Accueil > Décembre 2013 / N°23

Ici, bientôt le « parc Flaubert »

Des centaines d’étrangers, qu’ils soient demandeurs d’asile, réfugiés politiques, avec ou sans papiers vivent à Grenoble et dans la cuvette sans logement pérenne et dans des conditions sanitaires déplorables. Ils occupent des bâtiments inutilisés et des terrains laissés à l’abandon d’où ils se font régulièrement expulser (un terrain de Saint-Martin-le-Vinoux, un hangar en face de la MC2, un immeuble rue des Alpes à Fontaine...) alors que d’autres ont une épée de Damoclès au dessus de la tête (un immeuble du Village olympique, un maison rue Eugène Boussant...). Des personnes vivent carrément sous tente ou dans des abris précaires. C’est le cas sur un terrain vague situé à quelques centaines de mètres de la flamboyante Maison de la culture, qui sera bientôt remplacé par le « parc Flaubert ». La réalisation de ce parc s’inscrit dans le projet de la ZAC Flaubert, « un éco-quartier pour construire l’utile et l’agréable » selon la mairie [1]. Nul doute que les dizaines de personnes qui vivent aujourd’hui là-bas ne seront pas concernées par « l’utile et l’agréable » et se feront prochainement expulser.

Aux extrémités de la piste cyclable entre la rue Stalingrad et l’avenue Marcelin Berthelot des panneaux indiquent « aménagement du parc Flaubert, livraison fin 2014 » agrémentés d’une jolie image de synthèse verdoyante. Le chantier ne chôme pas et peu importe que des gens vivotent sur ce terrain encore en friche. Des tractopelles équipés de gyrobroyeurs débroussaillent le terrain. L’un d’eux passe à quelques mètres d’une tente et d’une minuscule caravane. À l’intérieur un poêle bricolé surchauffe la pièce de quatre mètres carrés où s’entassent Marius, Gabriela, Radica et Madalina.

Marius : « On vient d’Oradea en Roumanie à la frontière hongroise. Ça fait quatre ans que je suis en France et je cherche du travail, il n’y en a pas. Regardez les conditions où l’on vit, dans une caravane. Ça fait deux mois qu’on est sur ce terrain. Avant on était dans un squat à Saint-Martin-d’Hères. Là-bas c’est comme ma ville, je connais toutes les rues, j’ai beaucoup de copains là-bas. »

Gabriela : « À Saint-Martin-d’Hères, quand la police a expulsé le squat, nous n’étions pas là, moi j’étais dans un hôpital spécialisé pour les grands brûlés avec Radica [la plus jeune], elle s’est ébouillanté la jambe. C’est toujours mieux que rien cette caravane. J’ai fait des ménages en France au noir mais maintenant si on n’a pas de contrat personne nous embauche pourtant je parle français. J’ai demandé un récépissé à la préfecture pour pouvoir travailler, ils ont refusé. »

Marius : « J’ai fait deux gardes à vue. Pourquoi ? Parce que je faisais de la récupération de ferraille, jamais je n’ai volé quelqu’un. Quand les gens jettent quelque chose à la déchetterie, moi je le récupère et je ne considère pas que c’est du vol. Qu’est-ce que je fais si j’ai pas de travail ? J’en ai marre de ça, je cherche du travail. Je suis prêt à faire n’importe quoi : le ménage, travailler dans le bâtiment, nettoyer la ville. Et c’est pas huit heures que je suis prêt à travailler mais dix, onze, douze heures ! C’est pas une vie de rester comme ça. Mais c’est quand même mieux qu’en Roumanie. »

Gabriela : « En Roumanie, on habitait dans la maison de mon père à cinq dans une petite chambre. Mon père m’a dit : ‘’il faut que tu fasses quelque chose’’. On ne pouvait pas rester comme ça dans la merde, et finalement on a décidé de partir, et quelqu’un nous a amené en voiture en France. »

Marius : « En Roumanie, on a travaillé sept mois dans une fabrique de chaussures pour 100 à 150 euros par mois. Le patron ne nous respectait pas, il nous parlait mal, parce que nous étions Tziganes. J’ai travaillé aussi dans les champs mais maintenant c’est fini, il y a des tracteurs pour faire ce qu’on faisait à la main, donc il n’y a plus de boulot. »

Gabriela « Ici même si on ne travaille pas on trouve toujours quelque chose à manger, on va au restaurant du cœur. Il y a des gens qui nous aident, qui passent ici nous voir, on boit le café ensemble. Nous, on veut s’installer en France, je ne repartirai jamais pour la Roumanie. Si on se fait expulser d’ici, on cherchera un autre terrain pour mettre notre caravane. »


À l’autre bout du terrain à deux pas de l’avenue Marcellin Berthelot, ce sont des Macédoniens, des Bosniaques et des Albanais qui vivent sous tente dans l’humidité et le froid. Des feux sont allumés ça et là. Zekia a 27 ans, elle est macédonienne.

« Je suis partie de Macédoine parce que je n’avais pas de solution pour travailler, il fallait payer l’école et la police nous empêchait de vendre sur les marchés pour nous faire un peu de sous pour vivre. J’avais 13-14 ans quand je suis arrivée en France, j’étais petite et je voulais aller à l’école parce que c’est vraiment trop important. Je suis passé par Belfort, Toulouse, Lyon, Colmar...partout. Ça fait six mois qu’on vit dehors, c’est vraiment dur de vivre dehors, surtout avec les enfants. Je suis tombée malade. Je ne comprends pas pourquoi la France donne l’asile à des gens et après ils les laissent dehors [Zekia a obtenu le statut de réfugiée]. Qu’elle ne donne pas l’asile, comme ça les gens rentrent dans leur pays ! Dehors les gens attrapent des maladies, il n’y a rien pour se laver. Il y un monsieur qui est mort il y a quelques mois à côté de la préfecture à cause de ça. Avant, on vivait dans un appartement à l’Arlequin mais ils nous en ont expulsés. Mes enfants sont encore scolarisés à l’école du Lac à la Villeneuve. Je suis pas venue en France pour causer des problèmes mais pour vivre. Mon mari fait les poubelles, avant on allait au marché aux puces à Meylan pour vendre quelques affaires, ça n’existe plus. Demain, on devrait avoir un appartement avec mon mari et mes enfants. Ça me fait mal au cœur que les autres familles restent ici. J’espère que tous les gens qui sont sur ce terrain vont partir d’ici. » 

Notes

[1La ZAC Flaubert est un énième projet immobilier cher à la ville de Grenoble. Il a suscité de nombreuses oppositions d’habitants notamment celles du collectif « vivre à Grenoble » qui a dénoncé les concertations « bidons ».