« On ne peut pas laisser disparaître cette collection de livres ! » Ce mercredi 8 février, l’inquiétude est palpable parmi la petite trentaine de personnes venues assister à la « réunion d’information des abonné.e.s de la médiathèque ». C’est une réunion « de crise » : la médiathèque de la Maison de la nature et de l’environnement de l’Isère (MNEI) est menacée de disparition.
En cause : les difficultés financières de la MNEI, dont la situation devrait conduire à une liquidation judiciaire au mois de mars. Ironie de l’Histoire : crée en 1985 sous Carignon, la deuxième Maison de la nature de France devrait donc disparaître sous Piolle, juste après l’année « Capitale verte de l’Europe ». Enfin, la « maison » du 5 place Bir Hakeim à Grenoble en elle-même va perdurer, et les multiples associations hébergées (France nature environnement, l’association de développement des transports en commun – ADTC – , Mountain Wilderness, LPO, l’Heureux cyclage, Paysages de France, etc.) pourront a priori garder leur bureau, selon des modalités qui restent à préciser.
Ce qui va disparaître, c’est l’association gérant le bâtiment, les services, les animations et donc la médiathèque. Comment en est-on arrivé là ? Les difficultés de la MNEI remontent à 2016, quand le Département dirigé par la droite a baissé de 100 000 euros sa subvention, ne voulant plus financer le « fonctionnement » de l’association, seulement quelques projets pour 18 000 euros. « Cela ressemblait à une mesure de rétorsion, notamment pour la contestation du projet de Center Parcs à Roybon » juge Philippe Zanolla, l’ancien président de la Maison. S’ensuivirent trois licenciements, un important endettement, et un premier redressement judiciaire.
« Après 2016, on a réfléchi à faire évoluer cette Maison, raconte Philippe Zanolla. On a demandé une labellisation centre permanent d’initiative à l’environnement (CPIE). On voulait grossir, devenir une Maison métropolitaine pour l’environnement. » Mais cette ambition n’a pas trouvé suffisamment d’écho à la Ville de Grenoble ou à la Métropole, qui ont continué à financer la MNEI pour 39 000 euros pour l’une et 82 000 euros pour l’autre. L’ancien président regrette ces faibles sommes : « Dans d’autres villes, il y a beaucoup plus d’ambition pour les maisons de la nature. À Nantes, la Métropole la subventionne à hauteur de 650 000 euros par an. À Lyon, c’est 400 000 euros environ. Nous à Grenoble, on ne voulait pas faire une simple gestion de bâtiment. On voulait avoir un véritable projet politique ambitieux. »
Parmi les autres projets avortés, il y a aussi celui de l’Orangerie, du nom d’un grand bâtiment municipal de 800 m2 soumis à l’appel « Gren’ de projets ». La MNEI, avec de multiples autres structures de l’économie circulaire, avait travaillé longuement à un projet basé sur l’échange de savoirs et de savoir-faire (auto-réparation de vélos et différents objets, création manuelle, etc.), d’un bar-restaurant… et d’un centre de ressources pour l’environnement. Mais ce projet n’a pas été retenu par la mairie, préférant en 2019 celui de la Grande Saison, un peu moins bricoleur et un peu plus « start-up nation » avec du « foodlab », « coolworking » et « corners de restauration ». Censé ouvrir début 2022, plombé par le Covid selon ses promoteurs, ce projet est toujours au point mort, les travaux n’ayant pas commencé. Un des responsables nous assure en février 2023 que ce devrait être le cas dans six mois pour une ouverture en 2024.
La MNEI ne porte-t-elle pas de projet assez « moderne » ? C’est ce qui semble transparaître de quelques échanges entre l’équipe et les élus, leur reprochant, malgré tous ces projets, de « ne pas vouloir évoluer ». Le vice-président de la Métropole au défi climatique Yann Mongaburu leur aurait ainsi proposé de devenir la « maison de la justice climatique ». À l’heure de la « génération climat », les mots de « nature » et d’ « environnement » semblent un peu ringards.
Le président actuel, lui ne veut pas jeter la pierre à la Ville et à la Métropole. René De Céglié, ancien élu grenoblois, a repris les rennes de l’association en juillet dernier, alors que les tensions financières s’aggravaient, et qu’il fallait faire face à un déficit structurel de 30 000 euros par an. « La Ville, la Métropole et les élus d’opposition au Département nous ont soutenus jusqu’au bout, comblant par des subventions exceptionnelles notre déficit de 2022. » Le coup de grâce a été porté début janvier 2023, quand « la Métropole a informé l’association que ses statuts, arrêtés par la Préfecture, ne lui permettaient plus de financer les locaux, les services et la médiathèque ». Une impossibilité légale due à la grande complexification de la métropolisation. Il faut maintenant se retrouver dans les « compétences » de chaque collectivité et surtout toujours et encore monter des « projets ». C’est la Métropole qui a le plus de marge financière, mais si on ne rentre pas dans son champ de « compétences », tant pis. Aujourd’hui, pour le monde associatif, le simple « fonctionnement » est de moins en moins subventionné, il faut avoir des « projets ». Culture de l’innovation permanente.
Bref, en tous cas, cet arrêt de la subvention met la MNEI définitivement sur la paille et dans le processus d’une liquidation judiciaire. Fin février, le président était en attente d’une comparution imminente au tribunal administratif, qui devrait nommer un mandataire, puis un commissaire priseur. Un « inventaire des actifs » devrait être effectué pour vendre les biens de l’association et rembourser une partie des dépenses dues au licenciement des cinq salariés…
D’où la peur, à cette réunion du 8 février que l’intégralité du fonds de la médiathèque soit saisi. 10 000 documents, 7 000 livres, un centre de ressources unique, mêlant à la fois écologie politique et pratique. Des mallettes pédagogiques toutes faites sur le papillon ou la chauve-souris, des contes écolos pour enfants, des revues rares comme Nunatak, Chasse Goupille ou Magik Cambouik, des livres sur les Oiseaux nicheurs de Rhône-Alpes, expliquant Comment construire un four à pain ou dénonçant les Désastres touristiques et comment Le progrès m’a tuer. Un fonds sans doute un peu « vieillot », faute d’argent pour le renouveler, mais sans nul doute plus précieux que les vidéos en ligne des influenceurs écolos.
Une collection originale couplée d’un accueil également unique. Un des adhérents de la médiathèque a écrit une lettre pour tenter d’alerter sur la disparition : « En tant qu’usager très régulier de la Médiathèque, je souhaite insister ici sur le fait qu’il ne s’agit pas d’une “bibliothèque” déshumanisée (...). La médiathèque est un lieu d’échanges et de suggestions d’ouvrages dédiés à la Nature soutenu par ses membres : la sélection des livres et contenus multimédia est concertée, les discussions y sont riches et l’investissement profond de ses salariées rendent la médiathèque réellement “organique”. Son implantation au sein des associations civiles de protection de l’environnement et d’engagement citoyen ne fait que renforcer cet élan de vie que l’on ressent en entrant dans les locaux. »
C’est ce « supplément d’âme » qui a poussé, lors de cette réunion du 8 février, une quinzaine d’adhérents ne voulant pas se résigner à la fin de la médiathèque à créer un collectif. Le but : tenter de faire revivre, de manière autogérée et sans salarié au début, la médiathèque. De quoi espérer prolonger un peu cet « élan de vie ».