussi maire de Noyarey et ancien biologiste de profession, j’ai par exemple fabriqué des dizaines de litres de gel hydroalcoolique. Plus tard, je distribuerai de la bouffe ou des masques. Je proclame fièrement « dans l’action cette fois, j’ai foncé  », même si objectivement j’en suis réduite à faire le service après-vente d’une start-up nation en déshérence. Aujourd’hui j’inaugure le centre Covid de Sassenage, pour accueillir et effectuer le tri des malades. J’ai beau y être « coordinatrice administrative », je pose sur les photos avec une visière, une charlotte, et un masque FFP2, normalement réservé aux soignants en ces temps de pénurie.

3 avril 2020
Par moment je me mets en scène aussi derrière mon ordinateur. Pas quand je mate une série, hein, mais quand je prétends bosser en visioconférence avec les pontes du gouvernement. L’autre jour c’était Christophe Castaner, aujourd’hui c’est le premier ministre Édouard Philippe. Sa barbe dépigmentée apparaît même sur ma tablette. Ça change des autres photos que je poste régulièrement – le chat qui ronronne, les tiramisus à la framboise, les œufs à la coque et les jus d’orange.

22 avril 2020
Je continue ma tournée de distribution de matériel au bon peuple. Aujourd’hui, grâce au Medef de l’Isère, j’amène des tablettes dans les Ehpad, comme ça au moins les vieux pourront suivre mon compte Twitter. Sur les photos, j’ai toujours des beaux masques FFP2 et certains m’interpellent. Où les ai-je eus, alors que les pharmacies les distribuent au compte goutte ? Non, non, ce n’est pas grâce à Tewfik Derbal, mon assistant parlementaire qui a essayé de monnayer son entregent avec Olivier Véran (pour lequel il bossait avant) pour faire livrer des masques à la France, comme l’a révélé Médiapart début mai. Il a beau ne même pas avoir réussi dans ce business somme toute banal, j’ai quand même été obligée de le licencier devant le scandale politique.

25 avril 2020
« Les personnels devront affronter de nouvelles conditions de travail qui leur imposeront peut être de travailler plus longtemps » : aujourd’hui je publie un long texte avec mes réflexions du moment. Et j’ai beau essayer de ne pas faire de gaffe, les réflexes pro-patronat reviennent au galop. L’état d’urgence voté les yeux fermés permettait déjà des miracles : 60 heures par semaine, facilités accrues pour recourir au CDD, imposer les RTT, mettre en vacances forcées les salariés. Dans la loi dont j’étais la rapporteuse, on a dissout les CHSCT (comité d’hygiène et de sécurité des conditions de travail) et à la tribune de l’assemblée j’avais assuré : « Très concrètement, nous poursuivons plusieurs objectifs : améliorer la qualité des services publics ; donner les moyens aux agents publics de mieux réaliser leurs missions ; maîtriser, oui, maîtriser la dépense des services publics en optimisant les moyens. Pour nous comme pour bon nombre de Français soucieux du bon usage de la dépense publique, l’efficience n’est pas un gros mot. » Quelques mois plus tard, c’est vrai que cette fameuse « maîtrise  » des dépenses de service public a été pas mal critiquée. Aujourd’hui on lâche un peu de lest, pas une hausse de salaire hein, juste une prime de 1 500 euros pour certains soignants. Parce qu’il ne faut surtout pas changer de voie, sinon c’est l’anarchie. Dans ce même texte, je m’en prends à tous ceux qui veulent la décroissance ou la fin du capitalisme : « Est-ce pour autant qu’il faut renverser la table ? Changer le monde du tout au tout ? Je ne le pense pas. Instruits par l’histoire, les peuples français et européens savent que les révolutions mènent à tout sauf à la démocratie. » D’ailleurs, avant 1789, la monarchie était totalement démocratique.

28 avril 2020
Être une députée godillot, c’est tout un savoir-faire. Aujourd’hui je tape très fort en promettant de voter pour un texte avant même de l’avoir lu : « Le premier ministre a, a priori, toute ma confiance. Pas seulement parce que je suis de la Majorité, mais car précisément ce temps de crise impose la confiance absolue, oui. (…) C’est pourquoi je soutiendrai le dispositif général du plan de déconfinement tel qu’il sera présenté en hémicycle je n’en connais pas les détails, mais oui ceux qui sont au front politiquement auront ma voix.  » Dans un régime politique d’exception, le rôle des représentants de la nation est avant tout de fermer leur gueule. Dans mon communiqué j’assure aussi que « peu nombreux sont ceux qui aujourd’hui souhaiteraient être à la place des hommes et femmes politiques qui nous gouvernent  ». Quoique moi si une place se libère, j’avoue…. Surtout que je suis persuadée d’être du bon côté de l’histoire : « Se souvenir aussi qu’à chaque crise, les dirigeants ont été contestés. Puis, le temps qui passe en a fait des héros.  » À moi la gloire !