Accueil > Décembre 2011 / N°13

Hervé-Jean Bertrand-Pougnand se fout de la Tronche des Roms

Connaissez-vous Hervé-Jean Bertrand-Pougnand ? Non ? Nous non plus, ou presque. En l’espace de quelques jours, Bertrand-Pougnand a réussi à sortir de l’anonymat de la cuvette grenobloise en pavoisant dans les médias locaux (France 3 et Le Daubé) le 4 novembre dernier tout en publiant un éditorial nauséabond dans son journal de propagande. Oui, Bertrand-Pougnand détient un journal, et pour cause : il est le maire UMP de la ville de La Tronche.
Un édile qui n’aime pas les Roms installés dans des camps de fortune sur sa riche commune. Cet homme semble n’avoir jamais rencontré ces Roms qui «  volent   », «  se prostituent   », «  agressent verbalement les gens  » et «  cambriolent  », selon ses propres dires [1] .
Alors, plutôt que d’aller l’interviewer une énième fois, on a préféré rendre visite à ces dangereux habitants, la peur au ventre, et leur demander de réagir à l’édito du maire...

Les arbres et buissons clairsemés de l’automne laissent apparaître quelques caravanes et des baraquements de bois dont les toits sont recouverts par des bâches en plastique. Cet été, on pouvait encore longer la piste cyclable sans même imaginer qu’une soixantaine de personnes vivaient là, coincées entre Décathlon et la voie rapide.

Une femme, accompagnée de ses trois enfants, sort du camp et nous salue en souriant. «  Vous savez, ici, c’est dur de vivre, il y des rats la nuit et il pleut à l’intérieur de chez nous. J’accompagne mes enfants à l’école, je n’ai pas le temps, mais si vous voulez discuter, allez voir les hommes là-bas dans cette maison   ». Elle s’éclipse avec la marmaille.

Sur le terrain, des détritus jonchent le sol, rendu boueux par la pluie de la semaine précédente. Timidement, on frappe à la porte de la baraque indiquée. Ovidiu nous ouvre. Il vient d’Oradea, une ville du nord-ouest de la Roumanie. «  Là-bas je gagnais 150 euros par mois, j’étais agent de nettoyage pour la ville, je balayais les rues de la ville, j’ai fait ça pendant treize ans. Maintenant je fais la manche ici et j’aimerais bien travailler. On récupère de l’eau avec des bidons au point d’eau là-bas  » dit-il en pointant son doigt en direction du rond-point. «  Les enfants vont à l’école mais ils ne peuvent pas se laver, alors ils ne sentent pas bon, c’est pas terrible pour les autres enfants   ».

On n’est sans doute pas tombé sur la bonne personne. En effet, le maire de la Tronche n’hésite pas à stigmatiser sans vergogne les Roms de ce terrain : «  On constate des trafics, de la prostitution notamment de jeunes filles, des tapages nocturnes, des brûlages de câbles dégageant d’épaisses fumées qui circulent jusque dans le système de ventilation du CHU Nord, des dépôts de déchets sauvages que nos services techniques ne cessent de ramasser et nettoyer, des vols d’eau et d’énergie, des vols d’outils de jardin, des dégradations de biens publics et privés, des agressions verbales voire physiques dans la rue ou dans le tramway, des ‘‘promenades’’ de repérage par des adultes et des enfants de lieux propices au vol, etc.  ».
On demande à Ovidiu ce qu’il répondrait au maire face à ces accusations : «  Ici les femmes sont avec leurs maris, il n’y a pas de prostitution. Il dit qu’on fait du feu, oui et alors ? On fait du feu pour se chauffer avec nos poêles et pour se débarrasser des ordures parce qu’on n’a rien pour les déposer. Le maire n’est jamais venu ici. S’il venait, il verrait dans quelles conditions on vit et qu’on a des compétences en mécanique, en coiffure, etc. et qu’on veut travailler. Mais sans carte de séjour on ne peut pas  ».

Sans travail pas de carte de séjour, et sans carte de séjour, pas de travail. Le serpent qui se mord la queue pour ces citoyens Roumains entrés dans l’UE en 2007. Leur tare ? Être des Roms roumains et avoir accepté de vivre loin de chez eux dans des conditions précaires «  parce qu’ici, c’est toujours mieux qu’en Roumanie  », comme le précise Ovidiu.

L’édile, quant à lui, assène des stéréotypes effarants sans jamais en apporter les preuves : «  Il y a beaucoup d’alcoolisme aussi, du tapage nocturne, des femmes battues... [...] Le fond du problème, c’est que ces Roms sont manifestement exploités quand on voit les enfants livrés à la prostitution et aux vols   ». Bertrand-Pougnand ne se soucie guère des discriminations que vivent au quotidien les Roms dans leurs pays d’origine et les raisons pour lesquelles ils choisissent cette migration. Des Tronchois ne supporteraient pas leur présence, comme l’écrit le maire : «  Alors que l’opération ‘‘tranquillité vacances’’, permettant la surveillance des habitations inoccupées pendant l’été, a démontré son efficacité, une partie de notre population ressent toutefois un sentiment d’insécurité. Il est dû à la présence des Roms installés dans des conditions indignes et illégalement sur un terrain privé en face de Décathlon  ».

Des enfants courent. Ovidiu s’excuse. Il file à l’entrée du campement. Une voiture s’arrête. Il revient avec un sac chargé de vêtements. «  Ce sont des gens qui nous ont apporté ça, ils viennent aussi jouer avec les enfants parfois   ». D’autres hommes s’attroupent autour de la baraque d’Ovidiu et écoutent la conversation. L’un d’eux lâche sans angélisme  : «  Vous savez, on ne nous propose rien ici, on vit dans des conditions de misère, il n’y a pas de travail pour nous alors, oui, on est aussi obligés de voler   ».

On fait le tour du bidonville avec Anton, la quarantaine. Il raconte qu’il a été expulsé d’un camp de Saint-Martin-d’Hères. Direction la Roumanie. Il est revenu aussitôt. Pourquoi ? «  J’ai travaillé dix ans dans le bâtiment, on m’a mis au chômage technique. Y a pas de travail pour les Roms en Roumanie. Voilà pourquoi je suis venu ici. Ici, je n’ai pas de travail pour le moment, seulement une promesse d’embauche. Je prends des cours de français. On a aussi une chance énorme  : il y a un restaurant chinois qui nous donne à manger. Ils nous donnent des repas emballés dans des sacs. C’est vraiment bien, ils sont super sympas. Les gens ici nous aident, bien plus qu’en Roumanie !  »
Combien de temps pourront-ils encore rester ici avant de se faire chasser ? Le maire soutient que l’occupation est «  illégale   », or ce terrain n’appartient pas à la commune mais à un propriétaire qui n’a engagé aucune démarche d’expulsion. Et pour cause, comme le raconte Anton : «  On a de bonnes relations avec le propriétaire, il est déjà venu ici et nous a dit que nous pouvions rester, c’est un homme bien   ».
Bertrand-Pougnand a engagé une procédure administrative d’abandon du terrain pour faire le ménage lui-même dans les mois qui arrivent. Mais le bonhomme est aussi humaniste puisqu’il a alerté «  les autorités de l’état et les autorités européennes pour faire quelque chose et permettre aux Roms de rester chez eux pour y vivre correctement, cela va de soi   ». Pour le dire simplement : qu’ils ne remettent pas les pieds à la Tronche une fois qu’ils en seront expulsés.
Isabel Francesca, qui a vécu plusieurs années avec des Roms à travers les Balkans, a rapporté des propos [2] de Roumains à l’encontre des Roms dans les années 1990, après la chute de Ceaucescu, qui rappellent la posture du maire de la Tronche : «  Ils n’ont qu’à retourner d’où ils viennent !  » Et puis  : «  Maintenant, on a le choix. Nous sommes en démocratie et nous ne voulons pas les voir revenir dans notre village  ».

Le maire termine son édito par un abject appel à la délation, sans plus se soucier de l’avenir des Roms. «  J’ai donc besoin de vous pour étoffer mon dossier afin d’obtenir le rétablissement de l’ordre sur notre commune. Encore un peu de patience et je suis sûr que nous retrouverons prochainement la sérénité qui caractérise notre commune !   » À quand un dossier sur Bertrand-Pougnand ?

Fioraso (PS) conforte le maire UMP

Interpellée par le maire de La Tronche dans son édito, Geneviève Fioraso, députée de l’Isère, a pris le temps de lui répondre sur son blog pour le rassurer : tous deux sont d’accord sur «  les faits graves (…) que nous ne pouvons raisonnablement laisser perdurer  ». Bertrand-Pougnant lui reprochait de lui avoir dit «  qu’il fallait apprendre à cohabiter  ». Fioraso dénie énergiquement dans son billet et affirme qu’elle veut, comme lui, «  rétablir rapidement l’ordre  » et précise qu’elle a «  alerté le Préfet   », sans jamais parler d’éventuelles solutions humaines à apporter à la présence de ces Roms. Les Roms ne votent pas, eux...
Pour couronner le tout, la députée démontre aussi son inculture et sa méconnaissance de la population rom : «  Je tiens à rappeler que l’accueil de populations nomades en Europe, tels que les Roms, est de la compétence pleine et entière de l’Etat représenté par le Préfet en Isère  ». «  Populations nomades en Europe, tels que les Roms  » écrit-elle avec assurance. Depuis belle lurette, la majorité des Roms roumains ne sont plus nomades, ils avaient été sédentarisés sous le régime du dictateur Ceaucescu avant 1989. D’autant plus que les Roms migrants en France sont à la recherche d’un lieu stable et ne constituent en aucun cas des «  nomades  ». Nul doute que Fioraso voulait évoquer les expulsions à répétition orchestrées par les pouvoirs locaux qui les contraints au «  nomadisme   ».

Notes

[1Toutes les citations du maire sont tirées de son éditorial publié dans «  Le bulletin, La Tronche  » du mois de novembre 2011, n°175 ou des interviews qu’il a données à la presse.

[2«  Enterrez-moi debout, l’Odyssée des Tziganes  », Albin Michel, 1995.