Accueil > Avril / Mai 2015 / N°30

24 h cours Berriat

A chaque numéro, Le Postillon envoie une équipe passer 24h dans un lieu. Cette fois-ci, c’est le cours Berriat, l’artère qui relie le centre-ville de Grenoble à Fontaine en traversant le quartier Saint-Bruno, qui a été arpenté une journée et une nuit.

En marchant bien, on met vingt minutes à remonter le cours, et on y croise près de 300 commerces. On dénombre : une trentaine de boulangeries, pâtisseries, kebabs et sandwicheries, vingt salons de coiffure, dix-huit bars et salons de thé, seize banques, assurances et mutuelles. Autant de restaurants. Une seule agence d’intérim, trois vendeurs de cigarettes électroniques. Douze agences immobilières, mais une seule du côté Saint-Bruno pour onze du côté où les voitures circulent à double-sens. Il y a presque un cinéma porno (l’entrée est rue Thiers, à quelques mètres du cours), mais le caissier ne veut pas nous parler car le patron n’est pas là. Il n’y a pas d’autre cinéma sur le cours, mais tout de même deux théâtres, deux salles de concerts [1], un centre d’art contemporain et deux boîtes de nuit, tous ces lieux festifs étant concentrés à l’extrémité Ouest du cours (pour le bonheur nocturne des riverains). Le cours Berriat du matin se réveille tôt, en particulier chez le primeur et chez les équipes qui nettoient les halls d’immeubles ; le cours Berriat du soir se couche tard, voire même plus tard que l’heure de réveil du cours Berriat du matin. Moi je suis allé traîné dans les bars et flâner dans la rue.

Je me souviens qu’on m’a dit que le cours Berriat s’appelait ainsi en hommage à Beria, le chef de la police politique de Staline. Je me rappelle que le cycle des Arts a fermé. Je me souviens que la Gestapo avait ses locaux 20 cours Berriat. Je me souviens que le cours Berriat s’appelait Chemin planté du Drac. Je me souviens qu’avant l’Ampérage, il y avait l’ADAEP. Je me souviens de l’ancien square des Fusillés, avec le parc pour enfants entouré d’une clôture, et avec une pissotière derrière. Je me souviens que tout le monde dit du mal du nouvel aménagement. Je me souviens de l’expulsion des 400 Couverts. Je me souviens que le falafel s’est agrandi. Je me souviens que le 66 a été vide pendant très longtemps, puis squatté, puis que le Parti de gauche en a fait ses locaux (maintenant c’est un plombier). Je me souviens que les chiottes sous la passerelle étaient couverts de graffitis pour faire des rencontres sexuelles. Je me souviens de la Grande Braderie du Cours Berriat. Je me souviens de cet énorme tag « MALAIZIUM ». Je me souviens de la dédicace « à Brahim du P’tit Cass’ pour les sandwichs ». Je me souviens qu’un graphiste du cours Berriat s’appelle Pierre Perec. Je me souviens qu’au début, le cours Berriat est courbe et non pas droit. Je me souviens de la première fois où je suis rentré dans K’Store. Je me souviens que les cyclistes tombent après s’être pris la roue avant dans les rails du tram. Je me souviens de l’expulsion de l’hôtel social au bout du cours Berriat. Je me souviens que personne ne s’assoit jamais sur les chaises à côté de la fontaine du début du cours Berriat. Je me souviens que la caisse d’épargne s’est fait taguer sa vitrine quand ils ont ouvert leur agence de « gestion de fortune » en pleine crise des subprimes. Je me souviens de l’agence d’intérim à l’angle avec Gabriel Péri. Je me souviens qu’avant, un bar s’appelait le V46. Je me souviens qu’il y avait toujours un tas d’encombrants dans lequel aller chiner en face d’A. Raymond. Je me souviens qu’on peut traverser la galerie de K’Store pour rejoindre Alsace Lorraine. Je me souviens que le monument aux morts a été déplacé après les travaux du square. Je me souviens qu’il y a un petit parc qui sent le caca de chiens, caché dans une petite rue à côté du cours Berriat. Je me souviens qu’il y avait tout le temps deux clochards sous la passerelle, qui dormaient plus loin à l’Estacade. Je me souviens que le Théâtre de Création change tout le temps de nom. Je me souviens que les cyclistes grillent le feu rouge de la rue Thiers. Je me souviens de tout ça sur 15 ans, et pourtant je ne me souviens pas de la totalité de ces 24 heures : il y a trop de bistrots cours Berriat.

86 cours Berriat, bar du Modern’

Denis : « C’est le dernier juke-box de Grenoble. »

Johnny Halliday, Que deviennent les valses de Vienne, Il me dit que je suis belle, Formidable, La Bamba, John Lennon, Francis Cabrel...
« Le juke-box du Modern’, c’est le dernier juke-box de Grenoble. Enfin, il en reste d’autres mais ils sont en francs. Il y en a un au Kingston, rue de la Poste. Je connais bien, je suis d’une famille de barmans. Ici c’est bien, les habitués ramènent leurs cds, ça coûte 1€ les trois chansons, 2€ les sept, et la patronne touche 30% sur les recettes. C’est mieux que de payer la SACEM. Attends, laisse-moi te montrer : c’est simple de s’en servir, du jukebox, il suffit de taper les quatre chiffres de la chanson. »

153 cours Berriat, café des Touristes

Jean-Claude et Lina : « Le tramway, c’est catastrophe. »

« On habite au-dessus depuis quarante ans, Lina tient le bar depuis 1987. Le bar existe sous ce nom depuis 1934.Le cours Berriat, il meurt petit à petit. Cette partie du cours, en tout cas. Des charcuteries, avant il y en avait trois ou quatre, et maintenant il n’y en a plus, à part la boucherie maghrébine et la chevaline. Alors le jambon, je le prends où ? Les boulangeries, c’est pareil. Le primeur aussi.
Le tramway, c’est catastrophe. Ça a été truqué, le tram. La majorité était contre. À l’installation du tram il y a eu quelques subventions aux commerçants, pour compenser les travaux, mais nous on a repris juste après : c’est l’ancien propriétaire qui a eu les sous. Par contre, ils se sont trompés sur la taille du trottoir. Ici il n’est pas aussi large que prévu, alors on ne peut pas mettre de terrasse. Les travaux coûteraient 25 000 € il paraît. À un moment, on a mis une terrasse quand même. On a eu un avertissement. Je m’en fous, j’ai laissé la terrasse. Là, j’ai eu une amende de 900 francs par jour. Tout ça pour servir deux cafés en plus par jour... Alors on a enlevé la terrasse.
On a la même clientèle depuis le début. Que des habitués, mais pas assez de clients. Lina, dans deux ans, elle va arrêter. Les habitués vieillissent, ils ne boivent plus des tournées de pastis, mais des petits cafés. Il y en a qui réduisent leur consommation, c’est bien normal. Et puis il y en a qui meurent. Alors on n’a pas assez de clients.
Le cours Berriat, avant, c’était le centre-ville. Il y avait des cinémas : le Stendhal en face de la City, avec quatre salles. À l’angle avec Jean-Jaurès il y avait l’Ariel, 500 ou 1000 places, et puis l’Eden, qui avait cinq salles. Maintenant, Grenoble, quel que soit le maire, c’est une ville dortoir. Les nouveaux immeubles ne ramènent personne. Avant, juste là autour on était quatre bars : le Boomerang (à l’angle avec la rue Diderot), la Station (avec la terrasse ombragée) le Café du Théâtre et nous. Maintenant il n’y a plus que nous. On faisait restaurant le midi, et puis on ouvrait jusqu’à 2, 3 heures du matin. Maintenant : 20h30. Les salles de spectacle nous embêtent, il faut pas mettre les salles en centre-ville. À douze ans, les gamins y vont et ils sont bourrés. À douze ans ! »

Les sages poèmes de la rue

Relevé d’inscriptions murales, d’autocollants et d’affiches sur le cours Berriat.
Antifa Grenoble fermé du 16/03 au 24/03 merci ouvert 7j/7. L’Atlantide, mythe ou réalité ? Conférence par P. Deschamps jeudi 16 avril 20h. L’Isère, j’y tiens ! Choisir et décider ensemble ! Le retour de la cantine BNT espace public sous vidéo-protection no tav entrée libre sandwich de la semaine : Alsacien (saucisses, oignons, cheddar, salade). Camp antinucléaire à Bure voyage à Marseille budget peinture anti teu chmi trop fort. Capitaine de récré Djamila joyeuses Pâques radio Nostalgie. Haine honte osons dire non cigarette électronique ici hello my name is [illisible] fortes, fières, féministes et en colère siamo tutti antifascisti. Fermeture du 16/03 jusqu’au 30/03 sandwich à partir de 2€50 ouverture prochainement de. Conférence : petits secrets de la cuisine des Alpes. ADP Ero Vu ! la Ville de Grenoble aime le street art don de moëlle osseuse, engagez-vous pour la vie NASH. Magasin sous surveillance vidéo bienvenue Punx ! ici à vécu Olivier Messiaen. On vie ds le Chaos. Tu baises ? Ça fait un bail, fermé pendant une heure, nous sommes à l’entrepôt, ne fermez pas la porte, le BLOUNT s’en chargera. Smile ! Artizans 2000-2008 Mars c’est yeah ! Terres Celtiques, venez découvrir tout un univers. Promotion autocuiseurs stop à la lesbophobie d’Etat ! Colin blanc en tranches 15,90€ le Postillon, disponible chez tous les bons buralistes touche pas à mes caméras ! Piolle ça suffit ! Au mieux le pire Doodoo ensemble, célébrons la femme africaine. Al Qaida vit ici hello my name is [illisible]. Je signe pour la 6e république nous détruirons toutes les prisons prêt à porter pour le femme musulmane. Apok Apok Apok Apok chers clients, le magasin n’accepte pas les chèques, merci chers clients, le magasin est sous vidéo-surveillance. Fête de la coquille St Jacques, samedi 14 et dimanche 15 mars 2015, Villard-de-Lans for every solution there is a problem interdit d’afficher. Chorizo maison saucisse porc saucisson à cuire caillette maison chevreau fermier nike le FN stop compteur Linky un cycle de conférences improvisées. [illisible] : c’est écrit quoi ? Araymondice Tisha Maniac L’Echappée rebelle ce mur m’a toujours fait chier.

Notes

[1On compte la Belle Electrique, même si officiellement...