Accueil > Été 2020 / N°56

Feuilleton Crise-Antennes épisode 1

Antenne, je ne boirai plus de ton réseau

Quand le sage montre la lune, l’imbécile regarde le doigt. Si la plupart des commentateurs ont déploré l’incendie de trois antennes relais autour de Grenoble dans la nuit du 17 au 18 mai dernier, presque personne ne s’est interrogé sur la dépendance de nos sociétés connectées à ces objets. Près de 100 000 personnes privées de réseau, des paiements par carte bancaire impossibles, une grande partie de fréquences radios, quelques chaînes de télévision inaccessibles... et ce pendant près d’une semaine. Pour ce premier épisode du feuilleton Crise‑Antennes [1], Le Postillon est allé faire le tour des antennes incendiées, à la rencontre des vigiles aujourd’hui chargés de veiller sur elles. Les bribes de reportages rapportées sont entrecoupés de message récoltés sur le réseau social Twitter dans les jours suivants les incendies [2].

  • @Ad38The
    Donc la y’a un fdp [NDR : fils de pute] il a brûlé les antennes téléphoniques Bouygues de Grenoble j’ai plus de réseau jusqu’au 21 mai
  • @Jerome_Pgl
    Allez niquez vos meres les complotistes ultra gauche et autres marche pieds nus

Le tour des antennes-relais de la cuvette pourrait faire un très bon parcours cycliste. Il y en a un peu partout, surtout sur les hauteurs, dans des endroits plutôt charmants. On en croise de toutes sortes, des petites, des grandes, des imposantes, des discrètes, des foisonnantes de fil, des affûtées, des enfermées, des parabolées, des toutes câblées, des fières, des timides, des barbelifiées, des accessibles, des perdues, des pas loin de la route.

Nous, on a juste fait un demi-tour de cuvette, pour aller voir les trois antennes cramées et une poignée d’autres sur la route. Le Mûrier, les Quatre-Seigneurs, le Fort de Montavie, Jarrie, le Pont-de-Claix, Claix, le col de Comboire, la Tour-sans-Venin. C’était plus de deux semaines après les incendies et on en voyait encore les traces. Près du fort des Quatre-Seigneurs, sur la commune d’Herbeys, les antennes visées n’étaient pas très grosses. Un grillage sectionné, une armoire électrique toute cramée, des câbles encore calcinés. Impossible de savoir si quelque chose fonctionne encore ou pas : ici on n’a rencontré personne.

  • @Loristeregg
    Oh les shlags qui ont fait cramer des tours 4G dans Grenoble la, jprends vos daronnes jles roules et je les fumes Cordialement
  • @fannnybrcn
    m d r continuez à brûler les relais réseau à Grenoble, allez-y c’est bien, je devais aller à saint Martin d’Uriage et je me suis perdue 6 fois sans GPS, continuez

On a trouvé des personnes à qui parler au pied de l’antenne de Jarrie, qu’on est parvenus à trouver sans GPS (faut dire qu’elle est bien visible). Alors qu’un technicien s’affairait dans le local technique, un vigile montait tranquillement la garde dans sa voiture. Depuis les incendies, cette antenne et celle de la Tour-sans-Venin sont surveillées 24 heures sur 24 par des vigiles. Si une semaine après les dégradations, tout le monde avait retrouvé du réseau et pouvait écouter ses radios favorites, la situation n’était pas pour autant revenue à la normale. « Il y a encore beaucoup de travaux, au moins pour deux semaines, nous dit le vigile. Tout a cramé à l’intérieur de la pièce, c’est très compliqué et long à refaire. » De l’extérieur, on ne voit évidemment rien de la complexité du chantier, mais on veut bien le croire.

  • @Juouhs
    À Grenoble y’a des fils de pute qui ont brûlé les antennes de bouygue parskil sont pas d’accord avec l’arrivé de la 5g j’ai la haine personne reçoi mes msg depuis 3j
  • @_dpdly_
    La bonne grosse lose de la journée, c’est quand même ces génies anti-5G qui ont lancé des cocktails molotov sur une antenne relais vers Grenoble. J’ai plus de réseau depuis ce matin, et ma famille peut pas m’appeler pour mon anniversaire

À la Tour-sans-Venin, par contre, une partie des dégâts est bien visible. En passant devant l’antenne, on peut apercevoir des grosses masses informes entourées de câbles toutes calcinées. « Ça pue quand on bosse là-dedans, nous confie un technicien en train d’œuvrer à la réparation. Les réseaux refonctionnent parce qu’on a mis un pansement, mais on est pas prêts d’avoir tout réparé.  » On lui demande quelles sont les relations entre toutes ses antennes, il tente de nous expliquer, on comprend pas tout, si ce n’est que pour l’agglomération grenobloise, trois antennes principales sont indispensables au fonctionnement du réseau : celles de Jarrie, de la Tour-sans-Venin et de Chamrousse. « Si ces trois là crament, il n’y a plus rien qui fonctionne. Ils s’en rendent pas compte ceux qui font ça, mais même les secours ils peuvent plus communiquer.  »

  • @VilledeGrenoble
    Suite aux incendies ayant endommagés deux antennes relais de la région grenobloise, les réseaux téléphoniques sont fortement perturbés : le paiement par CB et la délivrance de ticket gratuit 20min sont momentanément indisponibles sur les #horodateurs de #Grenoble.

« C’est la mode de faire ça. En ce moment en France, on en a une par jour qui crame » constate le technicien de TDF de la Tour-sans-Venin, qui parle d’1,2 million de préjudice juste pour cette antenne. Selon la presse, depuis le 17 mars, date du confinement, 22 antennes relais ont subi des dégradations un peu partout dans toute la France. Soit, en deux mois et demi, presque la moitié des 48 actes de sabotage recensés depuis 2018. Un phénomène qui dépasse les frontières, puisque dans une dizaine de pays européens, 140 antennes ont été cramées depuis le début de la « crise sanitaire  ». La majorité de la presse a traité sous l’angle du fait-divers ces dégradations, sans s’interroger sur la dépendance du fonctionnement de la société à ces équipements anodins que sont les antennes-relais. Au XIXème siècle, les autorités locales ont construit des forts tout autour de Grenoble pour protéger la ville. Des constructions pharamineuses qui n’ont jamais servi à faire la guerre. À côté de chaque fort ou presque, on trouve aujourd’hui une antenne-relais, devenues des armes essentielles dans la guerre économique qui guide la marche du monde. Suite aux incendies isérois, seul Place Gre’net a parlé d’un « incident qui révèle les fragilités du système » (26/05/2020). Les autres médias se sont contentés de donner la version policière de « la nébuleuse de l’ultragauche  » ou ont sous-entendu que ces incendies seraient l’oeuvre de complotistes pensant que le coronavirus était transmis par la 5G.

  • @mor_exe
    Un groupuscule de complotistes ont brulé des antennes relais près de Grenoble pensant que le Covid se propagerait par les antennes 5g résultats 500k personnes sans réseau mobile tnt etc... Aucune blague... Genre waw.. Crevez en enfer les cerveaux malades.

Pourtant, pour une fois, les communiqués de revendication étaient assez clairs. Les auteurs des incendies ne parlent pas du tout du corona, et s’ils évoquent la 5G à venir, ils ciblent leurs attaques sur la connexion généralisée et la société de zombies qu’elle est en train de créer : « Nous ne voulons pas d’un monde où la garantie de pouvoir communiquer à distance sans cesse et partout, s’échange contre le fait de pouvoir être surveillés et contrôlées constamment. Les imbéciles qui se réjouissent d’un monde et d’une vie “augmentés” ne s’aperçoivent pas - ou l’acceptent - qu’ils échangent une quantité de contraintes continuellement croissante contre une qualité de vie constamment plus consternante.  »

La dématérialisation généralisée, accélérée par le confinement, va rendre de plus en plus impossible la vie sans connexion. « Ce qui avançait à la vitesse d’un cheval au galop avant la pandémie de Covid-19 progresse désormais à celle des vents d’un typhon, emportant tout un chacun dans un nouveau monde, celui du “tout Internet”  » analyse Le Monde Diplomatique (juin 2020). Même les collapsologues qui dissertent sur la nécessaire « résilience » des sociétés ne remettent pas en cause cette dépendance grandissante aux réseaux. Si le vent de la numérisation continue à souffler si fort, avoir accès à un réseau pourrait être considéré dans quelques années comme autant essentiel que l’accès à l’eau et à la nourriture. La protection des antennes devrait logiquement être grandement renforcée. Le vigile de la Tour-sans-Venin ne sait pas pour combien de temps il est là. « On nous a dit au moins deux semaines. Après, je sais pas, ils vont sûrement mettre des caméras, de la télésurveillance. »

  • @TekBax
    Mais qu’ils s’enferment dans une grotte ces gens là ! Une vraie plaît sans déconner. Des sauvages...

Notes

[1Au prochain épisode, on évoquera les contestations d’implantations d’antennes. Si vous avez des choses intéressantes à raconter sur une mobilisation contre les antennes-relais, n’hésitez pas à nous contacter.

[2Au dessus de chaque message, il y a le nom numérique de son émetteur, ce qui commence par @. Les fautes d’orthographe n’ont pas été corrigées.