Accueil > Printemps 2024 / N°72

Boire ou conduire (un véhicule électrique), il va falloir choisir

«  Pourquoi vous critiquez tant STMicro ? Au moins ça pollue moins que dans des pays sans norme...  » Et c’est vrai que la pollution locale de STMicro est une goutte d’eau dans l’océan de nuisances engendré par l’industrie de la transition numérique et de l’électrification générale. D’où l’importance de la contester, ici comme ailleurs.

« Quand on veut enterrer une décision, on crée une commission.  » Ce fameux conseil de Clémenceau aux gouvernants a de très nombreuses fois été suivi à la lettre. Dans le coin, les autorités le suivent pour « enterrer » le problème de l’eau et de la microélectronique. En 2022, l’annonce de l’agrandissement du site de STMicro (et donc du doublement de sa colossale consommation d’eau) en pleine sécheresse et restrictions de consommation d’eau a entraîné – outre de nombreux articles dans notre journal – la création du très actif collectif STop Micro, une manifestation ayant réuni 1000 personnes le 1er avril 2023, et quantité de chicaneries citoyenno-administratives. Début février, on apprenait par exemple que la commission nationale du débat public (CNDP) sommait STMicro d’organiser une « concertation préalable  » à cause des « très forts enjeux environnementaux locaux ». On le sait : la CNDP fait partie du genre de « commission » créée pour « enterrer » les décisions. Le fait que le « débat public » intervienne près de deux ans après les annonces des milliards déversés et le début des travaux ne peut que renforcer ce constat.

Au niveau local, un machin supplémentaire s’active pour rassurer la populace du Grésivaudan et d’ailleurs : l’observatoire de l’eau. L’année dernière, le président de la communauté de communes du Grésivaudan annonçait sa mise en place « pour dépasser un débat public devenu dangereusement caricatural, opposant violemment des militants radicaux hostiles à toute forme d’aménagement à une poignée de partisans de fausses “solutions miracles”  ». Depuis on n’a pas eu de nouvelles des travaux de cet observatoire « impliquant tous les acteurs concernés » (communautés de communes, préfecture, industriels, etc). Croisé, le vice-président du Grésivaudan délégué à l’eau nous a dit qu’ils devraient communiquer « bientôt ». Nul doute que ses travaux permettront de valider toutes les décisions prises et de noyer leurs conséquences dans un océan de chiffres et autres mesures de pollution rassurantes, afin de démontrer qu’au niveau local la situation de l’eau est sous contrôle. Le propre des autorités est de ne jamais remettre en question les décisions prises par les autorités : l’année dernière l’annonce de l’importante pollution par les entreprises chimiques de la nappe phréatique de Grenoble, plus bonne à rien (consommation, arrosage ou baignade) n’a entraîné ni sanctions des entreprises concernées, ni remise en cause des autorisations délivrées par les services de l’État.

Aujourd’hui, la transition numérique et l’électrification de masse, auxquelles travaillent STMicro, Soitec et toute la microélectronique grenobloise, impose de multiplier les usines à puces et surtout... les projets miniers. Notre époque « dématérialisée » n’a jamais autant extrait de minéraux de la terre dans des conditions toujours plus insoutenables, que ce soit écologiquement et humainement. À ce propos, nous ne pouvons qu’inciter les membres de l’observatoire de l’eau isérois, comme tous les partisans de la transition et de l’électrification, à lire l’excellent livre de Célia Izoard La ruée minière au XXIème siècle (Seuil 2024). Ils pourront apprendre comment, au nom notamment de la « transition », « on s’apprête à extraire en trente ans autant de métaux qu’on en a extraits depuis le début de l’histoire humaine  ». Et voir comment cet extractivisme forcené maltraite l’eau un peu partout dans le monde. En Zambie, l’eau du fleuve Zambèze est en train d’être intoxiquée par une mégamine de cuivre. À Séville en Espagne, la consommation d’eau des habitants est rationnée à cause de l’accaparement de cette ressource par l’immense mine de Rio Tinto. Au Chili, l’eau du robinet est contaminée par les métaux toxiques de la mine d’Anglo American, chantre de la soi-disante « mine responsable » qui amène – jusqu’en 2027 et pas après – de l’eau en camions-citernes aux habitants. Dans le même pays la Sociedad química minera, dont l’actionnaire principal est l’ex beau-fils de Pinochet, extrait le lithium par évaporation dans une région désertique où les activités minières consomment 65 % de l’eau. Au Brésil, plusieurs centaines de milliers d’habitants sont privés d’eau potable suite à la rupture de la digue d’un des parcs à résidus de la mine de Bento Rodriguez. Au Maroc, la mine de Managem, promoteur du « cobalt responsable » a asséché les nappes d’eau potable des habitants, rendant l’agriculture impossible. Un habitant témoigne : « Nous sommes des morts vivants. Bientôt il n’y aura plus d’eau. C’est ça qu’ils appellent le développement durable ?  » Etc. etc. Ce livre regorge d’exemples de ce type, documentant – outre la pollution de l’eau – celle du sol, de l’air, les débauches d’énergies nécessaires et la maltraitance des hommes.

Pendant ce temps-là, des Occidentaux, en enfourchant leur trottinette, leur vélo ou leur voiture électrique, ont la conscience tranquille en croyant ne pas polluer. Depuis l’été dernier, les habitants de l’agglomération grenobloise sont incités, avec la mise en place de la ZFE (Zone à faibles émissions) à troquer leur véhicule thermique contre un électrique pour des raisons écologiques. Un autre excellent livre, Sans transition de Jean Baptiste Fressoz (le Seuil, 2024), documente ce mirage : « La transition est l’idéologie du capital au XXIe siècle. Grâce à elle le mal devient le remède, les industries polluantes, des industries vertes en devenir et l’innovation, notre bouée de sauvetage.  »

Alors pour ce numéro, Le Postillon plonge dans ces nouvelles mobilités, en effectuant un reportage dans le monde des trottinettes électriques et en décortiquant les fantasmes de recyclage de batteries électriques, ces nouveaux totems modernes que certains politiques osent qualifier d’« écologiques ». Ce tartuffe d’Éric Piolle a ainsi réagi au projet de gigafactory de batteries de l’entreprise grenobloise Verkor en saluant une « excellente nouvelle » parce que «  l’innovation peut servir les enjeux de la société d’aujourd’hui  » (Europe 1, 14/07/2021). Voyons donc voir comment ces objets proliférants sont en fait une catastrophe environnementale. Encore de la matière à réflexion pour les membres de l’observatoire de l’eau !

Week-end de mobilisation
Début avril, le collectif STop Micro organise un week-end de mobilisation contre les projets d’agrandissement de STMicroelectronics à Crolles et de Soitec à Bernin, toujours sous le mot d’ordre « De l’eau, pas des puces ! » Rendez-vous notamment le samedi 6 avril à 14h au parc Paul Mistral de Grenoble pour une grande manifestation vers la presqu’île de Grenoble et le dimanche 7 avril pour un rassemblement à Crolles. Toutes les informations sont disponibles sur https://stopmicro38.noblogs.org/