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Vive la sieste ?

Au Postillon, on a un nouveau vendeur à la criée. En ce moment, il a du temps pour bénévoler : l’année dernière il s’est fait virer de l’administration publique pour avoir fait la sieste. Depuis ce repos de début d’après-midi le travaille : il a mené l’enquête sur la sieste au travail.

Il y a un peu plus d’un an, j’ai enfin trouvé un emploi dans l’administration publique, à la commune de Saint-Martin-le-Vinoux. Un premier travail dans le domaine pour lequel j’avais fait de trop nombreuses années d’études. Après quelques jours, le job avait l’air simple, les collègues assez sympas, et, bienheureux, j’avais remarqué la présence d’un FatBoy – sorte de truc design entre l’oreiller et le matelas deux personnes – dans le bureau d’une collègue. J’étais donc plutôt confiant à l’idée que l’on pouvait faire la sieste au travail. Logiquement, j’ai demandé à ma supérieure si je pouvais m’installer sur mon temps de midi quelque part où je ne gênerais personne, une salle de réunion par exemple. La demande, peu onéreuse, me semblait honnête. C’était un vendredi matin, ma supérieure m’avait d’abord répondu qu’elle était surprise de la demande mais qu’elle comprenait, et qu’elle allait y réfléchir. Naturellement, je n’ai pas attendu sa réponse, et le midi même je me suis assoupi bras croisés sur mon bureau. Le lundi d’après, alors que j’étais en fin de période d’essai, on m’a remercié, ma cheffe me reprochant cette sieste non autorisée.

En en parlant autour de moi, je me suis rendu compte à quel point rien ne semble jamais pensé pour la sieste, même dans les emplois qui s’accordent facilement avec un petit repos post-déjeuner. J’ai récolté quantité d’histoires à dormir debout. Elsa, experte en la matière, a développé durant ses études la capacité peu commune de siester assise en gardant la tête droite… ou presque. Professeure de français en remplacement depuis plusieurs années, elle a remarqué que « sur les douze établissements de la cuvette fréquentés, seul le collège Henri Wallon à Saint-Martin-d’Hères possède une salle de repos  ». Alors elle tente de faire preuve de persévérance, souvent sans succès : « Au collège Aristide Bergès, pas même un canapé en salle des profs, j’ai parcouru tout l’établissement pour siester, manque de chance, chaque porte de classe était équipée d’une large fenêtre sur toute leur hauteur, aucun angle mort, impossible de s’isoler. »

Corenting est lui salarié à AG2R - La Mondiale à Grenoble : « Ici, une fois par semaine, on peut assister à des séances de relaxation. Il n’y a même pas besoin de badger, c’est compris dans le temps de travail. Par contre, pour la sieste, rien.  » Lui est vraiment très déterminé pour quelques minutes de repos : « Après manger, on voit les collègues rejoindre leur voiture pour dormir. Moi je viens à vélo, la sieste je la fais allongé dans les toilettes pour handicapé. »

Même les ingénieurs ne semblent pas plus gâtés – pour une fois. Ainsi, Michelle, ingénieure à STMicroelectronics, témoigne : « À ma connaissance rien n’est prévu pour, plusieurs collègues font la sieste affalés sur leurs bureaux. Le chef se distingue, basculé sur sa chaise, les pieds sur le bureau. » Roberto, ingénieur brevet : «  Il y a bien un canapé où je bosse mais pour autant personne ne s’autorise à y faire la sieste.  » Faute de mieux, il a apporté un oreiller et fait la sieste planqué sous son bureau.

Lorsque je me suis fais mettre à la porte, je n’avais alors ni les mots ni la répartie pour encenser l’intérêt de la chose à ma supérieure. Ça me semblait tellement naturel que je ne mesurais pas du tout à quel point la sieste était impensée, voire taboue. Depuis, j’ai vu que quantité de théories du management assènent que la sieste permet même de « garder son personnel » [1] et est bénéfique pour la rentabilité au travail. La sieste, un atout pour le capitalisme ? Finalement, je ne sais pas si le droit à la sieste est un combat pertinent à mener...

Notes

[1Sara C. Mednick et Ph. D., Faites la sieste, Marabout, 2009