Accueil > Mai 2011 / N°10

Qu’en pensent les habitants ?

Des caméras à la Capuche

Il y au moins deux points communs entre le square Lafleur, dans le quartier Capuche de Grenoble, et la place Louis Maisonnat à Fontaine. Premièrement, les municipalités respectives ont pour projet d’y installer des caméras. Deuxièmement, elles se justifient en affirmant que c’est une demande des habitants, qui seraient excédés par «  des jeunes  ». Mais «  les habitants  », (groupe aux contours flous car «  les jeunes  » ne sont-ils pas également des habitants ?) désirent-ils vraiment des caméras  ? Qu’en pensent-ils ? Comment justifient-ils leur position, qu’elle soit «  pour  » ou «  contre  » ? Le spécialiste en micros-trottoirs du Postillon a erré deux matinées et une fin d’après-midi autour du square Lafleur, en demandant aux passants leur avis argumenté sur la question des caméras et des problèmes du quartier. Sans la prétention d’obtenir un «  panel représentatif  » mais avec la volonté de comprendre les avis des uns et des autres.
Sur les 48 personnes abordées, 30 se sont déclarées «  contre les caméras  », 15 «  pour  » et 3 «  sans avis  ». Nous retranscrivons les avis les plus représentatifs ou originaux. Nous n’avons pas demandé leurs noms aux personnes interrogées, car nous ne souhaitons pas «  personnaliser  » les prises de positions. Nous nous contentons de préciser le sexe et un âge approximatif, ou la fonction sociale si elle a un rapport avec le quartier.

Une femme, environ quarante ans : Je ne pense pas que les caméras règleront les problèmes. De toute façon les jeunes les casseront. Le problème dans notre quartier, c’est que des jeunes traînent en bas de notre montée. Moi je ne me suis jamais faite agresser, mais bon ils traînent et mettent une tension. Dans notre montée, à part deux appartements on est que des femmes seules ou des mères célibataires.
Des employés de la mairie sont venus essayer d’installer une caméra. Mais ils se sont fait emmerder par les jeunes et n’ont pas pu finir parce que les jeunes les traitaient de tous les noms... Et puis même sinon ? De toute façon on sait qui c’est, on les connaît. Le problème c’est la justice, qui ne suit pas après. Que faire d’autre ? Je ne sais pas. Moi ça fait cinq ans que j’habite là, ça va, c’est pas l’horreur mais dès que je le pourrais je partirai.

Une employée de la MJC Capuche : Personnellement je suis contre. C’est du gaspillage d’argent public. Et puis qu’est ce que ça changera ? Soit elles vont être cassées, soit ça ne fera que déplacer les problèmes. Je ne peux pas vous donner l’avis de la MJC, parce que je ne suis pas la directrice. En tous cas ce qui est sûr c’est que c’est pas nous qui avons demandé : c’est une décision municipale. On a juste demandé à ce qu’elle ne soit pas sur le mur de la MJC pour qu’on ne soit pas associé à ça.

Une femme, environ trente-cinq ans : Oui, pourquoi pas ? C’est vrai que beaucoup de voitures crament dans le quartier. Les caméras, ça va peut-être empêcher ça.
Un homme, environ soixante-dix ans : Je suis complètement pour. Regardez, encore hier, ils ont chopé ceux qui ont agressé un jeune grâce aux caméras du métro à Paris. Au moins avec les caméras, la délinquance ne reste pas impunie. Je ne me suis jamais fait agresser mais ça empêchera les jeunes de continuer leurs trafics. Et puis moi je m’en fous complètement d’être filmé, qu’on sache où je vais, à quelle heure, ça m’est complètement égal. Je vais même vous dire : je vais au sex-shop mais je m’en fous qu’on me filme en train d’aller au sex-shop, je n’ai plus de femme, je n’ai pas d’enfants alors je m’en fous.

Une femme, environ quarante ans : Je suis contre. Ça ne servira à rien et puis moi je déteste être filmé, je n’aime pas ça, c’est viscéral. Ils disent qu’ils vont respecter la vie privée mais comment savoir si c’est vrai ? Oui il y a des problèmes mais je ne crois pas que c’est en mettant plein de sous dans les caméras qu’ils vont être réglés. Que faire ? Je ne sais pas, franchement on n’a pas la réponse c’est tellement complexe, tout ça. On est tous un peu désemparé.

Un homme, environ cinquante ans : Pourquoi pas ? Moi ça m’est égal, je n’ai de problème avec personne dans le quartier. J’emmerde personne, personne ne m’emmerde. Mais s’ils en mettent je m’en fous.

La boulangère : Je suis complètement contre. Tu crois que ça va régler les problèmes ? N’importe quoi ! Déjà je vais te dire, elles vont être pétées vite fait les caméras. Et puis combien ça coûte ? Franchement tu crois qu’il n’y a pas plus urgent que de mettre de l’argent dans les caméras. Dans le quartier c’est la crise, des personnes n’arrivent même plus à payer leur baguette de pain. 90 centimes c’est trop cher ! Certains me demandent crédit pour 90 centimes. Et ils vont mettre un million d’euros dans des caméras ? Non mais c’est n’importe quoi. Nous, les petits commerçants, on se bat pour essayer de maintenir de la vie dans le quartier, on galère, on est à deux doigts de fermer et pendant ce temps là ils gaspillent de l’argent. C’est Destot qui fait ça ? Pourtant moi je croyais qu’il était de gauche, contre Sarkozy... j’ai voté pour lui mais franchement si j’avais su qu’il ferait ça... Dis lui que c’est n’importe quoi, dis lui à Destot.

Le pharmacien : Je suis contre le flicage. Je n’ai pas de carte bleue, et ça me rend malade les gens qui viennent payer chez moi et après on peut savoir qu’à 14h32 ils ont acheté telle chose. Mais oui, je suis pour les caméras. Disons que je suis pour leur effet dissuasif. Parce que quand elles seront là, leur simple présence dissuadera les jeunes de faire des conneries. Je serais pour, si on installe six caméras qu’il y en ait une seule de vraie et que les autres soient fausses. Elles seront pétées ? Oui comme les radars, une fois, deux fois, trois fois mais après elles resteront. Tous les jours j’ai des clients qui me racontent que les jeunes ont encore fait du bruit hier jusqu’à trois heures du matin, qu’ils les voient trafiquer, qu’ils laissent sale. Mais eux ne peuvent pas porter plainte sinon ils se font emmerder. Alors les caméras ça évitera de porter plainte et ça fera une preuve. Ça simplifiera le travail de la police parce que là, même si on ne sait pas qui c’est, ils ne peuvent rien faire.

Une cliente de la pharmacie, environ 70 ans : Les jeunes qui traînent en bas me connaissent, ils ne m’ont jamais agressée, mais ils font du bruit, ils laissent toujours tout sale, des canettes, des paquets Macdo. Et je ne vous parle pas des caves... C’est à cause de ça que les gens partent : parce que ça les énerve, qu’ils ne sont pas à l’aise. Alors oui les caméras ça sera bien. Ça les empêchera de continuer leurs trafics et puis ça fera des preuves.

Un jeune, entre 15 et 20 ans  : Franchement, on est super énervés. On ne veut pas être filmés, nous, on n’est pas dans Secret Story. Moi je connais personne qui est pour. Ça ne va faire qu’augmenter la tension.

Un homme, environ quarante ans : Le problème c’est le manque de dialogue et puis le manque d’avenir pour les jeunes. Parce que les jeunes, on les connaît ce sont des enfants du quartier, ils sont chez eux ici. Mais ceux qui s’en plaignent ne vont pas leur parler, ils se plaignent auprès des élus, mais ils ne vont pas leur demander de faire moins de bruit ou de ne pas jeter leur poubelle. Moi j’y vais des fois et on dialogue. Et puis le problème c’est qu’ils soient là et qu’ils n’aient rien à faire. Il faudrait qu’on puisse leur proposer une formation ou un emploi... mais ils n’ont rien, ils ont pas de place alors forcément tu trafiques. C’est normal. Moi mes enfants sont encore petits mais quand ils auront leur âge, je pourrais pas forcément les empêcher d’aller avec eux et puis quoi ? Il faudra qu’ils apprennent aussi, par leur vécu, c’est pas en leur interdisant qu’on les forme. Moi j’ai eu de la chance de faire des études et j’espère que mes enfants aussi mais ceux qui n’ont pas eu cette chance, qui n’ont qu’une mère qui galère pour gagner sa vie, ils en viennent là.
Les caméras c’est les retraités qui les veulent parce qu’ils n’ont pas d’enfants et ne se rendent pas compte de ces réalités. Nous aux réunions avec la mairie on ne nous invite jamais, on invite les retraités, qui ont peur parce qu’ils sont tous seuls et qu’ils ne parlent pas. Je pense qu’il faut réapprendre à se parler.
Une femme, environ soixante-dix ans : Non je ne vous parle pas à vous, je ne vous connais pas, je ne parle plus aux personnes que je ne connais pas.