Accueil > ÉTÉ 2023 / N°69

Jeunes paysans dans la silicon valley : le parcours du combattant

«  Le plus beau jardin de France ». C’est ainsi que Louis XII qualifia le Grésivaudan lors d’une visite en 1507, charmé, paraît-il, « par la diversité de ses plantements, par les tours en serpentant qu’y fait la rivière Isère ».
Aujourd’hui, les « plantements  » ne sont plus divers mais essentiellement dominés par le maïs et les noyers. Ces dernières années, de nombreux «  jeunes porteurs de projets agricoles » aimeraient s’installer dans la vallée. Un véritable parcours du combattant qui devrait se complexifier à cause de la pression foncière que subit la vallée avec l’agrandissement des usines de microélectronique. Retours d’expériences et analyse.

« Pendant huit mois, on n’a pas bossé et on n’a fait que chercher. On a grandi à Saint-Ismier, on voulait être à une heure maximum. On est allés voir les mairies, les paysans, la Safer. » Il y a quatre ans, Donatien et Anthony sont sortis de leur formation du brevet professionnel de responsable d’exploitation agricole (BPREA) de Saint‑Ismier ultra-déterminés à lancer une activité de pépiniéristes. Mais la motivation ne suffit pas : dans le Grésivaudan encore plus qu’ailleurs, « le nerf de la guerre c’est l’accès au foncier. T’as un petit truc qui sort, tout le monde se jette dessus comme des morts de faim ». Ils recherchaient pourtant peu d’espace : un ou deux hectares, pas grand-chose. Mais c’était déjà trop. « Dans les communes, on a entendu 50 fois : “votre projet est super mais on n’a pas de terrain.” »

La structure censée aider l’installation des jeunes paysans, c’est la Société d’aménagement foncier et d’établissement rural, plus connu sous le nom de Safer. Créée dans le but d’installer des jeunes, elle prétend « permettre à tout porteur de projet viable  » de « s’installer en milieu rural  ». Ce bel outil est hélas souvent dévoyé par des arrangements obscurs et des copinages. « Un salarié de la Safer nous a déconseillé de candidater sur un projet parce qu’on risquait de l’emporter ! Comme il y avait déjà quelqu’un dessus, il ne voulait pas que ça fasse d’embrouille. Globalement, nos interactions avec cette société nous ont fait penser au sketch de Coluche “expliquez-moi ce dont vous avez besoin, je vous expliquerai comment vous en passer”. »

Heureusement, à force de toquer à toutes les portes et de s’éloigner de Saint-Ismier et des entreprises high-tech, Donatien et Anthony sont tombés sur le maire de Détrier, petite commune le long de la rivière Breda, à la frontière entre l’Isère et la Savoie. Lui-même maraîcher, il fait preuve de volontarisme pour installer des jeunes agriculteurs, prêt à batailler et trouver des arrangements avec les propriétaires. « Il a pensé à ce terrain au bord du Bréda, a convaincu les propriétaires de le vendre à la commune, qui nous le loue. C’était fait en trois mois. C’est dommage que toutes les communes n’aient pas autant de volonté. »

Depuis trois ans, Donatien et Anthony ont donc lancé leur pépinière de jeunes arbres fruitiers vendus à des collectivités, des associations, des habitants. «  On bosse énormément mais ça marche bien. C’est une activité qui a du sens, qui n’existait pas dans le coin. Mais qu’est-ce que ça a été galère pour trouver ce terrain... Il faut batailler comme des fous pour avoir le droit de travailler 70 heures par semaine !  » S’ils sont donc parvenus à enfin s’installer, ils restent néanmoins sous la menace du projet Lyon-Turin, qui, s’il se réalise, artificialisera totalement le terrain sur lequel ils sont installés (voir encart).

Sur la vingtaine d’étudiants de leur promotion au BPREA, seuls cinq sont parvenus à s’installer dans le coin, sur les coteaux. « Les autres ont abandonné, sont encore salariés de fermes ou partis dans des zones moins attirantes. » Depuis, cette formation attire toujours plus de personnes, les effectifs étant passés, en quelques années, de 25 personnes formées par an à 70, selon Benoît, formateur dans ce centre. «  Il y a un boom sur le maraîchage bio sur des petites surfaces, peu mécanisé, même si le territoire aurait aussi besoin d’une production de légumes à destination de la restauration ou du marché d’intérêt national.  » Le problème restant toujours « l’accès au foncier  » dans la plaine du Grésivaudan, alors que d’autres zones, comme le Nord-Isère, sont moins prisées.

Donatien et Anthony sont loin d’être des cas isolés. Mis à part les rares projets de «  fermes communales », les parcours d’installation de jeunes paysans dans le Grésivaudan ressemblent à un parcours du combattant.
Quentin a réussi à trouver un petit terrain à Saint-Maximin, au-dessus de Pontcharra. « Le maraîchage n’a pas besoin de beaucoup de surface. Sur les coteaux, il y a un peu moins de pression foncière.  »
Benjamin a cherché un terrain dans la plaine pendant un an : chou blanc. Il est donc en train de s’associer avec Quentin dans la « Ferme des P’tits calibres ».

L’année dernière, la sécheresse a fortement impacté leur production.
« Mi mai c’était comme fin août. Tout l’été, on n’a quasiment pas arrosé. » Deux fois par semaine, des camions montaient remplir les cuves d’eau potable de la commune, auxquelles ils n’avaient pas accès. «  C’était dur à gérer, très intense en horaires et charge mentale. On n’a pas beaucoup d’options, juste à espérer que ça n’arrive plus. Ça nous interroge sur la pérennité de la ferme. » Des projets de pompage dans la rivière Bréda, pour faire face aux périodes sèches sont eux aussi menacés par la potentielle réalisation du Lyon-Turin (voir encart).

En-dehors des problèmes hydriques, des problèmes d’accès à la terre (et de la concurrence des chevaux dont les propriétaires ont souvent les moyens de louer des terrains plus chers), les jeunes paysans doivent aussi batailler pour parvenir à se loger, le Grésivaudan étant, « stations de ski de l’Oisans mises à part, le secteur le plus cher de l’Isère avec un prix médian au m2 de 2 630 euros, en augmentation de 5,7 % par rapport à l’an dernier  » (Observatoire de l’immobilier en Isère, avril 2022). « Globalement on est en concurrence avec les poneys et les ingénieurs. Le fort taux de hauts revenus dans la vallée nous assure un débouché facile mais le problème, c’est qu’on est en concurrence avec eux pour le logement. Forcément, vu ce qu’on gagne, les agences ne veulent même pas nous faire visiter et on se fait refuser de partout. On nourrit un territoire, mais on ne peut pas l’habiter.  » Comme Donatien et Anthony, les deux associés des P’tits calibres ont fini par trouver un pied-à-terre loin de leur terrain, Benjamin se contentant pour l’instant d’une chambre chez l’habitant.

« Plein de proprios attendent que ça passe constructible »

Élise, elle, n’a pas ce problème de logement : elle en a déjà un sur la commune de Laval. Après avoir également passé le BPREA il y a trois ans, elle cherche depuis septembre 2020 des terrains où cultiver sur les balcons de Belledonne, pas trop loin de chez elle, entre Theys et Revel. Des terres pentues loin d’être idéales pour l’agriculture hors élevage, mais qui jusqu’à l’après-guerre étaient aussi garnies de vignes et de vergers. Ça tombe bien : Élise veut s’installer en fruits et petits fruits.
Après des années d’efforts, elle est parvenue à obtenir deux petits terrains où elle a commencé à planter des arbres, même si c’est pour l’instant insuffisant pour en vivre.
Le récit de ses recherches est épique et riche de détails tragico-burlesques. « Plein de proprios ne font rien de leur terrain, mais ne veulent pas signer de bail agricole. Ils attendent que ça passe constructible. Ils préfèrent le laisser à un éleveur pour du pâturage, c’est facilement réversible… Mais si tu fais un joli verger, c’est plus compliqué d’envisager de le raser pour faire un lotissement. » Ici comme ailleurs, les porteurs de projet en recherche de terrains cultivables doivent faire face aux petits conflits interpersonnels et grands enjeux ancestraux. Élise et Léa, maraîchères installées à Laval grâce à une ferme communale, analysent. « Il y a plein d’enjeux générationnels, familiaux, amicaux dans le rapport à la propriété de la terre. Il y a le regard des anciens, des voisins… Même des gens intelligents, pleins de bonne volonté n’arrivent pas à transmettre. » Ces difficultés universelles sont aggravées ici par la pression foncière due au développement économique, en particulier le dynamisme de l’industrie de la microélectronique. L’appât du gain potentiel en cas de passage en constructible souffle contre les projets d’installation.

L’autre difficulté universelle pour les jeunes « petits » paysans, c’est la place prise par les « grands ». Si la plupart des agriculteurs récemment installés rencontrés sont sur les coteaux, c’est parce que les terres de la plaine sont en immense majorité cultivées par des « vieilles familles » à la tête de grandes exploitations, incitées à s’agrandir perpétuellement par différents mécanismes (primes de la Politique agricole commune (Pac), remembrement, amortissement de machines agricoles de plus en plus chères, etc.). Situées au bord de l’Isère, avec la nappe juste en-dessous, ces terres agricoles sont aujourd’hui essentiellement occupées par des cultures de céréales (maïs, soja) ou par des noyers. Ce qui est un peu dommage selon Benoit : la plaine du Grésivaudan fait partie des «  meilleures terres agricoles de France depuis les années 1860 ». À cette période, l’Isère a été endiguée, asséchant de nombreux anciens marécages, les derniers disparaissant en 1968 (quand a eu lieu la coupure de la boucle de la Bâtie créant les lacs des bois français). «  Tout le Grésivaudan est encore classé “zone humide”. Ce sont des sols qui produisent une biomasse en énorme quantité. La texture du sol fait que l’eau remonte. » Le BPREA a une ferme-école au bord de l’Isère : «  La nappe est tellement proche qu’on n’arrose quasiment pas, même sous serre.  »

« L’agriculture n’est pas du tout considérée dans la vallée »

La plupart des gros exploitants ont diversifié leurs activités, utilisant aussi leurs machines pour exercer des travaux publics ou forestiers. La ferme des Échelles, à Crolles, a choisi elle la diversification agricole : en plus des 230 vaches et des volailles, elle produit des légumes et des céréales. François, un des quatre frères tenant cette exploitation, défend le modèle choisi : «  Une certaine catégorie de personnes se sent plus intelligente et compétente que nous pour nous dire comment faire notre travail, mais est incapable de le faire elle-même... On parle beaucoup “d’installer des jeunes avec des légumes bio”. Mais tout le monde ne peut pas se le payer, le bio. L’année dernière, la consommation locale a beaucoup baissé, nous on a dû transformer plus de trois tonnes de légumes. »

Il constate aussi une des conséquences du développement de la vallée. «  L’urbanisation amène plus de monde sur les routes, dans nos champs. Ça fait des désagréments : tout le monde fait comme chez lui. Il y a les retraités qui se promènent et se plaignent des bouses sur les routes… On subit aussi des vols de culture et de plus en plus de déchets dans nos champs, des sacs MacDo, des sodas, des canettes de bière, etc. Ces déchets peuvent se retrouver dans le foin et on les donne à manger à nos animaux…  »

Face au développement de mastodontes comme ST, François Drevet juge que «  l’agriculture n’est pas du tout considérée dans la vallée. Par exemple, c’est nous qui cultivions les terrains où ils ont mis le nouveau parking de ST. On savait que les terrains allaient être pris, mais on ne savait pas quand. Fin 2021, on est allés voir notre culture de navets et là on nous a dit : “Faut vite que vous partiez, on va faire des parkings.” »

« Pendant des années, j’ai participé au “greenwashing” de la commune »

Il y a bien quelques « petits » paysans maraîchers dans la plaine. Sophie en fait partie. Il y a neuf ans, elle a démarché les mairies pour démarrer une activité de plants potagers aromatiques et vivaces, et est «  tombée au bon moment  » avec la mairie de Crolles qui « cherchait à installer une personne. Depuis 2013, je signe des conventions de mise à disposition de six mois...  » Son terrain d’un petit hectare est situé juste derrière ST, à quelques mètres du merlon construit pour couper le bruit produit par la multinationale. « Pendant des années, j’ai participé au “greenwashing” de la commune. Comme ils avaient installé une horticultrice bio, cela compensait l’agrandissement de ST, de Casino… Ceci dit, il y avait des élues motivées pour défendre l’agriculture dans l’ancienne équipe municipale. Ce qui est moins le cas dans l’actuelle... L’année dernière, le forage que j’utilise pour arroser mes plants, propriété de la commune, était envasé. J’ai dû négocier trois mois pour qu’ils acceptent de changer la pompe, ce qui leur a coûté 1 500 euros. » À côté de son terrain, deux hectares pourraient aussi être cultivés. « Mais pour l’instant, ils ne veulent rien en faire parce que cette parcelle n’est pas officiellement passée en agricole, ce qui devrait être le cas bientôt.  » L’année dernière, Élise, l’agricultrice précédemment évoquée, était en discussion pour installer une activité ici. « Mais ce n’était pas possible car il n’y avait pas d’accès à l’eau. » Tout ça à moins de 500 mètres de ST et de ses milliers de mètres cubes consommés par jour.

Sophie regrette : «  Il n’y a aucune vision à moyen et long terme sur le devenir agricole du territoire. Chaque mairie va installer son petit paysan et faire de la com’ dessus mais il n’y a pas de stratégie globale. Ils se gargarisent avec le projet alimentaire inter-territorial (PAIT) ; pourtant c’est une vallée avec un très gros pouvoir d’achat, où le bio ne se porte pas mieux qu’ailleurs.  »

Le PAIT de la grande région grenobloise (de Saint-Marcellin au Grésivaudan en passant par les massifs du Vercors et de la Chartreuse) vise logiquement à « améliorer le système agricole et alimentaire territorial ». Car dans le coin, on est loin d’être autosuffisant. Dans un « état des lieux du système agricole et alimentaire » rédigé en septembre 2022, on apprend que «  l’autonomie alimentaire » de la région est de seulement 40 % pour les prairies et les céréales, 14 % pour les oléagineux, 10,9 % pour les fruits, 12,9 % pour les légumes. Le seul domaine où on est largement autosuffisant, ce sont les fruits à coques : 1 054 % ! Merci l’appellation d’origine contrôlée des noix de Grenoble… Toujours est-il que ces chiffres illustrent encore une fois l’urgence de préserver les terres agricoles – et d’autant plus les plus productives.

Parmi les outils réglementaires, il y a les « périmètres de protection et mise en valeur des espaces agricoles et naturelles périurbains  » (bizarrement raccourcis en PAEN) mis en place par le Département de l’Isère en 2018. Le premier a été créé au Touvet, en plein milieu du Grésivaudan, sanctuarisant ainsi 537 hectares de terres agricoles et naturelles. Un dispositif qui a permis l’arrivée de plusieurs jeunes agriculteurs, dont Solvey et Bastien, installés depuis cette année en maraîchage biologique, au milieu de parcelles cultivées en céréales. Une cohabitation avec des « grands » qui a l’air de bien se passer : «  Il y a une entente cordiale avec nos voisins et plein d’entraide. On est bien conscients qu’ils ont une connaissance des subtilités du terrain qu’on n’a pas encore.. »

« Grande Île ! C’étaient les meilleures terres agricoles de la commune... »

Les autres projets de PAEN dans la vallée se sont heurtés notamment à l’opposition de certains agriculteurs ayant peur de ne plus avoir le pouvoir sur le futur de leurs terres. Pour faire sortir un terrain du PAEN, et le rendre constructible, il faut la signature de trois ministres… Une difficulté qui pourrait par ailleurs être facilement contournée pour l’intérêt supérieur européen d’agrandissement des usines de microélectronique. Cet été, pour les annonces d’extension de ST, il y avait le président de la République et quatre ministres…

En tout cas, en dehors du seul PAEN de la vallée, l’urbanisation continue. Colette, 81 ans, cultive des légumes et des fleurs depuis toujours à Villard-Bonnot. Son grand-père était même le jardinier du célèbre Aristide Bergès. Si ses enfants ont repris la ferme depuis bien longtemps, elle continue à leur filer la main dans ce « métier-passion » en se souvenant de sa jeunesse, quand l’Isère était beaucoup moins canalisée et qu’une partie des champs cultivés actuellement étaient de la « bauche  », des marécages. « On avait des vignes de l’autre côté de la voie ferrée. Des fois, on ne pouvait pas y aller tellement qu’il y avait de l’eau. Mon père avait fabriqué une barque pour aller vendanger. » Elle a vu l’assèchement des terres et puis aussi leur progressive disparition. « Là où il y a le lycée, c’est notre famille qui cultivait… Et puis surtout Grande Île ! C’était les meilleures terres agricoles de la commune… On avait presque un hectare là-bas, où il y a maintenant l’immense entrepôt de GLD [Grenoble logistique distribution]. J’étais dans les dernières à signer, on a eu une compensation, mais bon c’était contraint et forcé.  »

Le parc d’activités de la Grande Île a artificialisé 80 hectares d’anciennes terres agricoles. En dehors des extensions de ST et Soitec, les zones agricoles fertiles sont sous la menace des lotissements et des zones d’activités et des entrepôts de logistique, accompagnant en partie ce développement industriel. Plus au nord de la vallée, la petite bourgade de Pontcharra commence à être cernée par les entrepôts, et notamment les 5 hectares d’une des « plus grandes plateformes logistiques » des supermarchés Lidl, agrandie en 2020. La communauté de communes veut néanmoins continuer à bétonner autour de Pontcharra, notamment sur les 8 hectares de terres agricoles de Grignon, menacées par un projet de zone d’activités.

Le collectif Grignon se bat depuis trois ans contre ce projet. Dans un document de 34 pages présentant les enjeux de cette lutte, le collectif assène que «  l’agriculture a toujours été considérée comme une activité économique secondaire sur notre territoire, et jusqu’à présent le foncier agricole a été sacrifié à l’urbanisation et aux autres activités économiques ». Les projets de bétonisation sont mis en parallèle avec les belles intentions des élus notamment dans la « charte de développement durable du pays du Grésivaudan  », le «  projet de territoire  » voté en 2018, ou le « plan d’action triennal agriculture, alimentation et forêt  » voté en 2019. Ce dernier précisait : « Concernant le foncier, l’orientation affichée est de “conserver notre capacité de production agricole pour répondre aux besoins alimentaires des habitants” : “ambition 2030 : conserver les 11 000 ha de SAU (surface agricole utile), ou équivalents en valeur ajoutée”. »

Cette conservation de la surface agricole utile semble mal partie, toujours selon ce même document : « Le service agriculture de la communauté de communes chiffre ainsi à 70 hectares la perte annuelle de terres agricoles, alors qu’elle a identifié au minimum 50 porteurs de projet en agriculture souvent biologique, prêts à s’installer, ne trouvant pas de terres dans le Grésivaudan. »

Depuis les annonces d’extension de ST et Soitec, les conseils communautaires de la communauté de communes du Grésivaudan sont parsemés d’interrogations sur les solutions à trouver pour accueillir les milliers de personnes attendues (1 000 emplois sur ST et 500 sur Soitec ont été annoncés). Ou pourront-ils habiter alors que le marché du logement est déjà saturé et que le territoire va devoir faire avec (ou contourner) les contraintes de la loi zéro artificialisation nette ? Où va-t-on pouvoir mettre les équipements et zones d’activités des sous-traitants accompagnant cet agrandissement ?
Henri Baile, le président de la communauté de communes, a bien une idée : «  Il y a beaucoup de fonciers sur lesquels nous ne pouvons pas construire. C’est une négociation que nous menons avec les services de l’État pour que certains fonciers qui sont maintenant à l’abri des digues puissent être rendus à l’urbanisme, tout au moins à l’urbanisme économique.  » Est-il utile de préciser que ce « foncier maintenant à l’abri des digues » fait partie de ce qu’un ancien roi de France appelait «  le plus beau jardin de France » ?

Les ravages du Lyon-Turin sur (entre autres) l’agriculture

Mi-avril dernier, un énième appel « pour la liaison transalpine Lyon-Turin  » a été signée par une tripotée d’élus ou ex-élus, parmi lesquels les dinosaures locaux Michel Destot, Geneviève Fioraso ou Éliane Giraud. Ces notables supplient le président de la République de ne pas céder «  à l’air du temps décroissant  » et ne pas « rater son rendez-vous avec l’Europe » en accélérant sur la réalisation du Lyon-Turin, dont les travaux côté français sont au ralenti ces derniers temps. Et pourtant, voilà vingt ans que sont documentés les dégâts occasionnés par ce gigantesque projet ferroviaire à 30 milliards d’euros d’argent public. Parmi les conséquences tragiques, il y a évidemment l’artificialisation des terres : 1 500 hectares de terres agricoles seraient concernées… Parmi elles, celles de Donatien et Anthony, pépiniéristes de Détrier, dont le terrain est situé sur le site d’une future descenderie, une voie d’accès au tunnel qui passera sous Belledonne. « On ne sait pas s’il se fera et si on sera expropriés dans un an, deux ans, dix ans ? C’est une grosse incertitude sur notre activité... » Ce méga-chantier aura aussi de nombreuses conséquences hydrogéologiques. Le creusement des nombreux tunnels nécessaires risque de perturber les réseaux hydriques, et entraîner de grands mouvements sur l’eau souterraine. En Haute-Maurienne, les fontaines des villages ont arrêté de couler suite au percement des premiers tunnels (reporterre.net, 16/06/2020). Parmi les projections hydrogéologiques, la magnifique rivière Bréda arrêterait de s’écouler en surface entre Allevard et Pontcharra ! Donatien et Anthony constatent, amers : «  En s’installant, on avait juste envie de faire notre production tranquille dans notre coin, mais il y a tellement de projets débiles qu’il faut sortir de son coin pour essayer de les empêcher...  » À ce propos, le 17 juin prochain, une « manifestation montagnarde franco-italienne pour l’arrêt du chantier du Lyon-Turin » est annoncée dans la vallée de la Maurienne.


Les futurs forages de ST dans la nappe inquiètent les agriculteurs

L’année dernière, STMicroelectronics a obtenu l’autorisation de la Préfecture pour pomper de l’eau directement dans la nappe en dessous du site, en plus des millions de m3 d’eau potable amenés depuis la métropole grenobloise. Ces futurs forages inquiètent les agriculteurs à proximité du site, qui utilisent eux aussi l’eau de cette nappe. Ces derniers mois, des bureaux d’étude sont venus étudier les impacts de ces futurs pompages, sans que les résultats ne soient pour l’instant connus. Sophie, maraîchère située juste derrière le site ne sait pas pour l’instant si cela impactera son forage. Quant à François, situé à peine plus loin du site, il s’inquiète : «  La nappe est naturellement haute, ce qui permet, par exemple, de ne pas irriguer le maïs. Si elle baisse à cause des pompages de ST, le maïs va devoir être arrosé... »


Le « gâchis » de La Taillat ?

C’était une des grandes fiertés de la Métropole grenobloise : « Dans le cadre de sa compétence agricole, la Métropole de Grenoble a acquis 55 ha de terres agricoles à Meylan afin de favoriser le développement de la culture maraîchère bio. » (L’Essor 23/08/2022). Les terres concernées, rachetées pour plus de 1,5 million d’euros, sont situées à la Taillat, à l’intérieur d’une des boucles de l’Isère, à côté du lac du même nom. Un an plus tard, les premières attributions de terres donnent l’impression d’un « gâchis » selon certains observateurs. Si deux maraîchers bio ont été installés sur 8 hectares, et deux autres fermes bio agrandies sur 5 hectares, une grande surface (12 hectares) a été attribuée à des agriculteurs conventionnels. « Il n’y avait pas besoin d’acheter les terres si c’est pour que le même type d’agriculture chimique perdure  » pointe un lecteur qui grince : «  On reste dans la logique vitrine comme cela a déjà été fait avec la ferme intercommunale du Mûrier ainsi que la ferme communale de Montbonnot : 1 million par ferme pour s’acheter une bonne conscience politique, et pendant ce temps-là, la disparition des paysans continue ainsi que l’agriculture chimique exportatrice... » Benoit, le formateur du BPREA, regrette aussi la tournure du projet : « Ces 55 hectares de libres, c’était unique dans la vallée : il y avait un très haut potentiel pour en faire un démonstrateur fabuleux, un ensemble de production qui interagissent (légumes, pépinière, arboriculture, brebis, poules pondeuses, céréales) le tout en agroforesterie pour valoriser au mieux le potentiel de production de ces terres. Ce n’est pas le chemin qui a été choisi. Les élus sont de bonne volonté, mais il y a un manque de moyens humains pour faire aboutir des projets intéressants. Les moyens n’ont pas été mis en face des ambitions, même s’il y a encore des projets en cours de montage très positifs pour valoriser ces terres... »